Vols de rapatriement, soutien aux Français résidant au Cambodge, coopération médicale... L'ambassadrice de France au Cambodge Eva Nguyen Binh a répondu aux questions de Lepetitjournal.com Cambodge lors d'une interview organisée à la résidence de France.
LePetitJournal.com Cambodge : Combien de personnes ont été rapatriées depuis le début de la crise du coronavirus et l’arrêt quasi total des vols internationaux ?
Eva Nguyen Binh : Je tiens à rappeler le calendrier très réactif dans lequel nous avons organisé le premier vol de rapatriement. Le président de la République s’est exprimé le 16 mars (dans la nuit du 16 au 17 mars au Cambodge). Le lendemain au matin, nous avons ouvert la cellule de crise et commencé à recenser les personnes souhaitant rentrer en France. Le 26 mars, seulement dix jours après, un premier vol retour a eu lieu avec 416 personnes à bord. Nous avons ensuite négocié une centaine de places réservées pour des Français sur un vol de Qatar Airways, puis organisé un second vol de rapatriement avec 416 passagers le 4 avril (NB : puis informé les gens qui cherchaient à partir de vols Qatar Airways les 10 et 11 avril, et d’un vol vers Londres le 13 avril). En tout, l’ambassade de France au Cambodge a donc permis le rapatriement de plus d’un millier de Français, en comptant ceux qui ont pu rentrer grâce à nos conseils.
Un troisième vol de rapatriement était à l’étude mais n’a pu être organisé. Que répondez-vous aux Français qui souhaitaient profiter de ce vol et qui doivent désormais chercher des solutions alternatives, souvent plus onéreuses, pour rentrer ?
Nous avons repris contact avec les personnes qui s’étaient manifestées après le second vol de retour. Sur ces presque 170 personnes, environ 40% nous ont dit qu’elles ne le prendraient pas si un vol était affrété. Relativement peu de monde était donc intéressé par un éventuel troisième vol. Après ce sondage, d’autres Français se sont manifestés auprès de nos services. Nous avons aujourd’hui connaissance d’environ 300 personnes qui souhaitent une solution de retour, des touristes et résidents français, mais aussi quelques Européens. Entre le moment où nous avons commencé à explorer cette piste et la décision finale à Paris, il a été décidé que les opérations de retour de nos compatriotes soutenues par le MEAE touchaient à leur fin, en dehors de situations très spécifiques.
Par ailleurs, la récente réglementation française (décret n° 2020-548 du 11 mai 2020) prescrit un certain nombre de mesures dites « barrières », dont une distanciation physique d'au moins un mètre entre deux personnes en tout lieu et en toute circonstance, donc y compris dans les transports aériens. En raison de ce décret, l’ambassade ne peut ni négocier de prix sur des vols commerciaux qui ne respecteraient pas les mesures barrières et la distanciation physique, ni participer à l’organisation de tels vols.
Je comprends que c’est difficile pour les Français qui veulent rentrer, il y a peu d’options et elles sont chères. Nous espérons que d’autres vols commerciaux ouvriront prochainement. Nous suivons cela très attentivement et nous mettons à jour notre site internet très régulièrement pour apporter la meilleure information à ceux qui souhaitent rentrer.
Avec 40 malades sur 122, la France est la nation étrangère comptant le plus de cas positifs au Covid-19 au Cambodge. Quel regard portez-vous sur la façon dont les autorités cambodgiennes ont pris en charge ces malades ?
Les autorités cambodgiennes ont très bien pris en charge les Français positifs au Covid-19 au Cambodge, dont 39 étaient de nationalité française et une était résidente en France, mais dont nous nous sommes occupés de la même façon. Prenons l’exemple du groupe d’une trentaine de malades à Sihanoukville. L’un d’entre eux, avec beaucoup de critères de vulnérabilité, a dû être transféré en urgence à l’hôpital de l’amitié khméro-soviétique de Phnom Penh. L’hospitalisation à l’hôpital provincial de Sihanoukville, le transfert en hélicoptère jusqu’à Phnom Penh, les soins reçus à l’hôpital à Phnom Penh… ont été pris en charge par les autorités cambodgiennes. Il en est de même pour tous ceux qui ont dû être hospitalisés à l’hôpital khméro-soviétique. Heureusement, les 40 anciens malades vont bien aujourd’hui et sont de retour chez eux. C’est pour remercier les autorités cambodgiennes et leurs partenaires de tous les efforts faits envers nos compatriotes infectés par le COVID, que j’ai tenu à rencontrer le ministre de la santé le 7 mai.
Et dans son ensemble, que pensez-vous de la manière dont la crise a été gérée au Cambodge ?
On voit qu’elle a été bien gérée. Les autorités cambodgiennes ont énormément travaillé sur l’identification des malades et le traçage social. Le travail effectué est un travail énorme, avec des moyens limités. Je pense que la décision de fermer les écoles, de trier le mieux possible les travailleurs migrants de retour au Cambodge et d’avoir interdit les déplacements entre provinces lors du nouvel an khmer, qui était le moment que tout le monde redoutait, ont été de très bonnes décisions. Aujourd’hui, nous sommes assez tranquilles. Le terme de « crise » paraît même en décalage par rapport à ce que l’on vit aujourd’hui. Mais en mars on s’attendait vraiment à tout. Il faut toutefois bien sûr continuer à être prudent et respecter les gestes de précaution (NdlR : 2 nouveaux cas ont été confirmés depuis l’interview).
Le 20 avril, vous avez annoncé un plan local de soutien médical, sanitaire, éducatif et social destiné aux Français du Cambodge. Comment se traduit-il concrètement ?
Après avoir organisé les rapatriements, nous avons vite pu nous atteler à ce plan d’aide aux expatriés français au Cambodge. Au niveau médical, nous avons mis en place deux volets. Premièrement, la possibilité d’avoir des consultations avec les médecins référents de l’ambassade en cas de suspicion de Covid-19, qui ne remplacent pas le suivi des autorités cambodgiennes mais permettent de rassurer les patients. Nous avons aussi mis en place pour tous les résidents qui en auraient besoin des solutions de télémédecine qui peuvent faire l’objet d’une prise en charge financière par l’ambassade si besoin. Pour le volet sanitaire de ce plan d’aide aux résidents, nous sommes en contact étroit avec l’important réseau de médecins et spécialistes français au Cambodge. Ce plan d’aide pourra aller plus loin si le nombre de cas de Covid-19 augmente dans le pays et si des résidents sont infectés et développent des formes graves.
Le volet social du soutien aux Français prend quant à lui deux formes. Le premier volet est une aide directe et ponctuelle de l’ambassade, le secours occasionnel de solidarité, qui permet de fournir une aide de 100 euros par foyer et 60 euros par enfant à charge. L’autre volet prend la forme d’une subvention supplémentaire accordée par le ministère aux organismes locaux d’entraide solidaire. Au Cambodge, l’AEFC (Association d’Entraide aux Français au Cambodge) sera davantage subventionnée cette année afin de pouvoir aider les Français sur place. Enfin, pour prendre en compte la dégradation financière de certaines familles, il est possible jusqu’au 29 mai de demander une bourse pour l’année en cours ou une revalorisation des bourses qui ont déjà été accordées.
Sur toutes ces questions, nous travaillons de concert avec les élus consulaires. J’en profite pour inciter les Français qui résident au Cambodge à s’inscrire au registre consulaire, sinon nous ne savons même pas qu’ils existent. Après avoir fait un appel en ce sens, nous sommes passés de 5000 à 5300 Français inscrits au registre.
De nouveaux projets de coopération en matière de santé ont été annoncés entre la France et le Cambodge ces dernières semaines. Quels sont-ils et que couvrent-ils ?
La coopération dans le domaine de la santé entre France et le Cambodge est l’une de nos priorités depuis le milieu des années 1990. On estime d’ailleurs à plus de 85 millions d’euros les aides françaises en matière de coopération santé au Cambodge depuis cette période.
Ces dernières semaines, un financement de 400 000 euros a été annoncé sur trois projets de recherche au Cambodge, en partenariat entre des agences françaises comme l’ANRS ou le CIRAD et des institutions cambodgiennes comme l’Institut Pasteur du Cambodge ou l’Université des Sciences de la santé. Ces projets sont très importants dans le contexte actuel puisqu’ils concernent les situations de transmission virale. Par exemple, l’un d'entre eux doit dresser une cartographie des personnes qui ont eu ou sont susceptibles d’avoir le coronavirus au Cambodge, pour mieux comprendre ce qu’il se passe sur le territoire. L’Agence française de développement a également débloqué deux millions d’euros pour les laboratoires de référence de la région pour l’achat d’équipements, de matériel de protection et de tests en lien avec le Covid-19. Ceci permettra de soutenir l’Institut Pasteur du Cambodge.
Vous avez rencontré Kem Sokha, le président du Parti du sauvetage national du Cambodge dissous en 2018, deux fois depuis la fin de son assignation à résidence le 11 novembre dernier. Quelle est la position de la France à propos de la situation de Kem Sokha, et continuez-vous de suivre son procès, qui a débuté en janvier et a été ajourné en raison de la pandémie de Covid-19 ?
Nous avons toujours eu un dialogue très dense avec les autorités cambodgiennes dans ce cadre. Notre position est la suivante : encourager le dialogue entre les parties afin d’aller vers une ouverture en matière de droits de l’homme. L’ambassade continuera de suivre de près le procès de Kem Sokha, nous avons d’ailleurs été présents lors de chaque journée d’audience.
Propos recueillis par François Camps, Pierre Motin et Virginie Vallée
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