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Pourquoi cette année encore, ça vaudra la peine de se lever le matin !

IkigaiIkigai
Écrit par Nathalie Lecomte
Publié le 14 janvier 2020

Effet de mode ou pas, les Occidentaux s’approprient depuis quelques années le concept d’Ikigai, développé au Japon dès le XIIème siècle. Celui-ci offre un socle de réflexion nous rappelant les fondamentaux du courant de pensée humaniste et existentiel. En effet, l’Ikigai interroge le sens de notre vie, que la situation d’expatriation rend encore plus prégnant à travers les efforts importants qu’elle suscite. Loin des résolutions souvent intenables de la nouvelle année, c’est un changement durable et en délicatesse que nous proposent la combinaison de ces deux pensées culturellement éloignées et finalement si proches.

 

Qu’est-ce que l’Ikigai et que nous propose-t-il ?

 

L'Ikigai est pluriel : à la fois un concept philosophique et une pratique traditionnelle raffinée, proche de la nature. Pratiquer l’Ikigai (iki : vivre et gai : raison / ce pour quoi il vaut la peine de vivre) est courant à Okinawa («l’île aux centenaires») même si cette forme de sagesse correspond plus globalement au mode de vie traditionnel du Japon à travers ses sensibilités et ses modes d'action. Couplé à un régime alimentaire équilibré, riche en algues et en végétaux, l’Ikigai serait une clé de la longévité.

L’Ikigai se traduit par des choix de vie simples (sens de la communauté, conscience de la spiritualité, …) présageant ce qui constitue l'essence même de l'Ikigai. Il résulte de l’équilibre trouvé entre notre rapport au monde, nos besoins, nos passions et notre travail et évolue à chaque étape de notre existence. L’Ikigai synthétise les ingrédients nécessaires pour être en phase avec soi-même et constitue une base pour prendre conscience de sa raison d'être et trouver un alignement interne tout au long de sa vie. Il donne un sens cohérent à l’existence et permet d’en (re)devenir l'acteur.

Plus concrètement il fait émerger un fil directeur, le sens que l’on veut donner à sa vie : c’est à la fois un moteur et une boussole qui nous guide dans la mission qu’on se fixe dans la vie. C’est donc un état d'esprit qui autorise à se construire une vie heureuse et active. C’est aussi un baromètre qui permet de se représenter sa propre vie : il révèle son but tout en donnant l’énergie et le courage de la poursuivre.

 

Des plaisirs simples…

L’Ikigai célèbre la diversité de la vie dans ses plaisirs et sa signification profonde. Il s'applique tant aux petites choses de tous les jours (comme les plaisirs simples qu’offre la vie : l'air du matin, un rayon de soleil, jouer avec ses enfants, s’immerger dans une œuvre qu’on aime, faire de son mieux…) qu'aux réalisations plus grandes. Il implique de reconnaître et de savoir apprécier la richesse de tout cet univers. On peut donc trouver un sentiment d’Ikigai, une cohérence interne, dans presque tout, du moment qu’on ressent de la joie et du sens dans notre activité (au-delà des plaisirs immédiats hédonistes).

 

… mais aussi le dépassement de soi.

Pour que l’Ikigai nourrisse le sens de notre vie, celui-ci nous invite à aller au-delà du simple sentiment subjectif de plaisir ou d'accomplissement et à élargir notre conscience à nos rapports aux autres, ceux avec lesquels nous vivons et partageons notre vie et nos activités (passions, travail, intimité…). Ce niveau d’Ikigai n’est pas seulement satisfaisant et gratifiant pour soi, mais également pour notre entourage, et la société en général. Par exemple : on peut envisager son Ikigai dans un style de travail préservant un temps pour sa famille plutôt que d’y consacrer tout son temps et son énergie. Au lieu de tenter d’atteindre la perfection sans prêter attention à ce qu’on utilise, on peut choisir des ingrédients respectueux de l'environnement. Cuisiner un repas sain qui retentit positivement sur notre entourage, etc… Cette idée rejoint celle de Viktor Frankl, neurologue et psychiatre humaniste existentiel, qui pensait que plus nous recherchons l’autosatisfaction, plus celle-ci nous échappe, et que plus on expérimente un sens de la vie autotranscendant, plus on s’approche du bonheur.

L’Ikigai s’apparente donc plus à des valeurs à vivre. Il n’impose pas de devoir faire ses preuves même si cultiver son Ikigai en s’efforçant de vivre des joies très personnelles mène souvent à des récompenses sociales individuelles (ce succès est alors considéré comme une sorte de produit dérivé qui viendrait en seconde intention). Il peut aussi porter ses fruits de manière plus originale mais cela ne signifie pas que sa mise en œuvre au quotidien soit facile : il est inévitable de consentir à de petits sacrifices personnels pour avancer.

 

Pourquoi l’Ikigai résonne dans nos sociétés occidentales ?

La proximité de l’Ikigai et de la démarche existentielle occidentale peut étonner tant le contraste culturel est marqué entre ces attitudes envers la nature et la vie.

 

Des conceptions très différentes de la nature et de la vie

En occident, on montre un esprit analytique, objectif : on veut comprendre les lois de la nature, on la dissèque, on l’exploite, on tente de la maîtriser et de la transformer. En orient, on s’évertue à l’expérimenter au quotidien et à s’unir à elle, en harmonie. Concernant la vie, on peut résumer cette différence par la distinction entre faire et être.

 

Depuis le XVème siècle, le monde occidental s’est progressivement tourné vers des valeurs - dont on ne s’est pas encore émancipé aujourd’hui - où la raison d’être de chacun (le sens de sa vie) repose généralement sur l’action individuelle. Celles-ci valorisent l’ambition personnelle, le travail assidu (parfois obsessionnel) avec pour objectifs la position sociale et la richesse accumulée. Notre valeur en tant que personne et notre propre estime de soi y sont principalement déterminées par nos succès, nos réalisations concrètes, notre course après les récompenses externes immédiates. Dans un tel cadre d’autoréalisation et d’autosatisfaction, tant que ces finalités ne sont pas atteintes, la vie garde un goût d’inachevé. Cette vision et ce niveau d’exigence élevé ont pu contribuer à la vitalité et au développement économique d’un pays jeune comme les Etats-Unis et à un certain mythe occidental. Mais elle a laissé aussi sur le bord du chemin tous ceux qui n’y parvenaient pas.

Le monde oriental, lui, n’a jamais considéré que l’existence devait avoir un sens. Elle est un cadeau, une expérience à vivre. La métaphore du voyage (ce qu’il y a entre le point de départ et l’arrivée) illustre bien cette vision : l’existence n’aurait pas de but, elle ne serait que pur voyage. Et le voyage de la vie n’ayant pas de but, pourquoi se soucierait-on de sa destination ?

 

Et aujourd’hui ?

La vision occidentale actuelle, essentiellement basée sur la croyance dans le progrès systématique et la réussite pour son propre compte - est récente. A une époque plus ancienne, ces ingrédients n’étaient pas considérés comme pourvoyeurs de sens de la vie mais plutôt comme des entraves puisqu’ils ne permettaient pas d’accéder aux aspirations profondes de la nature humaine, à la différence des créations artistiques ou des réalisations manuelles.

Actuellement, les systèmes de valeurs humains utilisés pour mesurer les performances comportent des règles strictes décrivant comment doivent être les victoires et les échecs. Ils nous conduisent facilement à des illusions sur nous-même et à nous donner le sentiment que tout va bien en se conformant à ce système social. Dès lors, la crise des valeurs guette. Et favoriser la découverte de valeurs pour soi devient une nécessité urgente. Aujourd’hui, cette vision de la finalité de la vie est-elle adaptée ? Ne nous soumet-elle pas à des pressions inutiles ?

La nouvelle tendance à s’intéresser à l’Ikigai et à en faire une sorte d’actualisation occidentale fait écho au questionnement existentiel (très philosophique) du sens de la vie. Ainsi, on n’a pas besoin d'être japonais pour ressentir l'Ikigai : ses implications vont bien au-delà des frontières. Les conditions culturelles, insulaires et les traditions particulières ont certes contribué à nourrir l’Ikigai mais il existe des concepts similaires à travers le monde, notamment ceux de l’approche existentielle. Celle-ci embrasse tous les champs de la vie en abordant des questions susceptibles de se poser pour chacun, tôt ou tard. Elle nous interroge sur le sens de notre existence et celui de la condition humaine. En résumé, elle permet de clarifier qui nous sommes, de comprendre le paradoxe entre notre liberté et nos limites pour vivre dans le monde actuel. C’est cette réflexion sur nos positionnements existentiels qui nous (ré)apprend la valeur de la vie et peut nous (re)donner le goût de l’existence. Elle peut transformer notre vie en nous permettant de devenir plus satisfait, plus serein, moins stressé, en meilleure santé, bref plus heureux.

La dimension réflexive est une chose mais elle est doit être assortie d’une mise en mouvement concrète qui propose de nous engager pleinement dans des comportements cohérents avec notre propre idée de l’existence. Le questionnement existentiel devient alors une forme de plaque tournante (cognitive et comportementale) qui organise nos diverses habitudes de vie et notre système de valeur de manière pertinente. Cette cohérence interne nous permet ensuite de rayonner positivement au sein de notre entourage et de bénéficier de ses «sous-produits» : devenir plus créatif et performant dans nos activités.

 

Ikigai et le questionnement existentiel : même combat !

Ainsi, cette rencontre d’un occident aspirant à davantage de tempérance et de l’influence d’une sagesse orientale millénaire nous invite à constater qu’aucun de nous n’est en capacité de «toujours» réussir tout ce qu’il entreprend. De cet état de fait, l’essentiel peut émerger : l’important est-il d’accomplir ou de s’efforcer d’accomplir, d’arriver au but ou de s’efforcer d’y parvenir. Ne serait-ce pas le cheminement le principal sens de la vie : aller simplement dans la bonne direction en utilisant nos talents de la manière la plus constructive, fructueuse et créative possible ?

Les conceptions Existentielle et d’Ikigai concernent toutes deux la durabilité et l’harmonie de la vie dans les meilleures dispositions humaines. Les activités dans lesquelles on s’engage y sont conçues pour soutenir l’équilibre de ce riche système écologique. Il s’agit de découvrir, de définir et d'apprécier ceux des plaisirs de la vie qui ont un sens pour nous. Elles n’émanent pas d'un système de valeurs unique mais de la résonance en nous d'un ensemble de petites choses dont aucune ne sert, à elle seule, un but plus grand.

Les deux considèrent que c’est en vivant pleinement l’instant présent qu'on peut espérer maintenir un état d'esprit qui nous engage dans les actions pertinentes et optimales de notre existence. En effet, on peut trouver des joies - au-delà des valeurs (simplistes ?) des victoires et des pertes personnelles - en tirant le meilleur parti des circonstances, même lorsque l’adversité les rend difficiles.

Ces deux approches offrent une interprétation alternative de ce que peut devenir la vie, vers plus d’authenticité et de liberté, et donc de responsabilité.

 

Et concrètement, on fait comment ?

Sonder le sens de sa vie paraît toujours difficile à mettre en œuvre tant on s’égare souvent à le chercher dans l’objectif à atteindre (le quoi) plutôt que de s’évertuer à le trouver dans le processus d’engagement dans notre vie quotidienne (le comment).

Les deux approches nous proposent d’accomplir une introspection guidée au service de notre projet de vie personnel puis d’agir dans le sens de son développement. Certains ouvrages proposent de suivre une progression qui aide à trouver son propre Ikigai et à le mettre en œuvre.

La psychologie existentielle propose un accompagnement basé sur un travail de connaissance de soi afin de pouvoir se (re)connecter en profondeur à soi-même. Elle invite à développer une compréhension pratique et opératoire du sens de la vie. Elle nous confronte tôt ou tard (chacun à son rythme) aux grands fondamentaux de la vie (le sens, la mort, la liberté, la solitude) et aux questions existentielles principales (Où en suis-je ? À quoi je dis oui, à quoi je dis non ? …).

Sa pertinence est profondément ancrée dans notre existence concrète et réelle et dans nos expériences présentes. Explorer le passé est, certes, utile parce que le sens découle aussi de nos choix antérieurs, de nos habitudes et parce que ce cheminement influence notre existence actuelle. Mais ce n’est pas le terreau le plus fertile pour répondre à ces questions fondamentales. Explorer si notre vie actuelle est conforme à ce qu’on voudrait qu’elle soit, profondément en accord avec soi-même : c’est cette réflexion qui se révèle être bienfaisante. Chercher le sens de sa vie implique ici de développer l’exercice de sa liberté de choix, de sa créativité mais également de sa responsabilité et de sa capacité d’autodétermination. Ne s’agit-il pas là de répondre à une question qui n’a d’autre réponse que celle que l’on veut bien lui donner ?

 

Chaque jour apporte plus de sagesse et son lot de découvertes. Ce qui est important dans la vie, c’est donc ce qui nous met en mouvement, ce qui nous fait vibrer. C’est notre moteur. Peu importe sa puissance, ce qui compte, c’est sa stabilité, sa fiabilité et de l’alimenter en énergie parce qu’en cas de coup dur, c’est lui qui nous permettra de revenir au refuge avant de repartir vivre notre vie.

 

 

Réfléchir à ces questions sur le sens de notre vie : Que met-on en jeu ?

Qu’est-ce qui nous pousse à choisir un mode de vie qui - grosso modo - nous impose de croire en nos particularités personnelles pour aller de l’avant, réussir et accumuler les richesses matérielles ? Pourquoi vouloir créer des œuvres pour la postérité, comme une continuité de soi (c’est vrai, quel sens aurait la vie si tout doit disparaitre) ?

Parce que cela nous donne le courage nécessaire pour nous adapter et faire face à l’adversité quotidienne. Parce que cela nous permet de mieux supporter l’intuition de notre petitesse face au monde (et la peur qu’il suscite en nous) sans être submergé par nos angoisses profondes et notamment par la menace de notre finitude (notre disparition personnelle). Pour l’anthropologue américain, Ernest Becker, les individus s’évertuent à transcender la mort, notamment en «comptant», en ayant une importance ou en laissant quelque chose d’eux-mêmes après eux. En effet, l’absence de sens dissimule souvent une angoisse de mort mais aussi d’autres formes d’angoisse liées à la conscience de notre liberté (et responsabilité) et de notre isolement. La perte de sens est angoissante, elle réduit notre liberté : notre capacité à opérer des choix de vie qui nous conviennent et notre capacité à surmonter les situations d’adversité. On peut aussi tomber malade lorsque cette quête de sens est contrariée. L’enjeu n’est donc pas neutre puisqu’il s’agit de se sentir bien ou mieux, en phase avec qui on est vraiment et à sa place (dans son intériorité, parmi ses proches et dans ce monde) et ce, autant que possible, jusqu’à notre dernier souffle.

 

Le questionnement existentiel émerge des expériences vécues - dans l’ici et maintenant - qui nous éprouvent et nous façonnent chaque jour. C’est pourquoi il trouve souvent sa source dans les situations (inéluctables) où l’on est confronté aux limites existentielles (la vieillesse, la fin de vie…) mais également dans des moments de crise intense (vécu d’échec personnel, d’adversité, d’insatisfaction, de douleur physique ou psychique, d’incapacité, de traumatisme …). La question du sens s’y fait particulièrement pressante. Ce sont en effet des instants propices pour choisir de s’engager dans une démarche fondée sur le sens qui incluent des questionnements profonds, intimes et philosophiques, sur soi et son existence. L’effort à fournir pour y répondre sincèrement peut s’avérer particulièrement angoissant et nécessiter une aide.

Il ne s’agit pas d’une révolution bruyante à accomplir et encore moins de résolutions éphémères pour la nouvelle année. C’est un pas de côté qui est suggéré ici, une prise de recul, une mise en perspective pour vivre pleinement, rendre satisfaisante la seule vie qu’on a. C’est un changement de conscience en douceur et en profondeur que nous proposent ces approches de l’existence.  Ce changement suit nos intuitions (qu’il ne fait que renforcer) et se veut progressif et modeste, à l’image de la vie humaine.

Très bonne année à tous.

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