Le train revient à la mode avec des liaisons plus rapides et une politique de prix très compétitive depuis la libéralisation du secteur. Mais qu'en est-il du fret? Le petitjournal a rencontré Miquel Llevat CEO de Captrain España, principal concurrent de RENFE sur le marché espagnol et dont le capital appartient à 100% à la SNCF, via la branche du fret ferroviaire, Rail Logistics Europe.
Quel est le poids de Captrain en Espagne?
Miquel Llevat: Captrain España est la plus grande entreprise ferroviaire concurrente après l'opérateur historique Renfe, qui détient une part de marché de presque 60%.
On voit beaucoup de camions sur les routes espagnoles. Quel est le pourcentage du fret par rapport au total de transport de marchandises en Espagne?
Notre concurrent est effectivement le transport routier, qui détient 96% du marché. Autrement dit, le fret ferroviaire représente seulement 4% en Espagne, face à une moyenne de 17% en Europe. Nous essayons donc de trouver des solutions innovantes, soit pour des trains complets ou pour le trafic combiné, pour réduire cette part de 96%. Pour vous donner une idée, 20.000 camions passent chaque jour par Hendaye et Le Perthus. Si nous pouvions faire en sorte que, en coopérant avec la route, une partie de ces camions et leurs marchandises passent au rail, ce serait bénéfique pour tout le monde. Cela permettrait de réduire les émissions de CO2 ainsi que le trafic routier et par conséquent les risques d'accident.
Pourquoi le transport ferroviaire de marchandise est-il si faible en Espagne?
L'Espagne possède le réseau autoroutier par habitant le plus dense d'Europe et le réseau ferroviaire le moins dense. En raison de la topologie du pays d'abord, les chemins de fer ont perdu du terrain en Espagne et ont cédé la place au transport routier. Par ailleurs, depuis les années 1980, les investissements ont été concentrés sur le train à grande vitesse. Le transport de marchandises par train a été abandonné et n'a pas été modernisé faute d'investissement… jusqu’à ces toutes dernières années. Heureusement !
Pour vous donner une idée, 20.000 camions passent chaque jour par Hendaye et Le Perthus.
Avec la crise provoquée en partie par la guerre en Ukraine, le gouvernement a aidé les routiers mais pas le secteur ferroviaire, pourquoi?
Pendant la crise, le gouvernement a aidé le transport ferroviaire, mais avec un montant d'aide inférieur à celui du transport routier, qui bénéficie d'ailleurs actuellement toujours de subventions. Dans notre cas, nous avons utilisé les aides pour minimiser l'augmentation des coûts de l'énergie, pas -comme on l'aurait voulu- pour améliorer notre compétitivité dans un contexte énergétique plus stable. En plus, l'activité économique s'est réduite, non pas que les entreprises aient préféré la route, mais parce qu'il y a moins d'activité.
Mais le gouvernement ne commence-t-il pas à prioriser le fret par rapport au transport routier, plus polluant?
Maintenant, oui, il y a un programme intense d'amélioration. Le plan du gouvernement s'appelle "Mercancías 20-30" (marchandises 20-30") et est très similaire aux plans français ou allemands. L'idée est que d'ici 2030, nous devrions passer d'une part de marché de 4 à 10%, parce que le rail doit être plus compétitif et complémentaire de la route.
Le projet du corridor méditerranéen est extrêmement complexe et il n'y a vraiment rien de similaire dans le monde
Le corridor méditerranéen qui fait tant parler de lui depuis des années pourrait ainsi voir enfin le jour et multiplier les chiffres du fret?
Principalement trois mesures ont été mises en œuvre. A cette fin, l’écartement standard doit être installé dans le corridor méditerranéen jusqu'à Almeria. Le programme avait démarré en 2011 et ne finalisera qu’après 2030, mais il a connu de nombreux retards. La deuxième mesure consiste à construire plus de dix terminaux intermodaux modernes tout le long du corridor. Enfin, la troisième action est d'améliorer la circulation des trains, en autorisant par exemple des trains plus longs. Il faut savoir qu'en Espagne les trains sont beaucoup plus courts que dans le reste de l'Europe, environ 500 mètres au maximum, alors qu'en Europe ils peuvent dépasser un kilomètre. Les tendances sont donc favorables et le marché est en croissance.
Mais pourquoi ce projet de corridor européen a-t-il pris autant de retard?
Il s'agit d'un projet extrêmement complexe et il n'y a vraiment rien de similaire dans le monde car c'est un projet qui doit permettre de faire circuler des trains de marchandises, des trains de banlieue, des trains à grande vitesse, des trains de passagers, etc., et l’ensemble avec deux écartements différents sur un réseau ou des trains continuent à rouler tous les jours. Dans un premier temps, il s'agissait donc de parvenir à un écartement standard qui est arrivé à Barcelone en 2010, puis arriver à Valence en 2026, et Murcie en 2030, et ça c'est un changement capital. Le problème réside actuellement de l'autre côté des Pyrénées, en France, car il n'y aura rien de nouveau prêt avant 2035 et il se produira sans doute des problèmes de saturation.
Dans ces circonstances, comment voyez-vous l'avenir du fret en Espagne?
Pour que le train de marchandises fonctionne, il faut qu'il soit plus efficace en termes de qualité et de coût, sinon il ne sera pas rentable et ne fonctionnera pas, ni pour les clients ni pour nous, fournisseurs. Nous devons continuer à nous moderniser. Nous sommes optimistes, car nous percevons un changement de tendance, mais c'est un processus très lent. Le fret est un moyen de transport très rigide où tout se fait à long terme, et il a besoin d'un environnement politique stable et sans convulsions car le train n'a pas la capacité d'adaptation qu'ont les concurrents. Entre la guerre en Ukraine, les effets de la pandémie qui se font encore sentir avec les ruptures d'approvisionnement et les grèves, nous ne nous sommes toujours pas remis mais les circonstances sont bonnes et nous restons toujours optimistes.