Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

Hélène Valenzuela: "Il y a un avant et un après Ouigo en Espagne"

Hélène Valenzuela Hélène Valenzuela
Écrit par Armelle Pape Van Dyck
Publié le 28 mars 2023, mis à jour le 29 mars 2023

Après Barcelone et Valence, Ouigo inaugure la ligne Madrid-Alicante. A cette occasion, Lepetitjournal a rencontré Hélène Valenzuela, la DG de Ouigo qui revient sur la stratégie et les projets de l'opérateur ferroviaire en Espagne.

 

 

Arrivée seule à Madrid en 2019, Hélène Valenzuela, Directrice Générale de Ouigo Espagne, a tenu son pari. En seulement 18 mois et en pleine pandémie, elle a lancé une entreprise ferroviaire avec la ligne Madrid-Barcelone, puis quelques mois plus tard Madrid-Valence. Plus encore, Ouigo a révolutionné le secteur de la grande vitesse en Espagne et démocratisé ce moyen de transport. Aujourd'hui, moins de 4 ans après son arrivée, cinq millions de voyageurs ont déjà utilisé ses trains. Une nouvelle étape s'annonce maintenant avec l'inauguration de la ligne Madrid-Albacete-Alicante, qui commencera à opérer le 27 avril et dont les ventes de billets viennent d'ouvrir.

 

Lepetitjournal: Ouigo a fait son entrée sur le marché espagnol en mai 2021. Deux ans plus tard, quel est votre bilan?

Hélène Valenzuela: C’est un beau succès en Espagne. Les trains sont pratiquement toujours complets et en moins de deux ans Ouigo a transporté 5 millions de voyageurs. Il faut bien penser qu'il y a deux ans, personne ne connaissait Ouigo. Donc on est vraiment parti de rien et il a fallu lancer cette marque et construire le marché.

 

Vous avez affirmé lors d'une conférence que Ouigo avait "démocratisé" le train à grande vitesse en Espagne. Pourquoi?

Il y a un avant et un après Ouigo. En effet, le TGV en Espagne était jusqu'alors un mode de transport réservé à une minorité. Notre arrivée sur le marché a été un véritable choc pour les Espagnols, et cela a permis à des gens qui n’avaient jamais pris le train à grande vitesse de pouvoir le faire grâce à des prix accessibles. D'ailleurs, Ouigo a complètement changé le profil du client. 15% des voyageurs sont des familles, 52% ont moins de 45 ans. De nombreux étudiants, qui avant prenaient la voiture ou faisaient du covoiturage, voyagent désormais en train grâce à Ouigo. Il y a aussi beaucoup de micro entrepreneurs, ou des cadres, les entreprises étant plus vigilantes sur les coûts. Ouigo est vraiment au cœur de la démocratisation de la grande vitesse. 

Depuis que Ouigo est sur le marché, les prix ont diminué de près de la moitié

L'irruption de Ouigo sur le marché a également modifié le secteur

Effectivement, notre arrivée a bouleversé le secteur qui a été obligé de baisser les prix, de se remettre en question. Depuis que Ouigo est sur le marché, les prix ont diminué de près de la moitié.

 

Justement, vos concurrents ont été obligés de réagir et vous êtes maintenant quatre opérateurs à vous répartir le marché...

Ce n’est pas un gâteau qui se répartit. Au contraire, l'arrivée de la concurrence élargit le marché intérieur espagnol. En fait, on fait grossir le gâteau, il ne s’agit pas de "piquer" le client aux voisins. D'ailleurs, l’activité des uns fait la promotion des autres. Un des bienfaits de la libéralisation, c’est que la concurrence est bonne pour les consommateurs. On a découvert que les voyageurs combinent désormais les opérateurs, c’est-à-dire ils font un aller avec une compagnie et le retour avec une autre, et ça c’est très positif. Ça veut dire que le client a le choix. On a été les premiers à arriver. On est les lanceurs de mode!

Le concept Ouigo ce sont des petits prix sans renoncer à la qualité

Avoir toujours un train d'avance, c'est bien, mais quel est l'avantage concurrentiel de votre offre low-cost? Le "plus" de Ouigo?

Il ne s'agit pas du modèle typique de low-cost, c’est à dire baisser les prix en enlevant des services. Je parlerais plutôt de low-fare. Le concept Ouigo ce sont des petits prix sans renoncer à la qualité. Ici, pas de trucage, tout est transparent, à commencer par les prix, avec une application et un site web très agiles qui permettent de voir tous les prix sur l'ensemble de l'année et d'acheter un billet en trois minutes. Les trains ont deux étages, ce qui permet donc beaucoup plus d’espace, avec des sièges XL. Il y a aussi un bar, pas des machines…, et tout cela a vraiment été plébiscité par les voyageurs qui valorisent aussi la proximité et la gentillesse du personnel, qui sont tous des employés de Ouigo. Le taux de satisfaction de nos usagers est d'ailleurs très élevé.

Si on augmentait les prix, cela arrêterait net la libéralisation, car voyager en train ne serait plus attractif et les trains seraient vides

Comment la hausse des prix de l'énergie vous affecte-t-elle ? Est-il rentable dans ces conditions de continuer à proposer des billets aussi bon marché?

Quand on construit un marché, il faut maintenir les prix bas. Si on les augmentait, cela arrêterait net la libéralisation, car voyager en train ne serait plus attractif et les trains seraient vides. Ouigo n’a pas répercuté les hausses sur les prix des billets et on maintient nos prix bas, c'est un engagement ferme et définitif. Notre modèle c’est le volume, la marge par siège étant très petite. Il faut donc bien tenir les coûts et optimiser avec des processus simples, digitaux et de qualité. De cette manière, nous réduisons les coûts, nous réalisons des économies d'échelle et nous répercutons ces économies sur les passagers. On doit maintenir les taux d’occupation très élevé et c’est aussi la preuve que Ouigo a trouvé sa clientèle.

 

Vos concurrents restent donc les voitures?

Ouigo est le fer de lance du "modal shift". Nous voulons qu’il y ait moins de monde sur les routes et que les gens abandonnent leur voiture pour prendre le train. C'est un moyen de transport plus écologique, qui pollue cinquante fois moins, qui est plus rapide et plus sûr. Mais pour que les gens laissent leur voiture, il faut que ce soit rentable pour eux. Il faut ouvrir les portes du train et changer les mentalités. Voyager en train en France, c’est dans l’ADN, mais pas encore en Espagne. Et ça va prendre du temps, mais on y arrivera. Pour cela, les autorités espagnoles doivent aussi aider à faire ce transfert de la route vers le train. Rappelons que le transport ferroviaire longue distance n'a pas été inclus dans le paquet de mesures destinées à faire face à la situation économique causée par la guerre.

La libéralisation sera réelle en Andalousie le jour où Ouigo arrivera

Après Alicante, quels sont vos projets?

En 2024 ce sera Séville et Malaga. Ce sont des sujets techniques. On dépend de l'homologation avec le système de sécurité LZB (Siemens) qui équipe les voies pour Séville depuis 1992. Nous adaptons nos trains qui sont équipés du système européen ERTMS, au système historique LZB, en attendant que les voies passent à la norme européenne. Ce qui est sûr c'est que la libéralisation sera réelle en Andalousie le jour où Ouigo arrivera. À Séville ou Malaga, j'ai constaté une grande impatience de voir arriver une véritable libéralisation, avec un produit à choisir, pour que la concurrence joue et que les prix baissent.

 

Et pour le nord de l'Espagne?

Pour ce qui est des projets dans le nord de l’Espagne, on aimerait, bien sûr, mais le nord devra attendre parce que l'infrastructure est différente, avec par exemple un écartement variable ou une alimentation électrique différente. On a le matériel interopérable, mais la voie ne l’est pas. Donc en fait, il faudrait vraiment un autre projet, alors on va d’abord terminer ce qu’on s’est engagé à faire.

L’Espagne est le premier réseau européen de ligne grande vitesse et le deuxième du monde!

Où en est le corridor méditerranéen que veut impulser le gouvernement espagnol?

Le corridor méditerranéen est un très beau projet et Adif est venu nous voir pour nous l'expliquer. C'est un plan plein d'avenir tant pour le fret que pour les voyages de particuliers. Il faut bien penser que 50% de la population vit sur la côte Est et  50% des exportations espagnoles partent de là. Donc, c’est fondamental pour l’Espagne et sa connexion vers le nord de l’Europe mais aussi vers l’Afrique. Mais là aussi, les trains Ouigo actuels ne peuvent pas parcourir tout le corridor car il y a des spécificités différentes sur certains tronçons. Précisément, notre matériel circule sous 25 kV alternatifs et l´infrastructure aura également des tronçons en 3kV continu.

 

Comment voyez-vous l'avenir du train en Espagne?

Les perspectives sont excellentes. Il faut rappeler que l’Espagne est le premier réseau européen de ligne grande vitesse et le deuxième du monde! Le pays a en effet dépensé ces trente dernières années plus de 65 milliards d’euros pour ses lignes grande vitesse. L'investissement a été fait, mais l’Espagne était un réseau infra utilisé… jusqu’à l'ouverture du marché et l'arrivée de Ouigo! Il faut maintenant accompagner ce mouvement de libéralisation, et faire en sorte que les opérateurs puissent continuer à baisser les prix encore plus pour attirer les voyageurs.

Pensez aussi à découvrir nos autres éditions