Ces mots prononcés par une responsable de la SNCF en Espagne montrent que sans transports publics, il n'y aura pas d'économie durable. C'est une des principales conclusions de la conférence "Transport et mobilité dans les sociétés durables" organisée par l'Association Diálogo.
La conférence a réuni Jean-Baptiste Djebbari, ministre français délégué aux transports, et Pedro Saura, secrétaire d'État espagnol aux transports, à la mobilité et à l'urbanisme. Jean-Baptiste Djebbari, qui a évoqué la loi de mobilité votée l’an passé en France, a expliqué certaines des mesures les plus innovantes qui ont commencé à être mises en place. Si l’on part du constat qu’un Français sur quatre renonce à un emploi à cause de problèmes de mobilité, on comprend mieux l’importance du transport, mais plus n’importe quel transport.
Ainsi, M. Djebbari a souligné deux axes de travail pour son gouvernement : d’un côté, le "verdissement" des flottes automobiles et le développement des bornes de recharge électrique, afin de réduire les émissions jusqu'à 50 % d'ici 2030 ; et de l’autre, en collaboration avec les régions, un plan de sauvetage des petites lignes de chemin de fer considérées comme perdues en 2017 (environ 10.000 km).
Sans mobilité il n’y a pas de PIB
M. Saura, quant à lui, a souligné l'effort déployé par le gouvernement espagnol pour proposer "un système national de mobilité" pour lequel "la numérisation et la gouvernance sont fondamentales". Sans mobilité, il n’y a pas de PIB. Le secrétaire d’État espagnol a rappelé qu’"il est important que tous les opérateurs puissent être compétitifs en Europe. Nous avons besoin d'une législation qui permette une concurrence homogène dans toute l'Europe. La mobilité est un enjeu énorme".
Une position partagée par son collègue français, qui a reconnu que le Covid-19 a eu bien sûr de nombreux effets négatifs : un pourcentage important de citoyens considère les transports publics comme un environnement inquiétant, "nous devons travailler - a-t-il souligné - pour récupérer les passagers qui ne sont pas revenus". Mais le Covid-19 a aussi permis de redonner un grand coup de pouce au projet de l’avion à hydrogène, qui supposera un "avantage géostratégique immense pour la France".
La sécurité a été le thème principal de la deuxième table ronde, à laquelle ont participé Hélène Valenzuela, directrice générale de Rielsfera (Groupe SNCF), Juan Diego Pedrero Sancho, président exécutif de l'Association des entreprises ferroviaires privées (AEFP) et Manel Villalante, directeur général du développement et de la stratégie de la Renfe. "Quand le cauchemar actuel sera terminé, nous redeviendrons comme avant et nous bougerons à nouveau", a déclaré Pedrero Sancho. "Il y aura un développement important des chemins de fer, qui réduira les quotas de l'aviation. Dans le cas du fret, je suis plus sceptique en raison du gros retard que nous avons dans notre pays".
Plan de relance du train en France
Hélène Valenzuela, directrice générale de Rielsfera (Groupe SNCF), a expliqué qu’en France, il y a un important plan de relance du train, qui compte par exemple récupérer les trains de nuits qui ont pratiquement disparu. Ainsi, il n’y a plus que 2 lignes en France, face aux 28 en Autriche. Il est aussi question de renforcer le fret ferroviaire. "Le train va connaître une décennie heureuse" a affirmé Mme Valenzuela, qui est particulièrement optimiste quant à l’avenir du secteur en Espagne. D’ailleurs, la veille, Valenzuela avait présenté en Espagne Ouigo, le TGV français qui commencera à fonctionner le 15 mars prochain, avec cinq fréquences quotidiennes dans chaque direction entre Madrid et Barcelone.
La durabilité est, bien sûr, un défi pour tous. En soi, dit Valenzuela, "le train est un moyen de transport durable", il est plus facile de se joindre à l'effort de durabilité. Cependant, étant important, l'argument écologique ne suffit pas : s'il est coûteux, le train n'est pas efficace. "Notre objectif avec Ouigo est d'attirer plus de gens dans le train", et ce, avec des prix particulièrement compétitifs.
Le train contamine 50 fois moins qu’une voiture
Il n’en reste pas moins que le train est un moyen de transport écologique. Comme l’a rappelé la responsable du Groupe SNCF en Espagne, à chaque fois que l’on prend le train, cela contamine 80 fois moins qu’un avion et 50 fois moins qu’une voiture. On a aussi beaucoup parlé de libéralisation lors de la conférence. "La libéralisation est positive pour le secteur ferroviaire", et, comme l’a affirmé M. Villalante, de Renfe, "la concurrence pour nous, ce n’est pas la SNCF, mais la voiture ou l’avion. Les gens doivent prendre plus le train".
Espagne, nº2 des LGV dans le monde
L’Espagne a dépensé ces trente dernières années 60 milliards d’euros pour ses lignes grande vitesse et, ce que beaucoup ignore, elle possède le 2ème réseau de LGV dans le monde. Pourtant, le nombre de voyageurs est très bas par rapport à la France. Il y a donc de la marge pour grandir et des études montrent que la libéralisation va permettre de multiplier par deux le volume de voyageurs. "Les études", a convenu Mme. Valenzuela, "confirment qu'il existe une demande non satisfaite".
Transport routier roi en Espagne
En revanche, Pedrero Sancho a dénoncé l'asymétrie entre le fret ferroviaire et le transport routier, et le fait qu’il manque en Espagne "le consensus le plus large possible à tous les niveaux". Le transport de marchandises par train exige un double effort de la part de l'administration "pour nous rapprocher des niveaux que connaissent les autres pays. Nous sommes, regrette-t-il, en retard de cinq ans. Les opérateurs ont besoin de certitude." Le camion -qui roule au diesel- est roi en Espagne et le transport routier domine le secteur, car il est hyper compétitif. Il faut des politiques qui encouragent l’utilisation du fret et pénalisent le transport par route (type taxe charbon). Pedrero Sancho a ainsi regretté l’élimination progressive des péages sur les autoroutes, ce qui favorise encore plus le transport routier.
Manel Villalante a également soutenu qu’il est indispensable de rendre le transport ferroviaire compétitif en termes économiques et sociaux. Les gouvernements "fournissent les infrastructures, mais ce sont les entreprises qui doivent fournir les trains et les remplir". Et ces infrastructures, a souligné M. Valenzuela, sont "magnifiques". Si nous devons améliorer quelque chose "c'est l'interconnexion avec les aéroports". Cela devrait être, dit-elle, une priorité, afin d’être complémentaires. Valenzuela a ainsi donné un exemple français de cette complémentarité entre l’avion et le train : il n’y a plus d’avion entre Paris et Lille et Air France vend le TGV comme un billet d’avion.
Les participants ont tous été d’accord sur le fait que l’on ne résout pas tout avec des lois. Il faut une volonté sociale. La politique aide, en simplifiant les règles, les processus, mais ce n’est pas tout. A la fin, c’est la société qui décide et pour cela il faut lui offrir des produits intéressants. Pour conclure, M. Villalante a déclaré que "si nous n'avons pas de transports publics, nous n'aurons pas d'économie durable".
Madrid 360º et Paris, ville du quart d’heure
Lola Ortiz Sánchez, directrice générale de la planification et des infrastructures pour la mobilité à la mairie de Madrid, et Carlos Moreno, directeur scientifique de la chaire ETI (Entrepreneuriat, territoire, innovation) de l'Université Panthéon Sorbonne - IAE Paris et à l’origine du concept "Paris, ville du quart d’heure" ont expliqué les initiatives des deux capitales face aux défis de la mobilité durable.
Madrid a commencé à mettre en place il y a un an une stratégie globale qui permette d’améliorer la qualité de l’air, et les transports publics constituent "l’épine dorsale" de cette politique. Lola Ortiz a également souligné l'importance de la technologie et des applications, qui "peuvent nous aider à améliorer la qualité du service public". M. Moreno, en liaison avec Paris, a expliqué que la coexistence avec le Covid-19 nous oblige à nous adapter. Comment ? Premièrement, en empêchant que le véhicule individuel soit considéré comme plus sûr ; deuxièmement, en étant conscient qu'"il ne suffit pas de changer les structures, il faut changer les mentalités", et troisièmement, en tenant compte du fait que "le meilleur voyage est celui qui n'est pas fait".
Enfin, Olivia Infantes, responsable des nouveaux produits d'ENGIE en Espagne, Nicolas Loupy, directeur général de Dassault Systèmes pour l'Espagne et le Portugal, et Pablo Valerio, responsable du département Durabilité et changement climatique de Mazars Espagne, ont expliqué le travail de leurs entreprises qui cherchent à apporter des solutions aux défis du changement climatique, chacune dans son domaine et selon sa spécialité et sa compétence. Tous trois ont également rappelé que les professionnels qu’ils recrutent ont bien sûr un profil technique, mais que des aptitudes personnelles, telles que la proactivité, la curiosité ou la capacité de communication sont indispensables.