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Hélène Valenzuela: "Nous avons démocratisé le train à grande vitesse en Espagne"

Hélène Valenzuela_Directrice générale de OUIGO EspagneHélène Valenzuela_Directrice générale de OUIGO Espagne
Hélène Valenzuela, Directrice générale de OUIGO Espagne / DR
Écrit par Armelle Pape Van Dyck
Publié le 7 février 2022, mis à jour le 8 février 2022

Arrivée seule à Madrid en 2019, Hélène Valenzuela a pu construire une entreprise ferroviaire en seulement 18 mois et en pleine pandémie. C’était un pari risqué mais les résultats sont là : Ouigo a révolutionné le secteur de la grande vitesse et popularisé ce moyen de transport. En seulement 6 mois, plus d’un million de voyageurs ont déjà utilisé ses trains.

 

On peut dire qu’Hélène Valenzuela, la Directrice Générale de Ouigo en Espagne, n’est pas ici par hasard. Forte d'une vaste expérience dans le secteur ferroviaire, auquel elle a consacré toute sa vie professionnelle, sa mission en Espagne était claire: "démocratiser le train à grande vitesse". 

 

De chef de gare à Hendaye à DG de Ouigo Espagne

Après un parcours d’excellence (prépa au prestigieux lycée Henri IV puis études à l’ESCP), elle rentre très tôt à la SNCF, où elle va passer par tous les métiers. "Je me suis vite rendue compte que ce que j’aimais, c’était le management, pas seulement les finances -se souvient Hélène Valenzuela. Alors, pour acquérir le métier ferroviaire, j’ai reçu la formation 'maison' d´ingénieur exploitation, et je suis passée par les postes d´aiguilleur et de responsable de la maintenance du réseau et de la circulation des trains sur le tiers sud est, en passant par chef de gare d´Hendaye".

Bref, une Directrice Générale qui a fait ses classes de cheminot ! Mais outre sa profonde expérience du système ferroviaire, la responsable de Ouigo connaissait bien l’expatriation et en particulier l’Espagne, pour y avoir géré pendant huit ans les trains de nuit Elipsos, avant de travailler sur le lancement de la grande vitesse entre Paris et Barcelone.

 

Un train d’avance

En 2012, nouvelle expatriation à Bruxelles où elle ouvre la nouvelle route d´Eurostar entre Londres-Lyon et Marseille. Elle passe ensuite trois ans à la direction du Thalys et s’occupe de toute la partie opérationnelle. Elle retrouve un poste à fort enjeu managérial chez SNCF Réseau, le gestionnaire d´infrastructure, à la tête d´une équipe de plus de 11.000 agents de maintenance et d´exploitation du réseau sud est.

De là, enfin, elle refait un saut à Madrid, cette fois pour le lancement de Ouigo en Espagne. "Avec la libéralisation du secteur ferroviaire -explique Hélène Valenzuela- je voulais absolument être au cœur de ce moment historique. J’avais la sensation de m’être pleinement préparée à cette aventure".

Et quelle aventure ! Hélène Valenzuela arrive seule à Madrid en mars 2019, en éclaireur, envoyée par la SNCF. "On est vraiment partis d’une feuille blanche – se rappelle-t-elle. Le projet Ouigo s’est fait en pleine pandémie et, par exemple, le week-end où les ingénieurs devaient effectuer les premiers essais, la frontière entre les deux pays a été fermée ! Mais on s’adaptait et dès qu’on a pu, on est revenu au bureau". 

 

Ouigo Espagne
Les premiers billets, à 1 euro, se sont arrachés comme des petits pains / DR

 

Madrid-Barcelone: des prix en moyenne 50% moins chers

Et c’est ainsi qu’en à peine deux ans, Ouigo est lancé en grandes pompes le 10 mai 2021, sur le trajet Madrid-Barcelone. Bien sûr les premiers billets, à 1 euro, se sont arrachés comme des petits pains, mais le succès est toujours le même, vu que les prix sont en moyenne au minimum 50% moins cher que la grande vitesse traditionnelle.

"Nous voulons toujours avoir la meilleure offre sur le marché -affirme la Directrice Générale de Ouigo. Ça a été un véritable choc pour les Espagnols, et cela a permis à des gens qui n’avaient jamais pris le train à grande vitesse de pouvoir le faire grâce à des prix accessibles. Avant, c’était plutôt réservé à une minorité. Ouigo est vraiment au cœur de la démocratisation de la grande vitesse. Notre arrivée a bouleversé le secteur qui a été obligé de baisser les prix, de se remettre en question".

 

Notre arrivée a bouleversé le secteur qui a été obligé de baisser les prix

Aux détracteurs qui ont accusé la SNCF de nuire à Renfe en grignotant ses parts de marché, Hélène Valenzuela est très claire : "Ce n’est pas un gâteau qui se répartit -explique-t-elle. Au contraire, l'arrivée de la concurrence élargit le marché intérieur espagnol. Ce que nous avons vu dans d'autres pays où la concurrence s'est ouverte, c'est que tous les opérateurs essaient alors de s'améliorer. Si vous regardez l'Italie, le marché a doublé parce que la libéralisation est bonne pour tout le monde".

 

L'arrivée de la concurrence élargit le marché intérieur espagnol

D’ailleurs, lorsque l’on demande à Hélène Valenzuela qui sont ses concurrents, elle nous répond immédiatement  que ce sont les voitures. "Nous voulons qu’il y ait moins de monde sur les routes et que les gens abandonnent leur voiture pour prendre le train. En plus, le train est plus sûr et plus respectueux pour la planète".

En effet, à chaque fois que l’on prend le train, cela contamine 80 fois moins qu’un avion et 50 fois moins qu’une voiture. L’argument écologique est certes de taille, mais il ne suffit pas, car le train n'est pas efficace s'il est coûteux. Et c’est bien là que Ouigo a su tiré son épingle du jeu avec des prix particulièrement compétitifs, grâce à un modèle industriel qui leur permet de produire sans coûts supplémentaires et de répercuter les économies sur le client, avec une politique de volume.

 

Avec la fin de la pandémie, les gens ont envie de voyager

Et ainsi, en seulement six mois d’existence, Ouigo a reçu 1,3 millions de voyageurs dans ses trains, avec un taux d’occupation de 96% et un taux de satisfaction également très élevé. Le succès est tel que fin mars, Ouigo unira deux trains dans ses trajets entre Madrid et Barcelone, ce qui fait qu’il y aura 1018 places. "Il y a un tel taux d’occupation –explique Hélène Valenzuela- que cela voulait dire qu’il y avait une demande qui n’était pas satisfaite. En plus, avec la fin de la pandémie, les gens ont envie de voyager".

 

Ouigo Espagne
L’entreprise française a créé 1.300 postes nouveaux en Espagne, entre emplois directs et indirects / DR

 

Très bientôt, Madrid-Valence

Cette année, de nouvelles routes vont s’ouvrir : Madrid-Valence et Madrid-Alicante. Il y aura ensuite une troisième phase en Andalousie, mais pas en 2022, avec Madrid-Cordoue-Séville et enfin Madrid-Malaga. Au total, il y aura 30 trains en circulation. Pour le lancement du trajet Madrid-Valence, qui aura lieu au printemps, la responsable de Ouigo a promis qu’il y aurait plein de surprises. 

"Ouigo a rencontré son public -raconte la Directrice Générale- il y a tout de suite eu une adhésion parce qu’il ne s'agit pas du modèle typique de low-cost, c’est à dire baisser les prix en enlevant des services. Ici, pas de trucage, tout est transparent, à commencer par les prix, avec une application et un site web agiles qui permettent d'acheter un billet en trois minutes. Et puis, les trains ont deux étages, ce qui permet donc beaucoup plus d’espace, avec des sièges XL; il y a un bar, la wifi, une plate-forme avec des films, de la presse et tout cela a vraiment été plébiscité par le public ; les voyageurs valorisent aussi la proximité et la gentillesse du personnel, qui sont tous des employés de Ouigo et, cerise sur le gâteau, nous avons 43% de femmes. La diversité est un atout!".

La diversité est un atout!

L’entreprise française a effectivement créé de la valeur en Espagne avec 1.300 postes nouveaux, entre emplois directs et indirects, qui sont tous des CDI. Bien sûr,  il y a le know-how SNCF mais il y a juste quatre personnes détachées par la SNCF. 

Espagne, 1er réseau européen de lignes grand vitesse !

Ouigo a non seulement révolutionné le secteur ferroviaire de la grande vitesse, mais aussi le profil du voyageur. "Beaucoup de familles peuvent maintenant se permettre de voyager dans ce type de transport -souligne Hélène Valenzuela. Une famille avec deux enfants peut faire un Madrid-Barcelone pour 28 € tout compris ! Et d’ailleurs les gestionnaires des gares disaient que cet été, c’était la première fois qu’on voyait autant de poussettes dans des trains".

De nombreux étudiants, qui avant prenaient la voiture ou faisaient du covoiturage, voyagent désormais en train grâce à Ouigo. Il y a aussi beaucoup d'hommes d'affaires, "autonomos" ou cadres, les entreprises étant plus vigilantes sur les coûts, depuis le Covid.

Ouigo Espagne est la première aventure internationale d’une success story à la française, avec 80 millions de voyageurs pour Ouigo France. Et les perspectives pour l’Espagne sont excellentes. En effet, il faut rappeler que l’Espagne est le premier réseau européen de ligne grande vitesse et le deuxième du monde ! Le pays a en effet dépensé ces trente dernières années 60 milliards d’euros pour ses lignes grande vitesse. 

Pourtant, le nombre de voyageurs est très bas par rapport à la France. Il y a donc de la marge pour grandir et des études montrent que la libéralisation va permettre de multiplier par deux le volume de voyageurs. En définitive, l’Espagne était un réseau infra utilisé… jusqu’à l’arrivée de la concurrence et de Ouigo.

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