Emmanuel Mielvaque, le président du comité Espagne des CCEF est catégorique. Le Coronavirus va changer définitivement la donne pour les entreprises. Celles-ci se sont réunies la semaine dernière avec le service économique de l’Ambassade de France en Espagne. Leurs conclusions sont sans appel.
L’une des missions des Conseillers du Commerce Extérieur de la France (CCEF) est précisément de conseil aux pouvoirs publics, raison pour laquelle ils se réunissent périodiquement avec l’ambassadeur, le service économique et Business France pour remonter de manière pragmatique et concrète des informations de terrain sur la situation des entreprises françaises en Espagne. Dans ce cadre, des réunions régulières ont lieu sur des thématiques qui peuvent avoir été commandées par l’ambassade ou proposées par les CCEF.
"Il existe une veille permanente sur les sujets brûlants –explique Emmanuel Mielvaque, le président du comité Espagne des Conseillers du Commerce Extérieur de la France- et forcément le Coronavirus est un sujet plus que brûlant. Les CCE se sont mobilisés au niveau mondial depuis le début de la crise pour faire le point et notamment notre comité Chine où nous avons plus de 150 conseillers". C’est ainsi que les CCE reçoivent quotidiennement un flash d’actualité sur ce qui se passe là-bas, en particulier grâce aux conseillers des régions de Canton et de Pékin qui répercutent de manière presque instantanée des données chiffrées.
Dépendance des entreprises envers la Chine et flux tendu
Ces informations intéressent bien sûr le réseau des compagnies françaises qui travaillent à l’extérieur. Jusqu’ici, la situation des entreprises en France et en Espagne est différente. Il y a moins de cas déclarés en Espagne qui semble encore loin du stade 3 qui pourrait être prochainement déclaré en France. "Les choses évoluent à toute vitesse –signale Emmanuel Mielvaque- mais pour l’instant les entreprises en Espagne sont moins impactées. Par contre, une chose est certaine : la crise du Coronavirus va marquer un avant et un après, notamment la partie logistique et chaîne d’approvisionnement. La dépendance des entreprises envers la Chine et le flux tendu, le just in time, est un sujet que les compagnies vont devoir revoir pour éviter que cela se reproduise".
Précisément, il y a quelques jours le ministre français de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, déclarait qu’il fallait tirer les conséquences de cette crise et que le Coronavirus était "un game-changer", qui modifiait complètement la donne dans l'économie de mondialisation. Il a ainsi souligné qu’une des priorités pour les entreprises françaises est la "nécessité impérative de relocaliser un certain nombre d'activités et d'être plus indépendant sur les chaînes de production". Quand on apprend que dans le secteur des médicaments par exemple, la France dépend "à 80 ou 85% de principes actifs produits en Chine", il est en effet urgent de modifier certains modèles de production.
On est arrivés au bout du modèle
Dans l’immédiat, hormis les mesures de précaution qui ont été envoyées par toutes les boîtes à leurs employés, des groupes de travail de contingence ont été mis en place dans les entreprises françaises installées en Espagne. Leur objectif est de déterminer ce qui peut être fait à court terme pour continuer à fabriquer dans les délais, et à moyen terme pour que cela ne se reproduise pas. Il s’agit pour les entreprises de tirer les enseignements de cette situation exceptionnelle. "En fait, le poids de la Chine dans la valeur ajoutée n’équivaut qu’à environ 10 % -raconte Emmanuel Mielvaque. Cependant, en supposant que 2.000 pièces soient nécessaires pour construire une voiture par exemple, s’il en manque juste une ou deux, la chaîne de production s’arrête. On est arrivés au bout du modèle. Et c’est ça qui fait peur aux entreprises et ce qui les fait réagir. C’est un peu comme un électrochoc". Ainsi, les entreprises envisagent à nouveau de constituer des stocks ou au moins d’avoir des entrepôts qui soient plus proches pour éviter cette dépendance.
Une autre chose est sûre. Il n’y aura pas de vaccin avant un an ou un an et demi et les entreprises pensent déjà aux éventuelles rechutes, dont on parle très peu. Le marché a déjà du mal à s’en remettre. "Tout va dépendre de cette sortie de crise et de s’il s’agit d’un cycle en V ou en U –explique Emmanuel Mielvaque. Si c’est un cycle en V, cela descend très vite mais remonte aussi vite parce qu’il y a quand même du business et des opérations à faire. Par contre, dans l’hypothèse d’un cycle en U, l’épidémie aura du mal à être endiguée et si cela dure plus longtemps, les dommages seront beaucoup plus importants pour l’économie".
Lors de leur dernière réunion à l’ambassade, les entreprises s’accordent à penser que ce devrait être un cycle en V en Espagne. "Nous pensons que cela va repartir assez vite –affirme Mielvaque- parce qu'il y a quand même de la demande globale, mais il va falloir être accompagné et cela veut dire des mesures fiscales et sur la TVA, comme ont commencé à le faire d’autres pays. Le problème, c’est qu’on n’arrête pas d’entendre parler du Coronavirus et cela engendre une véritable psychose qui n’est pas bonne pour les affaires. Il convient d’être prudent, d’analyser les impacts et de prendre les bonnes décisions. Ne cédons pas à la panique".