Le week-end dernier se tenaient à Valencia les rencontres euro-méditerranéennes EUROMED organisées par la loge Blasco Ibáñez sous les auspices du Grand Orient de France (GODF). L’objectif ? Réunir les obédiences et les loges des pays du bassin méditerrannéen pour débattre de sujets essentiels de notre temps et y apporter des solutions concrètes. C’est autour du thème de l’eau que plus de 250 personnes - franc-maçons et “profanes” - ont répondu à l’appel de cette édition 2022 et ont été invitées à réfléchir et trouver une réponse commune aux défis soulevés par la question. Au programme de cette journée ouverte à tous : de nombreuses tables rondes et conférences animées par un panel d’intervenants de haut niveau et d’experts, suivies d’un temps d’échange et de travail pour le public.
On ne pouvait rêver meilleur lieu pour accueillir ces rencontres EUROMED 2022 sur le thème de l’eau. C’est à Veles e Vents, dans l’un des plus beaux édifices du port de Valencia, fier vaisseau dressé devant l’immensité bleue, que se sont succédé les conférenciers : Éric Servat, directeur du Centre International de l’UNESCO sur l'eau, Philippe Cury, directeur de recherche à l’IRD, Juan Andrés Perelló, ancien ambassadeur d’Espagne à l’UNESCO et actuellement directeur de la Casa Mediterráneo, Corinne Lepage, avocate, ancienne ministre et députée, Alexandre Cordahi, avocat spécialiste du droit du développement économique, José Alfonso Soria, président du Tribunal de las Aguas de Valencia, et Ronan Bécheler, docteur en écologie évolutive, avec la participation exceptionnelle de l’Union pour la Méditerranée (UPM) et en présence d’Hervé Garnier, grand maître adjoint du GODF.
Entre ciel et terre, avec la mer pour seul horizon, les intervenants ont tenté d’éclairer de leurs connaissances un aspect fondamental de la question hydrique.
L’eau dans tous ses états
L’eau, source de vie et de conflits. Denrée rare et souvent disputée. Ressource vitale qui engage l’avenir de l’humanité et qui se trouve en situation de pénurie en de nombreux points du globe. Aborder la question de l’eau, c’est nécessairement être à la croisée des enjeux et des savoirs. C’est traiter un thème qui convoque toutes les disciplines de la pensée et qui requiert, par l’incroyable défi qu’il pose à nos intelligences, tout à la fois des réponses scientifiques, techniques, économiques, sociales et politiques. C’est enfin s’autoriser d’une refonte axiologique pour essayer de changer la société et de rendre le monde plus habitable. Car “l’eau n’a pas de prix mais a une valeur, celle de la vie”.
Les valeurs, justement. Celles du partage, de l'équité, de la solidarité, ont été évoquées à de nombreuses reprises par les intervenants. Corinne Lepage a rappelé que “le droit international des droits de l'homme” enjoint aux États d’œuvrer en faveur de “l'accès universel à l'eau” qui doit être considérée comme “un bien commun”. Un bien qui fait l’objet de tensions et de revendications incessantes de la part des États et impose, souligne Alexandre Cordahi, “de passer d’une logique de la conflictualité à une logique de la coopération”. Cette “coopération transfrontalière est plus que jamais nécessaire” remarque Andrés Perelló, et elle doit s’accompagner d’un “transfert de connaissances” du Nord vers le Sud, - l’Europe devant se montrer “généreuse sans faire preuve d’arrogance occidentale”.
La dépendance à l’eau pose aussi la question des générations futures et du “principe d’équité intergénérationnelle”, c’est-à-dire de la prise en compte des habitants du “monde d’après” dans les actions que nous entreprenons aujourd'hui et de leur droit à vivre dans un environnement sain et écologiquement soutenable. Quelle planète allons-nous leur léguer, et avec quelle eau (72% de la surface du globe) ?
La Méditerranée a cette particularité d'être un pont, une source d’échanges, de métissages, de collaborations qui enrichissent à la fois l’Afrique et l’Europe.
La Méditerranée, une source d’échanges et d’inquiétudes
C’est à toutes ces questions et à bien d’autres qu’ont tenté de répondre les intervenants et le public dans la salle baignée de lumière du Veles e Vents. Autour, la mer semblait murmurer de confuses paroles. Car la Méditerranée, berceau de l’humanité et de l’humanisme, a peut-être encore son mot à dire. Va-t-elle bientôt devenir une mer morte, jonchée de plastiques ? Elle qui est déjà un linceul pour tant de femmes et d’hommes qui essaient d’échapper à la misère, à la guerre et à la famine.
Réchauffement, acidification et montée des eaux, salinisation des nappes phréatiques, bétonisation des littoraux, accumulation des micro-plastiques, pollution chimique, surpêche… Autant de facteurs qui mettent en péril l’avenir du bassin méditerrannéen et des écosystèmes qui y vivent. Ces effets dévastateurs du dérèglement climatique, les agriculteurs de la huerta valenciana les constatent chaque jour : “Les épisodes de sécheresse et d’inondation sont de plus en plus violents”, commente José Alfonso Soria, le président du Tribunal de las Aguas de Valencia.
Mais la Méditerranée, observe Hervé Garnier, le grand maître adjoint du GODF, c’est aussi “un pont, une source d’échanges, de métissages, de collaborations qui enrichissent à la fois l’Afrique et l’Europe”. Le dialogue entre les deux rives et la coopération nord-sud apparaissent comme la clé pour fermer la boîte de Pandore et enrayer cette spirale infernale. La Méditerranée doit être l’atelier des solutions et non plus le laboratoire de la catastrophe. Cette mer, point de jonction du Nord et du Sud, nous rappelle que l’eau est un bien précieux que l’humanité a en partage et qu’elle se doit de préserver. Les régions du pourtour méditerranéen ont cette “identité commune qui transcende les particularismes nationaux” insiste Andrés Perelló, et Mare nostrum nous renvoie à nos origines autant qu’elle nous porte vers notre destin collectif.
Le Grand Orient de France se réunit à Valencia
EUROMED, une rencontre entre la société civile et les experts
En cela, pour le coordinateur de l’événement Xavier Alzieu, cette rencontre EUROMED offre l’opportunité, non pas d’épuiser le sujet, mais de se doter d’un “corpus minimal de connaissances pour que les franc-maçons et le public profane prennent à bras-le-corps cette problématique de l’eau et affinent leur pensée”. “On a toujours un problème de légitimité”, poursuit-il, “on pense que c’est une affaire de spécialistes, mais ce n’est pas le cas, car les spécialistes ont besoin de relais, et ces relais ce sont les citoyens”. Désenclaver les savoirs, décloisonner les sujets d’étude, les ouvrir à la société civile pour qu’elle s’en empare et forme des citoyens éclairés et engagés, tel est le “devoir d’extériorisation” de la franc-maçonnerie.
“Je crois que la maçonnerie peut être cette articulation entre la société civile et les experts”, affirme Xavier Alzieu. “L’expertise n’est pas forcément dans nos rangs. On a besoin de l’apport du monde extérieur pour nous éclairer. Chacun se nourrit de ces différences, de cette complémentarité”, ajoute-t-il. D’où l’importance d’une maçonnerie qui dialogue en permanence avec le reste de la société. Des propos en parfaite résonance avec ceux du grand maître adjoint du GODF : “Nos travaux n’ont pas vocation à rester confinés dans nos loges. Nous ne devons pas rester à nos balcons et regarder ce qui se passe dans la rue. Nous devons nous engager, nous associer, individuellement et collectivement”.
La franc-maçonnerie face à l’urgence climatique
Dès lors, il apparaît que la mission historique que la franc-maçonnerie s'est assignée - œuvrer au perfectionnement moral et matériel de l’humanité - doit se lire à l’aune de l'urgence climatique et de l'écocide à l'œuvre sous nos yeux : “La disparition d’une espèce met en danger, à terme, l’ensemble de l’écosystème et fait peser de lourdes menaces sur les générations futures”, met en garde le grand maître adjoint du GODF. Il appartient à chacun d’en tirer les conséquences et d’agir en faveur de “la préservation de la vie sur la planète” pour faire émerger “une société, une humanité, plus juste, plus éclairée et solidaire”.
Ces rencontres ne peuvent pas être des “feux de paille”, avertit un invité, “l'heure est trop grave” ; elles doivent s’inscrire dans une “réelle dynamique de changement”. C’est pourquoi, au terme de la journée, les réflexions se sont clôturées sur des groupes de travail, où les participants ont dû plancher sur des propositions concrètes en lien avec la problématique de l’eau. À défaut de solutions définitives, ils ont tenté de souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière comme l’écrivait René Char, et peut-être, ainsi, contribué à éclairer des chemins durables de transformation et d’action.