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JUSTICE – Falcone et Borsellino, symboles de courage et de dévotion

Écrit par Lepetitjournal Rome
Publié le 30 mai 2011, mis à jour le 14 novembre 2012

L' Italie se livre à un duel sans pitié avec la mafia depuis presque 30 ans. Pourtant, après les précurseurs que furent Falcone et Borsellino, elle semble perdre du terrain dans ce combat. Le pays n'a pas encore retrouvé de combattants à la mesure de ces deux hommes qui ont donné leur vie pour vaincre ce fléau

En Italie comme ailleurs, la crise économique a un peu plus assombri le futur du pays.  Avec une économie au ralentie, des disparités entre le Nord et le Sud, un chômage des jeunes très important et une grande précarité, le pays souffre. A cela s'ajoute une crise intérieure avec son Président du conseil qui est soumis à l'attente des conclusions de quatre procès le concernant. La politique et les débats démocratiques ont laissé place aux invectives personnelles et aux règlements de compte. Dans ce marasme, on oublierait presque que finalement un problème bien plus sérieux ronge le pays. La mafia étend son contrôle sur les populations, l'économie, la finance sans réaction de l'Etat. Les mafias de Naples, de Sicile et de Calabre agissent désormais en toute impunité et étendent leur domaine de contrôle à l'économie légale, comme pour mieux intégrer le tissu social. Il existe bien une commission anti-mafia en Italie, mais ses moyens sont faibles tant la complexité de ces organisations est importante. Il manque peut être une volonté politique pour combattre un fléau qui envenime le pays ainsi que des personnes compétentes et charismatiques. Giovanni Falcone et Paolo Borsellino était de ceux qui par leur courage et leur vocation rendaient fiers les Italiens. Près de 20 ans après leur mort, les deux juges siciliens gardent la même aura. Ils ont payé pour avoir combattu la mafia et les Italiens leur en sont reconnaissants pour cela, ceci d'autant plus que la mafia se révèle plus vigoureuse que jamais.

(Le juge Falcone, source: wikimedia)

L'amour de leur terre natale

Giovanni Falcone et Paolo Borsellino sont d'abord deux amoureux de leur terre natale, de l'île où ils ont vécu et de l'importance qu'elle représente dans leur vie respective. Tout deux nés à Palerme, dans le quartier ouvrier de La Kalsa, ils s'y sont forgés un caractère et une foi. Dans ce quartier parfois difficile, ils ont cherché à laisser leur trace, celle qui supprimerait cette contrainte invisible qu'est la mafia. Dès son plus jeune âge, Giovanni Falcone fréquente de jeunes truands locaux et se frotte à la Cosa Nostra. C'est lors de ses études de Droit qu'il développe ses convictions contre la mafia. Lors de recherches dans d'obscurs fichiers financiers, il découvre le pot aux roses et les détournements d'argent réalisés par l'organisation secrète. La Cosa Nostra sicilienne devient alors le combat de sa vie. Ses convictions s'affirment un peu plus quand un juge luttant contre la mafia est retrouvé assassiné à son domicile. Paolo Borsellino suit le même chemin universitaire mais la mafia n'est pas une obsession, à ses débuts tout du moins. Il épouse alors sa future femme dont le père est magistrat et président du tribunal de Palerme et cette rencontre change le cours de sa vie. Il devient alors le plus jeune magistrat d'Italie en obtenant ses diplômes de magistrat à l'âge de 23 ans seulement. Le jeune homme débute sa carrière dans différents tribunaux siciliens mais au fil des années, il exprime l'envie d'exercer à Palerme. Une fois le moment tant attendu enfin arrivé, il intègre le pôle anti-mafia de la ville en 1980. Les deux hommes ont la même conviction, celle de pouvoir combattre et annihiler la Cosa Nostra de la Sicile. A ce propos, Falcone déclare d'ailleurs lors de son investigation dans ce même pôle anti-mafia "La mafia est un phénomène humain et comme tout phénomène humain, elle a un principe et une évolution qui connaîtra une fin un jour où l'autre".  

Un combat mené pour rien ?

Les deux hommes deviennent alors amis et collaborent pour tenter de faire tomber les têtes, dont Toto Riina, le chef des chefs de la Cosa Nostra. Par la même occasion, ils démontrent que la mafia dirige bien la ville alors que le problème avait été ignoré jusque-là par les autorités. Leur méthode est simple et efficace. Ils promettent un traitement de faveur aux Mafiosi qui se repentiraient et qui témoigneraient. Ce fut un grand succès et les premiers repentis de petite importance laissèrent place à des caïds beaucoup plus impliqués. Les méthodes et le fonctionnement de la Cosa Nostra furent ainsi déchiffrés et analysés, ce qui permit un procès d'une envergure encore jamais réalisée. De plus, les deux juges avaient imaginé un nouveau type d'organisation pour mener leurs enquêtes: le Pool anti-mafia. Un groupe de juges avait connaissance de tous les dossiers examinés et si un attentat venait à tuer l'un des leurs, l'enquête pourrait se poursuivre sans risque d'être classée sans suite. Le Maxi-Procès débute à partir du 10 février 1986, dans une salle de procès construite pour l'occasion avec 475 accusés qui comparaissent. Au vu du grand nombre d'accusés, on installe même des cellules au sein de la salle d'audience. Une atmosphère pesante règne tout au long du procès qui sera encadré et surveillé par les forces de l'ordre. Les principaux chefs de la Cosa Nostra sont condamnés, dont Toto Riina en fuite lors du procès. Il y aura 360 accusations proférées par Falcone et Borsellino distribuant 2 665 années de prison.

(Le juge Borsellino, source: wikimedia)

Les deux juges deviennent alors les symboles d'une lutte réussie et gagnante. Contrairement à de nombreux collègues, ils ne souhaitent pas entrer en politique, ce qui rassure les autorités soucieuses de ne pas perdre leur légitimité au profit de ces nouveaux héros de la nation. Pourtant les lendemains de ce procès incroyable sont difficiles pour Falcone et Borsellino. La mafia tient à faire payer les juges et montrer aux autorités qu'elle a su résister à ces attaques. Au fur et à mesure des années, la tension monte autour des deux magistrats, qui sont désormais surveillés en permanence par des gardes du corps et qui ont abandonné toute liberté de déplacement. L'année 1992 marque la fin de leur combat. Giovanni Falcone et Paolo Borsellino sont assassinés respectivement le 23 mai et le 19 juillet. Le procédé utilisé est identique pour les deux meurtres puisque une tonne de TNT est placée sur leur chemin. La Cosa Nostra ne lâche jamais ceux qui lui ont causé du tord et la quantité d'explosif montre bien que les deux juges étaient considérés comme des cibles prioritaires. Falcone était d'ailleurs particulièrement visé et les images de l'attentat illustrent parfaitement la haine que la Cosa Nostra éprouvait pour lui (voir lien vidéo).

Une vague d'émotion traverse alors le pays. On renomme l'aéroport de Palerme à leurs noms pour leur rendre hommage. L'enterrement de Falcone est suivi par tout le pays et pour l'occasion, de nombreux discours anti-mafia jurent que la lutte continuera. Encore aujourd'hui, on reconnaît leur courage et leur charisme "Ils sont un peu les martyrs de l'Italie parce qu'ils ont payé pour les autres. Dans une époque on chaque Italien s'interrogeait sur le rôle joué par la mafia, ils ont su montrer la voie" indique Alessandro, âgé de 20 ans à l'époque. Mais très vite, les autorités montrent une certaine réticence et cherchent à décrédibiliser les faits pour éviter un culte dommageable pour le pouvoir en place. Leur mort met à mal la lutte anti-mafia et le pouvoir ne va pas considérer le problème comme prioritaire. Au sommet de l'Etat italien, on reproche encore aux magistrats de vouloir faire chuter le Gouvernement ce qui explique le manque de collaboration entre la Justice et la politique contre la mafia. En attendant, les Italiens n'ont pas oublié Falcone et Borsellino qui restent des symboles de courage et de dévotion. Il y a quelques jours, on vient de commémorer le dix-neuvième anniversaire de leur mort "Ce n'est pas pour rien que la plupart des grandes villes ont tenu à commémorer ce tragique évènement" rappelle Alessandro.

 Jean-Marie Cornuaille (www.lepetitjournal.com ? Rome) lundi 30 mai 2011

Vidéo sur la mort de Falcone

lepetitjournal.com rome
Publié le 30 mai 2011, mis à jour le 14 novembre 2012

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