

Intégrer l'économie de la drogue et de la prostitution dans le calcul du PIB de l'Italie. L'idée peut paraître saugrenue et pourtant... C'est une directive européenne qui a demandé aux états d'inclure l'économie souterraine dans leurs économies afin de réduire les différences. L'Italie s'est empressée d'y répondre et pourrait ainsi gonfler son PIB de 2,4 %. Une aubaine après plus de deux ans de récession.

La nouvelle est passée presque inaperçue et pourtant, elle est d'une importance stratégique capitale. Rome intègrera dès septembre 2014 l'économie souterraine dans le calcul de son PIB. La prostitution, le trafic de drogue ou la contrebande seront désormais pris en compte.
Ces nouvelles règles dictées ne sortent pas de l'imaginaire des politiques italiens mais découlent d'une directive européenne. En février dernier, Bruxelles a demandé aux Etats membres de comptabiliser l'économie souterraine dans le PIB dès septembre 2014.
Ce nouveau calcul devrait considérablement doper le PIB italien. Mais ce sont les règles, se défend Gian Paolo Oneto, le patron de la direction de la comptabilité nationale à l'Istat, l'institut statistique italien: "Les règles sont les mêmes pour tous les pays de l'Union européenne. Eurostat (l'agence en charge des statistiques de l'UE, NDLR) nous a donné les directives. Nous devons les appliquer" s'est-il défendu.
L'Italie est tristement connue pour son économie souterraine et ses organisations mafieuses. La Banque d'Italie a évalué la valeur de l'économie criminelle à 10,9 % du PIB en 2012. Des chiffres non négligeables pour un pays aujourd'hui fortement endetté.
Mais la Péninsule est tellement ancrée dans ce fonctionnement de double marché, que l'incorporation de ses nouveaux facteurs dans le PIB ne sera pas une tâche facile.
Ce sera "très difficile pour la raison évidente que ces activités illégales ne sont pas déclarées [...]Nous allons nous appuyer sur les données de la police et de la justice qui ont une bonne connaissance du volume et des prix des produits stupéfiants et des services des prostitués. Nous ferons appel aux ONG qui travaillent avec les drogués et les prostitués" poursuit Gian Paolo Oneto. "Vous savez, en Italie, nous avons une tradition dans l'évaluation de l'économie souterraine !" conclut l'expert.
En théorie, le PIB italien devrait ainsi augmenter de 2.4% pour 2015, selon les estimations d'Eurostat.
De nouvelles directives qui divisent en Europe
En Angleterre, le député conservateur britannique Mark Garnier déclare avec agacement : "On demande aux gouvernements de quantifier la taille de l'échec de leur politique". La décision semble irriter alors que la part de cette économie parallèle représente tout de même 1,6% du PIB national britannique.
En France, l'institut public de statistiques (Insee) refuse ces nouvelles directives. "Nous n'incorporerons pas les activités illégales dans ses estimations, dans la mesure où les circonstances dans lesquelles s'effectuent ces activités (dépendance des consommateurs de stupéfiants, esclavage sexuel dans certains cas) ne permettent pas de considérer que les parties prenantes s'engagent toujours librement dans ces transactions". L'Insee choisit la voie d'une double comptabilité. D'un côté le calcul du PIB national sans l'intégration de ces nouveaux facteurs, de l'autre, un PIB gonflé intégrant l'économie souterraine.
Des pays comme la Suède et la Finlande pourraient voir leur PIB augmenter de 4 à 5 points avec la prise en compte de ces nouveaux facteurs. L'Autriche, la Grande-Bretagne ou encore les Pays-Bas où le trafic de cannabis est légal, verraient leur PIB augmenter de 3 à 4%.
Pour la Grèce, cette nouvelle législation pourrait tout changer. En 2006, le pays avait déjà tenté de faire rentrer dans son PIB les apports financiers de ce marché parallèle. Le blanchiment d'argent et la prostitution avaient fait bondir le PIB grec de 25 %. A l'époque, Bruxelles avait réfuté ces chiffres et rejeté l'utilisation de cette méthode. D'après Raoul Ruparel, qui dirige le think tank Open Europe, ces nouvelles normes augmenteraient le PIB grec de 2% pour 2015, cela permettrait de changer l'image qu'a le pays face à la crise.
Mais Bruxelles laisse tout de même un champ d'action aux pays européens. Les Etats ont la possibilité de calculer leur PIB national à leur guise. Néanmoins, dans un certain souci d'harmonisation, les 28 pays devront appliquer les normes dictées par l'ESA 2010 qui rentreront en vigueur en septembre 2014.
Elise Quinio (Lepetitjournal.com de Milan) – mardi 10 juin 2014
Crédits photos : Corbis LD
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