Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

PORTRAIT – Joannès Rivière : « C’est le pays qui fait la cuisine des chefs »

 

Si la famille de Joannès Rivière tenait un restaurant, ce natif de Roanne envisageait pourtant d'étudier la musique. Pour aider sa famille et à cause de difficultés pour intégrer le monde de la musique, Joannès doit se résoudre à choisir le monde de la restauration. Un mal pour un bien, le restaurant Cuisine Wat Damnak que Joannès et sa partenaire Carole Salmon ont ouvert en 2011 s'est classé deux fois dans la liste des 50 meilleurs restaurants d'Asie.

LePetitJournal.com Cambodge : Pourquoi être venu à Siem Reap ?

Joannès Rivière : J'ai choisi de venir m'installer à Siem Reap pour deux raisons. J'avais de la famille qui habitait au Cambodge avant la guerre et j'avais donc entendu parler du pays. Deuxièmement, j'ai travaillé très dur pendant deux ans aux États-Unis et lorsqu'en 2003, j'ai trouvé un emploi en tant que volontaire à Sala Baï, je me suis dit que ça me ferait du bien et j'ai sauté sur l'occasion.

Le Cambdoge est-il propice à l'entrepreneuriat ?

Je pense que le Cambodge est propice à tout. Personnellement, je me suis engouffré dans une voie qui était à la mode d'un point de vue international, mais pas au Cambodge. Tant qu'on a le truc qui fonctionne, c'est toujours propice de venir s'installer au Cambodge. À Cuisine Wat Damnak, la clientèle a beaucoup changé et c'est important de savoir rester en adéquation avec ses attentes.  

Qu'entendez-vous par « la clientèle a beaucoup changé » ?

On a un marché asiatique beaucoup plus important que quand on a ouvert. Les Asiatiques sont plus sensibles aux spécificités de la restauration en Asie que les Européens. Ils ont une notion du rapport qualité/prix que les Européens n'ont pas ici. Par exemple, les touristes chinois ont bien conscience que les prix pratiqués ici sont justifiés, les touristes européens moins.

Le concept de votre restaurant est de travailler les goûts cambodgiens tout en utilisant des techniques culinaires françaises. Cette volonté de fusionner deux cuisines s'est-elle effectuée sans problème ?

En fait, tout le concept du restaurant est, en premier lieu, lié aux difficultés qu'on a pu rencontrer au Cambodge. Par exemple, on travaille sur des produits locaux de la région de Siem Reap à cause des problèmes d'approvisionnement. De plus, les produits importés n'étaient, à l'époque, pas terribles. La décision d'utiliser les produits locaux s'est imposée d'un point de vue professionnel et non d'un point de vue marketing. Nos deux menus sont également basés sur ce concept. Si le restaurant avait une carte, les clients ne prendraient que rarement nos poissons d'eau douce. Alors qu'en imposant un menu, les clients doivent goûter ces produits et ils ne sont pas déçus. De plus, grâce aux menus et aux produits locaux, Cuisine Wat Damnak est le restaurant le moins cher parmi les 50 meilleurs restaurants d'Asie.

Quelles sont les principales réactions de vos clients cambodgiens ? Sont-ils étonnés de voir un Français cuisiner cambodgien ?

Pas du tout, curieusement ce sont eux que ça étonne le moins. Les Français sont beaucoup plus étonnés par exemple. Il y a trois sortes de clientèles cambodgiennes. On a beaucoup de succès avec la communauté locale. Eux sont très contents car ils connaissent les produits, mais ne les mangent plus beaucoup car ils habitent désormais en ville. On a également une clientèle d'anciens, souvent des Cambodgiens de l'étranger qui reviennent ou des gens d'un certain niveau social. Eux sont très sensibles à notre cuisine. Enfin, il existe une clientèle de nouveaux riches et eux n'aiment pas du tout. Ils veulent manger des steaks. On a quand même une clientèle cambodgienne de plus en plus importante, beaucoup de Phnom Penh et un peu de Siem Reap.

La cuisine cambodgienne souffre-t-elle d'un déficit d'image en comparaison avec les cuisines voisines ?

C'est un débat compliqué. Je pense que le Cambodge arrive trop tard et sa cuisine ne sera jamais aussi célèbre que celle  de ses voisins. Le problème, c'est qu'au Cambodge, il n'existe pas de socle commun pour l'apprentissage professionnel de la cuisine. Par exemple en Thaïlande, le Roi a pris l'initiative de réunir les professionnels du secteur afin de s'accorder sur ce qu'est la cuisine thaï et comment la promouvoir. En France aussi, on s'est accordé, du coup, il existe un curriculum commun aux écoles de cuisine. A contrario, au Cambodge, rien de cela n'existe et on laisse les professeurs exprimer leurs visions qui ne sont pas forcément les bonnes. Contrairement à ce que pensent beaucoup de chefs ce n'est pas leur boulot de faire la cuisine d'un pays, c'est le pays qui fait la cuisine des chefs. C'est un problème académique de fond. La cuisine cambodgienne, c'est une cuisine rustique, de ménage et de produits.

Un dernier mot sur l'entrepreneuriat ?

J'ai deux conseils très importants. Premièrement, quand c'est trop beau pour être vrai dans ce pays, c'est trop beau pour être vrai. Deuxièmement, il est très important d'être critique par rapport à ce que l'on fait et de se remettre en question, bien plus qu'en France.

Site web de Cuisine Wat Damnak

Cet article a été publié pour la première fois dans notre édition spéciale à l'occasion du 14 juillet 2017. Vous pouvez télécharger ce journal en version PDF ici.

Propos recueillis par Jim Baldy (www.lepetitjournal.com/cambodge) mardi 29 août 2017

Pensez aussi à découvrir nos autres éditions