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Les Regrets de Joachim Du Bellay, un expatrié à la Renaissance

Du Bellay expatrié RomeDu Bellay expatrié Rome
Écrit par Artémisia
Publié le 23 septembre 2024

Le recueil poétique des Regrets de Joachim Du Bellay (1522-1560) est sans doute l’exemple d’un succès littéraire né d’une expatriation en Italie manquée…

Rares sont les auteurs français qui n’auront pas chanté les louanges de l’Italie, à l’instar de Chateaubriand ou de Stendhal, pour ne citer qu’eux. Pourtant, parmi les déçus, se trouvent deux grands auteurs du panthéon littéraire français, Joachim Du Bellay et Julien Gracq , tous deux natifs des bords de Loire, faut-il y voir un lien?
C’est d’ailleurs à Du Bellay que nous devons la célèbre comparaison entre la Loire et le Tibre, donnant lieu aux vers parmi les plus délicats de la poésie française :

« Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine,
Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur angevine. » (Regrets, XXXI)

De 1553 à 1557, Joachim Du Bellay suit à Rome, en qualité d’intendant, son cousin le cardinal Jean Du Bellay. Il vit douloureusement cet exil qui déçoit ses attentes (« Je suis né pour la Muse, on me fait ménager », Regrets, XXXIX). Il ressent une profonde amertume car tout se joue désormais sans lui à la Cour de France où on l’oublie, tandis que lui perd son temps à Rome où ses ambitions diplomatiques ne sont pas satisfaites et où, âgé d’une trentaine d’années, il se sent prématurément vieilli.
Pourtant, Du Bellay trouve dans l’activité poétique le moyen de sublimer sa douleur et d’en extraire « les fruits » :

« Je ne chante, Magny, je pleure mes ennuis :
Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante,
Si bien qu’en les chantant, souvent je les enchante »
(Regrets, XII)

En cela, la démarche de Du Bellay rejoint celle des poètes modernes (on se souvient du vers de Charles Baudelaire « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or »).
La versification est la passion du poète qui lui rend ainsi expressément hommage :

« Si les vers ont été l’abus de ma jeunesse,
Les vers seront aussi l’appui de ma vieillesse,
S’ils furent ma folie, ils seront ma raison »
(sonnet XIII)

C’est ainsi qu’il rentre en France fort des 191 sonnets que comportent les Regrets. La majorité ont été écrits durant son séjour romain, d’autres se réfèrent au voyage de retour, enfin les 42 derniers (à partir du sonnet 130) semblent avoir été rédigés en France.
Le recueil est salué par la Cour de France tant pour sa grande perfection formelle (Du Bellay usant exclusivement du sonnet et de l’alexandrin) que pour la tonalité tout à la fois lyrique et satirique de son propos.

Vulgarité des distractions de la société romaine
Poète lyrique, Du Bellay délaisse à demi le carcan érudit des références mythologiques (style prisé d’autres poètes de la Pléiade où certains excellent comme Pierre de Ronsard) pour s’attacher à des considérations aux accents plus personnels et sincères. Il rend ainsi hommage à l’amitié (innombrables sont les références à ses amis en France), évoque le mal du pays, la peine au travail ou le manque d’inspiration (« Et les Muses de moi, comme étranges, s’enfuient » Regrets, VI).
Ce lyrisme alterne cependant, et c’est là la particularité du recueil, avec un style satirique que le poète résume en la formule « Du fiel, du miel, du sel ». Par ses vers, Du Bellay attaque ainsi - et exorcise finalement - les ridicules des courtisans et des mœurs romaines qu’il observe pendant son séjour, déplorant de les trouver souvent bien éloignés de ce que les écrits de Virgile et de Pétrarque lui avaient laissé imaginer. C’est ainsi qu’il fustige avec élégance mais sans détour l’hypocrisie, l’ambition, les turpitudes de la ville des cardinaux ou encore la vulgarité des distractions de la société romaine de ses contemporains, comme le palio, la tauromachie et même le carnaval !

Du Bellay retrouvera donc avec soulagement cette « France, mère des arts, des armes et des lois » (Regrets, IX) qu'il appelait de ses vœux durant son exil.
Et c'est comme on le sait, « plein d’usage et raison » que le poète, cette « âme mélancolique dotée d’un esprit railleur », s’en est retourné « vivre entre ses parents le reste de son âge ».

 

Julien Gracq (1910-2007), Autour des sept collines, éd. Corti, 1988.
Joachim du Bellay a vu le jour au château familial de la Turmelière, près de Liré en Anjou.
L’intendant est chargé de régler les dépenses et de négocier avec les banquiers.
Jean Du Bellay (1492-1560), évêque de Paris, homme de confiance de François Ier et diplomate célèbre, envoyé comme ambassadeur à Rome en 1534.
Lagarde et Michard, XVIème siècle, étude sur Joachim du Bellay.

 

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