Lancé en 2016, le traiteur-restaurant parisien, les Cuistots Migrateurs, entend intégrer les réfugiés par l’emploi et faire tomber les préjugés à leur égard. Une salutaire goutte d’huile dans la marmite.
Dans les modernes cuisines en inox d’un vieux bâtiment du centre de Montreuil, il ne reste que Saaeq, peaufinant une sauce, surveillant la fin de cuisson d’une viande. Le trentenaire syrien fait partie de la première fournée des Cuistots Migrateurs, un projet social d’insertion de réfugiés franciliens par la cuisine, qui a vu le jour à Paris début 2016.
Tout commence avec Louis Jacquot et Sébastien Prunier, deux produits de l’ESC Rouen qui avaient pourtant un avenir tout tracé dans le marketing et la finance. A l’automne 2015, en pleine crise de l’accueil des migrants, ils décident de troquer leur attaché case contre un tablier. « Les médias parlaient beaucoup de réfugiés mais avec une approche toujours pessimiste, victimisante, raconte Louis. Et on s’est dit qu’on allait faire un projet qui prenait le contre-pied de tout ça. Comme nous aimions la cuisine et les rencontres interculturelles, l’idée nous est venue de valoriser la cuisine des personnes réfugiées et les intégrer en les employant ».
Commence pour eux la grande aventure des Cuistots Migrateurs. Ils tiennent une belle idée certes, mais sont « complètement perdus », se souvient Louis, dans un sourire. « On ne savait même pas si on pouvait légalement employer des réfugiés ». Recrutés sur « leur motivation, leur envie de s’intégrer, d’apprendre le français, de faire découvrir leur culture à travers la cuisine », les cuisiniers commencent à s’affairer. En CDI et aux heures supplémentaires payées. Un luxe dans ce secteur où le droit du travail est souvent bafoué.
30.000 repas servis
En Février 2016, MakeSense, incubateur d’entreprises sociales passe leur première commande : un buffet pour 30 personnes. Les papilles sont comblées, la formule fait mouche. Les Cuistots Migrateurs investissent, pour l’été, une péniche du 13ème arrondissement parisien puis ouvrent, deux ans plus tard, le restaurant le Hasard Ludique près de la porte de Saint-Ouen.
Saaeq, mécanicien de formation, boucher en Syrie, prend ses marques, dans une administration française hostile « Ca a pris beaucoup de temps pour avoir mes papiers, c’était compliqué. Mais aujourd’hui je me sens bien, je suis à l’aise au travail et j’ai des amis avec qui sortir » nous confie-t-il. Sarah, éthiopienne, rejoint la troupe. Orpheline très tôt, forcée à s’unir à un homme qui l’a violée, réduite en esclave par une famille koweitienne, elle laisse derrière elle un passé douloureux, sur lequel elle ne souhaite pas s’appesantir. « Je n’ai pas envie de rouvrir ce chapitre de ma vie, je suis fatiguée de tout ça. Aujourd’hui je suis heureuse et c’est tout ce qui compte ».
Alors que l’entreprise a servi plus de 30.000 repas et s’apprête à ouvrir un nouvel établissement en plein cœur de Paris, Louis contemple avec satisfaction l’envol de son œuvre. « Beaucoup de personnes nous demandent d’ouvrir en province, nos clients sont avides de rencontres et d’en savoir plus sur nos cuisiniers », explique-t-il.
Des crispations dans le débat migratoire
Pour autant, le fondateur reconnaît que les préjugés sur les réfugiés, auxquels il entendait s’attaquer via la cuisine, « qui met tout le monde sur un pied d’égalité », ont la vie dure : « Les gens ont encore quasi systématiquement l’image de personnes sur la route, dans la jungle de Calais, sous un pont à Stalingrad. Nous essayons de montrer qu’ils sont avant tout nos voisins de pallier ».
Des migrants, bangladeshi ou guinéens, sous-payés à faire la plonge et employés de manière irrégulière, les cuisines parisiennes en regorgent. Pour ceux-là aussi, les Cuistots Migrateurs aimeraient faire un geste. « Nous recevons tellement de candidatures que nous ne pouvons pas satisfaire. Nous avons des projets pour essaimer dans d’autres contextes où les personnes exilées n’ont pas la même chance que nos cuistots ».
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