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Jean-Paul Demoule : les multiples facettes de l'archéologie

Jean-Paul Demoule archéologieJean-Paul Demoule archéologie
Écrit par Selma Djebbar
Publié le 15 septembre 2019, mis à jour le 16 septembre 2019

Jean-Paul Demoule est professeur émérite de protohistoire européenne à l’université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) et membre honoraire de l’Institut Universitaire de France. Il a participé à la création de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), qu’il a présidé de 2001 à 2008. A l'occasion de la sortie de son livre "Trésors, les petites et les grandes découvertes qui font l'archéologie", il accepte de nous accorder une entrevue. 

Lepetitjournal.com : Comment expliquer ce regain d'intérêt pour l'archéologie ?

Jean-Paul Demoule : Ces dernières années il y a un regain d'intérêt pour l'archéologie qui s'explique par le besoin de plus en plus de personnes de savoir « où nous allons dans le futur ». Les gens se sentent plus concernés par ce qui les entoure, par leur histoire. Ça n'a pas toujours été le cas : pendant les 30 glorieuses, on a pu détruire à tour de bras sans se soucier des potentiels sites. Puis, dans les années 80/90, il y a eu un vrai travail de sensibilisation qui porte ses fruits.

L'archéologie, c'est ce qui permet de faire l'Histoire de l'Humanité à partir des vestiges matériels. Nous étudions des civilisations qui sont antérieures à l'écriture, alors notre support de travail sont les traces que les hommes ont laissé. L'écriture n'a que 5000 ans et ne concernait qu'une petite partie du monde où les sociétés étaient organisées en États : la Mésopotamie, l’Égypte et la Chine. Il y a 400 ans, seul 1/3 de l'Humanité vivait réellement dans des États au sens strict.

Une fois que les fouilles sont faites, qu'est-ce-qu'on fait des "trésors" exhumés ?

Il y a plusieurs écoles. L'Italie et la Grèce, par exemple, ont tendance à protéger les vestiges alors qu'en France, on avait l'habitude de tout détruire sans fouilles. Ce n'est que plus tard, il y a 25 ans tout au plus, que les gens ont commencé à exercer une pression sociale pour accorder aux vestiges l'importance qu'ils méritent. Ce n'est pas toujours dans l'intérêt de la préservation, depuis le gouvernement Raffarin, l'aménageur a le droit de mettre en concurrence les archéologues. Ça peut être des entreprises privées qui proposent souvent des prix moins chers. C'est moins cher, c'est plus rapide et ce n'est pas dans l'esprit de la recherche. L'idée de concurrence c'est bien quand il s'agit d'acheter un café, mais l'aménageur ne cherche pas le meilleur archéologue possible, il cherche juste à ce qu'on lui débarrasse son terrain des ruines.

Dans votre livre, vous racontez une anecdote à propos du « parking de Nîmes », pouvez-vous nous en dire plus ?

J'aime bien cette anecdote. A l'époque le maire était furieux de devoir payer pour la fouille. Ça s'était même plutôt mal passé. Il y avait des fresques et des mosaïques qui ont été découvertes, ce qui a attiré pas mal de curieux parmi les habitants. Les gens commençaient à s'inquiéter de ce qui allait advenir de ces mosaïques, et le maire s'en est bien rendu compte. Au mois de décembre suivant, il avait fait faire sa carte de vœux avec la mosaïque en fond et l'année d'après il annonçait la construction d'un grand musée pour la Romanité pour y mettre les fresques et les mosaïques. L'avantage avec les élus locaux c'est qu'ils sont réalistes, en général ils vont dans le sens de leurs électeurs.

Est-ce que l'archéologie et la politique font bon ménage ?

Il peut arriver que l’archéologie soit manipulée au service de causes nationalistes, identitaires. Les nazis l'ont fait en inventant une race aryenne mythique. Elle peut contrarier des intérêts économiques, les archéologues peuvent entraver des projets en empêchant de bétonner partout.

Dans un autre registre, les programmes scolaires commencent par les « grandes civilisations ». Inconsciemment, on considère que les villes, les Etats, les armées, la police , les rois sont les seuls critères de la « civilisation ». L'Histoire est enseignée selon la vision du vainqueur. Pour l'élite, les vrais ancêtres sont Rome, la Grèce et l'Orient. Si vous allez au Musée du Louvre, qui est quand même au centre de la capitale, au Palais des Rois de France, vous n'y trouverez aucun objet qui vienne du territoire français. Les objets « français » vous les trouverez à Saint-Germain- en Laye, où personne ne va. Pour le roman national, ce n'est pas ce qu'il y a de mieux de commencer avec une défaite.

Lors de vos différents travaux de recherche, vous avez étudié la naissance et le déclin de plusieurs civilisations, les scénarii apocalyptiques se multiplient. Que pouvez-vous nous dire de vos observations ?

Nous n'avons pas encore de théorie complète pour expliquer ce phénomène mais statistiquement ça dure souvent un demi millénaire. La domination européenne du monde, qui a duré 500 ans est en train de se terminer. On peut se demander si la Chine va régner 500 ans ou pas. Tout se mesure à échelle globale, à échelle du monde aujourd'hui.

En général les systèmes en phase de déclin sont des systèmes hyper-hiérarchisés et très inégalitaires. Ça provoque la chute de l'élite plus que la chute du « citoyen » lambda. Pour les humains lambda tant qu'il y a de quoi se nourrir, ils iront toujours dans le sens de l'adaptation.

Ce qui est sûr en revanche, c'est que dans 5 milliards d'années le soleil s'éteindra et ça il faudra s'y préparer. Nous vivons actuellement une époque interglaciaire, celles que nous avons pu observer précédemment ont duré 15,000 ans, si on attend encore 3000 ans il fera de nouveau très froid.

 

Selma Djebbar Journaliste
Publié le 16 septembre 2019, mis à jour le 16 septembre 2019
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