Elle est considérée comme l’une des 20 personnes les plus influentes de la culture britannique par la BBC. Le 10 février 2023, l’autrice Zadie Smith a été faite Chevalier des Arts et des Lettres par l’Ambassadrice de France du Royaume-Uni, Hélène Duchêne, pour l’ensemble de son œuvre.
À l’occasion de la Nuit des Idées organisée par l’Institut français à Londres, Zadie Smith s’est confiée sur ses liens avec la France, entre rejet et admiration. De Londres qui l’a vue naître, à Paris et New York où elle a vécu, l’intellectuelle britannico-jamaïcaine raconte les villes qui traversent son œuvre et nourrissent sa réflexion politique.
C’est très étonnant pour une Anglaise de voir autant de jeunes Français dans les cafés en train de lire de lourds romans philosophiques ! Et toutes ces librairies, c’est extraordinaire !
Quelle est votre relation avec la France ?
En réalité, mes premières expériences en France ne m’ont pas laissé de très bons souvenirs. Mes parents ont voulu s’y rendre pour leur lune de miel, mais ils n’ont pas réussi à avoir de chambre. Plus tard, lorsque j’étais jeune, on ne m’a pas laissée rentrer en boîte de nuit parce qu’on pensait que j’étais arabe. Après ces expériences, j’ai en quelque sorte rayé la France de mon cœur.
Cependant, les dix dernières années m’ont apaisée et m’ont réconciliée avec votre pays. Paris ressemble davantage à Londres maintenant, et je me sens la bienvenue. J’ai commencé à y donner des cours d’été pour l’Université de New York (NYU), il y a quinze ans. Je suis tombée amoureuse de la ville, et de cette vie intellectuelle pleinement assumée. C’est très étonnant pour une Anglaise de voir autant de jeunes Français dans les cafés en train de lire de lourds romans philosophiques ! Et toutes ces librairies, c’est extraordinaire ! Je n’ai jamais rien vu de tel en Angleterre. La France est comme un rêve pour moi. D’autant plus que je ne parle pas la langue, donc je reste à jamais extérieure à ce monde.
Vous évoquez Frantz Fanon comme l’une de vos plus grandes inspirations, quelle est son influence sur votre œuvre ?
Ce que j'aime chez Fanon, c'est qu'il est capable d'avoir une réflexion éminemment politique, sans être essentialiste à propos des êtres humains. Il est donc très, très, difficile de faire ce qu'il a fait. Fanon a compris que la race en tant que structure est réelle et qu'elle influence la vie des gens de diverses manières ; mais aussi que la race elle-même n'est pas réelle. Il a compris deux choses simultanément, et c'est une idée que les gens ont encore beaucoup de mal à comprendre aujourd'hui. Deux choses qui semblent contradictoires peuvent être vraies.
A Londres, on ne peut pas vivre dans un rêve éveillé comme à Paris ou à New York. Il n'y a aucun endroit où vous serez à l'abri de la pauvreté, de la tristesse, du désespoir.
Vos romans White Teeth et Swing Time sont situés à Londres. Qu’est-ce que cette ville représente pour vous ?
Récemment, je suis allée à Paris et à New York. Dans ces deux villes, on peut vivre un rêve éveillé. On peut participer à la vie de ces endroits magnifiques, aller prendre un café et s'habiller comme Emily in Paris ou comme dans Sex and the City. A Londres, cela n’est pas possible. Il n'y a aucun endroit où vous serez à l'abri de la pauvreté, de la tristesse, du désespoir.
Pourquoi la ville de Londres est si particulière ?
Cela fait partie de son architecture, je pense. Paris a été construite à la manière des boulevards haussmaniens, et New York est fondée sur une grille, donc vous pouvez garder les pauvres à distance, en haut ou en bas. Londres en revanche, est une agglomération de rues sur 600 ans. Dans n’importe quel quartier, il suffit d'emprunter une rue pour se retrouver dans la version « non télévisée ». Je pense que c'est ce qui rend Londres différente. C'est une vraie ville.
Et donc les Londoniens sont différents ?
On ne voit pas de gens se promener en costume dans Londres. Je suis en costume ce soir, mais à New York, les gens sont habillés dans le style de New York. Et ils disent des choses comme, « baby, this is New York ». Personne ne dit jamais « baby, it’s London ». Cela n’aurait pas de sens. On parle d’un endroit où les gens vivent et travaillent, et c'est assez violent la plupart du temps.
Il y a quelque chose d'un peu sauvage à Londres, et j'aime ça. Lorsque l’on est à New York, on vit dans une illusion, comme si la vie était un jeu vidéo qu’on est sûr de gagner. Je pense que c'est assez difficile de se faire des illusions à Londres. Le niveau de rêve est assez faible (rires).
Tous les écrivains ont cette ambition d’écrire un jour un livre si parfait qu'il glissera de leur cerveau à celui de quelqu'un d'autre sans aucune déformation
En ouverture de la Nuit des Idées, vous disiez que la littérature n’a qu’un pouvoir limité de transformation du monde. Quelle est votre ambition en tant qu’écrivaine ?
Je pense, en vieillissant, que l'ambition de l’écrivain est en réalité très enfantine. En tant qu’autrice, je cherche seulement à être comprise.
Un livre essaie de formuler exactement ce qu’on veut dire. La seule façon d'y arriver est de devenir de plus en plus efficace dans l'écriture. Vous pouvez vouloir dire beaucoup de choses, mais si vous écrivez mal, vous ne pourrez pas les communiquer. Le lecteur recevra quelque chose de complètement différent de ce que vous espérez transmettre.
Je pense que tous les écrivains ont cette ambition d’écrire un jour un livre si parfait qu'il glissera de leur cerveau à celui de quelqu'un d'autre sans aucune déformation. C'est un rêve, que je continue à poursuivre. Je sais que l’écriture est un travail qui me permet de gagner de l’argent, mais pour être honnête, je ne la considère pas comme une profession.