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Les femmes sont payées 73% de moins dans les postes administratifs importants

L'inscription "Mind the Gap" entre la plateforme et le métro britanniqueL'inscription "Mind the Gap" entre la plateforme et le métro britannique
Bruno Figueiredo - Unsplash
Écrit par Marie Benhalassa-Bury
Publié le 25 août 2021, mis à jour le 26 août 2021

Une nouvelle étude révèle un écart salarial plus important encore au sein des conseils d’administration des grandes entreprises que dans le reste du marché du travail britannique.

 

Le Financial Times Stock Exchange (FTSE) de la bourse de Londres liste les 100 entreprises les plus influentes cotées en bourse (FTSE-100) (l’équivalent du CAC français). Des salaires élevés sont donc habituels au sein de ces groupes : un administrateur gagne en moyenne 875 900 livres par an. Ce 23 août, le New Street Consulting Group révèle pourtant une paye de 237 000 livres pour une administratrice dans un groupe important, soit 73% du salaire masculin équivalent.

Un écart exacerbé mais représentatif du marché de l’emploi

Cette différence prend en compte, d’une part, l’écart genré et généralisé des salaires, en moyenne de 15.5% sur le territoire (source : Bureau des statistiques nationales). Mais elle compte aussi la différence de postes attribués à des hommes ou des femmes dans ces milieux plus élitistes : ces dernières décrochent largement moins d’emplois aux fonctions exécutives. On comptera, par exemple, très peu de directrices financières ou directrices générales. Parmi les 350 premières entreprises boursières du Royaume (FTSE-350), 15 sont dirigées par une femme (5.5%). Dans les hauts postes financiers, une autre étude publiée par Fox & Partners révélait un écart de 66% dans les rémunérations chez les deux sexes.

Des objectifs ont été fixés pour tenter de rétablir une relative parité au sein des entreprises : en février, le pallier d’un tiers de femmes siégeant dans les Conseils d’Administration de ces différents business a été mis en place, un but visé par le gouvernement depuis 2016. Claire Carter, dans son compte rendu de l’étude du New Street Consulting Group qu’elle dirige, commente : « se focaliser seulement sur les pourcentages en nombre d’administrateurs ne suffit pas quand l’objectif est l’égalité ». Elle précise ensuite que, quand bien même des femmes briseraient ce plafond de verre et se hisseraient en haut de la hiérarchie salariale, elles gagneraient tout de même 1 million de livres de moins sur leur carrière.

Cette différence est révélatrice de l’écart salarial plus global sur le territoire, quoiqu’elle le dépasse largement. En France, même constat : le gender pay gap s’élève cette fois à 25.7%. Un chiffre qui, lorsqu’on lui soustrait les différences de contrats (par exemple, plus de femmes occupent des temps partiels) et le fait que l’obtention de certains postes soit plus ou moins réaliste pour les femmes, atteint 10%. C’est le fameux pay gap « à poste égal et à qualification égale ». De part et d’autre de la Manche, les causes de cet écart de base se ressemblent.

Un décollage difficile du « plancher collant » vers le « plafond de verre »

Déjà, des études publiées par Milkground ont montré que les femmes sous-estiment largement le poids de leur contribution en termes de profit, et donc de rémunération. Les résultats révèlent que si après un diplôme universitaire, le salaire médian au Royaume-Uni atteint les 30 000 livres annuelles, plus d’un tiers des jeunes diplômées interrogées s’attend à gagner 20 000£ pour leur salaire junior. Une évaluation au rabais conséquente qui n’arrange en rien l’écart salarial, là où les hommes sont bien plus à propos dans l’évaluation de leur valeur sur le marché du travail : on parle ici, en filant la métaphore du plafond de verre, de « plancher collant». En école de commerce française, les femmes sous-estiment également de 3 304€ leur premier salaire annuel. Un résultat dont la communauté militante féministe s’accorde à penser qu’il provient d’une socialisation inégale : on apprendrait plus aux hommes à connaître leur valeur et surtout, à la revendiquer.

De même, les suspicions de maternité entrent dans la liste des facteurs premiers d’inégalités salariales chez les britanniques comme chez leurs voisins hexagonaux. Une employée avec un enfant constate en France 4.6% de réduction salariale effective, là où un homme verra sa rémunération moyenne augmenter de 6%. L’explication la plus plausible étant celle de la décrédibilisation d’une mère en tant que personne fiable, puisqu’elle subit généralement une charge mentale plus importante et verra ses responsabilités souvent accrues.

Les données émises par le Centre de Recherche sur la Gestion du Temps analysées par le Bureau National des Statistiques suggèrent qu’une femme britannique en couple hétérosexuel passera deux fois plus de temps à réaliser du “travail gratuit”. Cette forme de labeur non rémunéré inclut le ménage et autres tâches domestiques, le transport des proches, le soin et l’alimentation des enfants… En somme, le travail qu’un tiers pourrait faire en étant rémunéré, mais qu’un ménage n’a pas le choix que de faire soi-même sans contrepartie. Et ce, quand bien même cette même femme aurait un emploi et son concubin serait au chômage. Il faut enfin prendre en compte le congé parental : au Royaume-Uni, il peut s’étendre jusqu’à 52 semaines pour une femme, là où le père pourra escompter une à deux semaines de congé, légalement moins compensé par l’Etat et par l’employeur. Il fait donc plus sens pour un ménage que la femme prenne son congé maternité, économiquement parlant, ce qui retentit sur son salaire à elle.

Un ensemble non-exhaustif de facteurs de l’inégalité salariale qui retentit d’autant plus sur le monde du commerce, de la finance, du luxe… en bref, des très grandes entreprises. Pour compenser, on note certains efforts du gouvernement britannique : commande du rapport Hampton-Alexander pour analyser la représentation féminine dans les entreprises listées par le FSTE, mise en place d’une charte « Les femmes dans la finance » signée par à peu près 500 groupes, obligation depuis 2018 pour les entreprises de publier leurs chiffres sur les salaires en fonction du genre de l’employé… Mais cette loi ne prévoit pas de sanction en cas de manquements.

Toutes ces mesures ne parviennent pas pour autant à pallier le biais du scarabée, ce biais cognitif qui favorise l'entre-soi démontré par le prix Nobel d’économie George Akerlof. Ainsi, les chefs d’entreprise et directeurs déjà largement masculins vont avoir tendance à privilégier une certaine homophilie dans leurs choix de recrutement - entretenant les boys club que représentent les sommets hiérarchiques des grandes entreprises. Les prédictions sont pessimistes : pas de réduction du gender gap chez les professeurs universitaires pour 40 ans au moins, parité effective dans les grands Conseils d’Administration non attendue avant 2036 (The Pipeline, cabinet de conseil), avec la pandémie comme cause épinglée.