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“The Good Chap”, ce leader britannique exemplaire : une espèce en voie de disparition

Un homme marche dans l'ombreUn homme marche dans l'ombre
Nicola Fioravanti - Unsplash
Écrit par Marie Benhalassa-Bury
Publié le 20 août 2021, mis à jour le 22 août 2021

La démocratie britannique est largement associée à la probité. Cette éthique a fait émerger nombre de leaders forts en lesquels le peuple avait relativement confiance. Un modèle de gouvernance qui semble mis à mal depuis plusieurs années.

 

Historiquement, la figure du « Good Chap », familièrement « le bon gars », encadre le pouvoir en définissant ce que serait un homme politique respectable et moral.

L’origine de cette théorie prend racine dans le fait que, contrairement à d’autres pays européens comme la France, le droit britannique ne se fonde pas sur une constitution écrite et codifiée mais plutôt sur des jurisprudences et des conventions. Il s’agit en fait d’une sorte de “constitution tacite”. Ce sont donc aux politiciens de respecter ces règles implicites et d’exercer le pouvoir de façon honnête puisqu’aucun cadre législatif ou politique ne l’encadre.

Entre en jeu le “Good Chap” : un homme ou une femme qui agit pour l’intérêt public, est intègre, rend des comptes et fait preuve aussi bien de leadership que d’honnêteté. C’est la figure du politicien qui démissionne lorsqu’il a fauté (ou présumément fauté), qui prend des décisions désintéressées... en bref : qui respecte spontanément un certain code de conduite. Tout simplement parce que c’est autour de tels hommes et femmes d’Etat que s’est construit le Royaume durant des siècles.

Le problème étant que cette figure, qui permet au Royaume de se déposséder d’une norme suprême de droit (la Constitution), serait semble-t-il de moins en moins présente dans les faits.

 

« On a cru en la capacité des politiciens à se comporter correctement »

Au XIXe siècle, le premier ministre Gladstone résumait la chose ainsi : « La constitution britannique repose plus fortement qu’aucune autre sur le bon sens et la bonne foi de ceux qui l’exercent ». Ainsi, le droit et, par extension, la politique au Royaume suivent en filigrane des principes moraux et d’insinuations éthiques. D’aucuns épinglent un amoindrissement du rôle de cet archétype, principalement depuis le Brexit voté par référendum en 2016. Theresa May pressant ensuite le parlement en dépit d’échecs historiques face à sa proposition de deals controversés, jugés trop stricts, n’est pas franchement venue corriger cette impression. Un tel affrontement aurait même conduit une Thatcher à la démission la plus immédiate. C’est par ailleurs bien ce qu’elle fit en 1990, se pensant, selon les conseils reçus, incapable de fédérer autant qu’un autre conservateur ne le pourrait.
 

Andrew Blick et Peter Henessy, deux penseurs de l’histoire politique et constitutionnelle, analysent le climat actuel à la lumière de cette mythologie gouvernementale. Ils l’écrivent : La constitution tacite ne s’adapte que trop mal à l’époque ainsi qu’à la perte d’indépendance des journalistes et des décisionnaires, pressés par des lobbies divers et variés. Ou plutôt, le peuple n’a pas pu (ou su ?) rappeler à ces dirigeants ce principe d’exemplarité du bon gouvernement comme le Royaume-Uni en eut le secret historique. Ou bien encore, le système moral sous-entendu dans la figure du « Good Chap » était défectueux depuis le début et les britanniques en payent désormais les frais... Quoiqu’il en soit, la conclusion est la même : Henessy estime que, là où une constitution formelle s’imposerait comme garde-fou des principes-clefs de la gouvernance et des institutions, « à la place, au Royaume-Uni, on a cru en la capacité des politiciens à se comporter correctement, d’eux-mêmes ».

 

« La démocratie des copains » (de Boris)

Dans le quotidien public et civil de ce pays, le bon sens règne. Les britanniques arboraient déjà leurs masques contre le coronavirus, non obligatoires alors, tandis que leur port était presque interdit à leurs voisins d’outre-Manche. La civilité et la politesse sont maîtres mots dans la journée-type de tout british qui se respecte. La tolérance est de mise, jusque dans les accoutrements. Le monde du cinéma et de l’audiovisuels se plaisent à montrer l’homme britannique comme le gentleman parfait. Le Good Chap reprend toutes ces qualités, et en découle une manière de gouverner, de légiférer, mais aussi un art de savoir s’éclipser du paysage lorsque l’on a fauté.
 

Mais la corruption s’étend sur la planète bleue, et le Royaume-Uni n’est pas épargné. De plus en plus de soupçons de mésusage de l’argent public par les élites émergent. La pandémie n’arrange rien, puisque les décisionnaires, et notamment Boris Johnson, sont souvent taxés d'insensibilité face aux victimes du Covid, aux protestations du NHS, des restaurateurs, des jeunes...

Quant à Matt Hancock, s’il a fini par démissionner, il n’en avait pas le choix et n’en était pas à son coup d’essai en termes de déboires politiques médiatisés (scandale du manque de transparence sur le financement des masques, email personnel utilisé à des fins gouvernementales dont on ne sait toujours pas les tenants et aboutissements…). Des affaires et des micro-scandales qui les composent dont Dominic Cummings n’a pas manqué de les révéler un par un. De même, Priti Patel était accusée d’avoir déboursé des sommes faramineuses pour l’entretien de ses sourcils, allégations démenties depuis mais résultant bien d’un manque de confiance envers sa personne. Les controverses s’accumulent et l’exécutif échoue, par-delà le devoir moral de reddition de comptes, à mener des enquêtes, entretenant d’autant plus la résignation populaire.

Pour la professeure de droit Emily Barritt, celle-ci estime que « comparé à la Grande-Bretagne d'il y a dix ans, il y a un niveau de corruption inégalé ». Qui plus est, la complicité médiatique est aussi épinglée, dans un Occident où très souvent sont pointés du doigts les intérêts individuels présidant sur la déontologie journalistique : Cummings déclare en ce sens que le « vrai boss » du blond platine n’est pas la Reine, mais bien le Telegraph (peu affectueusement qualifié de Torygraph au sein de l’archipel).
 

Selon ces spécialistes, on basculerait donc vers un point de complicité entre les élites jamais atteint, semblant tracer une croix quasi-indélébile sur la gouvernance à la Good Chap. La MP Christine Jardine a en ce sens critiqué une « chumocracy » ou : « le pouvoir aux copains ». La figure admirée du gouvernant comme « le bon gars » serait-elle en train de glisser vers celle du « bon ami », révélant un entre-soi qui émiette la confiance du peuple ?