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6 destins de femmes britanniques #6 : Reni Eddo-Lodge, militante noire

Reni Eddo Lodge racisme auteureReni Eddo Lodge racisme auteure
Donna Robertson - Flickr
Écrit par Stéphane Germain
Publié le 15 mars 2021

LePetitJournal.com vous propose de (re)découvrir six femmes britanniques ayant marqué l’histoire. Artistes, scientifiques, espionnes ou même pirates, toutes ont su pousser les murs de leurs époques respectives.

 

En 2014, Reni Eddo-Lodge publie un billet sur son blog. Au sein de ce dernier, elle extériorise son exaspération face à la passivité des blancs quant au racisme endémique qui ronge le Royaume-Uni. Ce billet provoque de nombreuses réactions et suscite le débat à tel point qu’il deviendra, trois ans plus tard, un roman. Why i’m no longer talking to white people about race paraît en juin 2017, et se fait traduire en 2018 en français, dénommé Le racisme est un problème de blanc. Dans cet ouvrage, l’auteure britannique tente de faire entendre aux blancs le privilège inné que demeure leur couleur de peau. Mais aussi, elle souligne que la lutte contre le racisme n’est pas seulement l’apanage des Etats-Unis : au Royaume-Uni aussi, le combat est enraciné dans l’histoire.

 

Une journaliste et auteure engagée

Reni Eddo-Lodge naît en 1989. Elle grandit à Londres qu’elle quitte pour Enfield où elle fera son lycée dans un établissement catholique. Plus tard, elle entame des études à l’Université du Lancashire central dont elle sort diplômée de littérature anglaise en 2011.

Dès l’Université, Reni Eddo-Lodge s’inscrit dans des activités militantes : elle s’implique dans des mouvements féministes (y découvrant par ailleurs les premières limites d’un féminisme omettant les luttes raciales), rejoint des syndicats étudiants et s’embarque dans les cortèges des manifestations.

Si c’est à cette période que le militantisme de la journaliste anglaise s’est affirmé, ses questionnements quant aux couleurs de peau remontent à l’enfance. Dans son ouvrage, l’auteure confie qu’âgée de 4 ans, elle aurait demandé à sa mère, nigériane, quand sa peau se mettrait à blanchir. Elle explique aux médias britanniques qu’elle ne voyait à l’époque que des modèles de femmes blanches : au cinéma, dans les séries, à la télévision, sur les publicités… Il lui semblait donc “naturel” que sa peau devienne un jour blanche.

Son diplôme en poche, Eddo-Lodge travaille en tant que journaliste pigiste pour différents médias, et se spécialise dans les questions d’intersectionnalité et de féminisme. Elle intervient régulièrement à la BBC Radio autour de ces sujets et devient, après la publication de son roman, une figure de la lutte contre le racisme au Royaume-Uni.

Ainsi, le magazine américain Vogue la fait figurer en 2018 sur sa liste des 7 “Nouvelles suffragettes”, aux côtés de Sophie Walker, Stella Creasy, Gillian Wearing, Liv Little, Paris Lees, et Dina Torkia. Dans ce cadre, elle confessera à Vogue son observation des mouvements de lutte contre le racisme qui sont, bien souvent, impulsés et “menés par des femmes”. L’intersectionnalité des luttes est en effet primordial pour Reni Eddo-Lodge, qui déplore amèrement le manque de militantisme et de révolte parmi les personnes blanches quant aux questions de race.

 

Elle met le Royaume-Uni face à la question du racisme

L’auteure a à cœur de faire entendre aux britanniques que la lutte contre le racisme fait aussi partie de leur histoire, à l’instar des Etats-Unis. Dans son ouvrage, Why i’m no longer talking to white people about race, elle implore les blancs du Royaume-Uni de comprendre à quel point le racisme systémique qui sévit dans leur pays "affecte l’égalité des chances des personnes de couleur".

Mêlant archives gouvernementales, exemples personnels, données et recherches universitaires, Reni Eddo-Lodge dresse, dans ce livre, un constat minutieux de l’ampleur des dégâts causés par le racisme au Royaume-Uni. Accès au logement, à l’emploi, à l’éducation... le bilan est sans appel : il est plus facile d’obtenir un travail ou un appartement si le nom de famille ne sonne pas “africain ou asiatique”.

Malgré ces constats preuves à l’appui, pour l’auteure, le Royaume-Uni ne semble pas être un pays “disposé” à “assumer les répercussions et les responsabilités découlant de la colonisation d'autres peuples et cultures”. En effet, elle s’étonne, au cours de ses recherches, d’avoir dû chercher par elle-même des “moments marquants de la lutte contre le racisme au Royaume-Uni.” Elle en conclut qu’elle a volontairement été “laissée dans l’ignorance” par son pays au vu de la quantité d'événements importants qu’elle découvre.

 

Donna Robertson
Donna Robertson - Flickr

 

Pour un pays ayant fait de son multiculturalisme sa marque de fabrique, reconnaître que les questions de racisme sont un sujet passé et présent de son histoire n’est évidemment pas chose aisée. Bien souvent, l’histoire des luttes noires du pays ont été éclipsées : “Pendant que l’histoire britannique noire est privée d’oxygène, le combat américain contre le racisme s’impose comme celui dont nous devrions nous inspirer - éclipsant ainsi tellement l’histoire britannique noire que nous nous sommes convaincus nous-mêmes que le Royaume-Uni n’a jamais eu de problème avec la race” écrit-elle, avant de conclure “Il est temps que nous arrêtions de mentir à nous-mêmes, et aux autres. Prétendre qu’il n’y a jamais eu de mouvements de droits civiques au Royaume-Uni est pur mensonge et dessert l’histoire noire.”

Face à une population qui bénéficie largement de ses privilèges, l’auteure convie alors les blancs à s’approprier cette partie trop vite oubliée de l’histoire du pays, et à renoncer à un certain confort pour lutter vraiment contre le racisme, qu’elle envisage comme un “problème d'état d'esprit bien ancré, que les blancs doivent accepter de résoudre”.

Alors que depuis le Brexit, les crimes de haine raciale sont en constante augmentation au Royaume-Uni, la journaliste s’est érigée en figure de la lutte contre le racisme dans son pays. Avec son livre, elle s’est attirée les foudres d’une partie de la population, mais poursuit son combat bec et ongles. Exaspérée par le “détachement émotionnel” des personnes blanches, elle défend la rhétorique de Martin Luther King qui décrivait les “blancs passifs” comme finalement le véritable danger. En réaction, elle appelle donc les blancs à lutter contre le racisme structurel qui régit le Royaume-Uni en renonçant sciemment à leurs privilèges.

 

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