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Survivre à un cancer du sein en expatriation, quand fragilité rime avec solidarité

Elles s'appellent Cindy, Nelly et Chris. Ces femmes ont vécu le douloureux diagnostic d’un cancer du sein - parfois plusieurs fois - alors qu’elles étaient en expatriation. La rédaction a choisi de partager leurs histoires à l’occasion d’Octobre Rose, avec l’appui expert de Cyrielle Augier, sexothérapeute et thérapeute de couple, pour en sensibiliser un plus grand nombre au-delà des frontières, des âges et, surtout, des ignorances…

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Écrit par Capucine Canonne
Publié le 16 octobre 2024, mis à jour le 17 octobre 2024

 

 

L'annonce d'un cancer est une chose terrible, mais qui l'est plus encore lorsque l’on va être séparée de sa famille qui doit retourner dans le pays d'expatriation...

 

 

Le diagnostic du cancer du sein, et l’expatriation prend un autre tournant… 

Cindy est expatriée depuis 20 ans. En 2016, elle vit avec son mari et ses deux jeunes enfants à Varsovie, en Pologne. Depuis quelques jours, elle se sent fatiguée et demande une échographie mammaire. A 36 ans, elle est prudente. Dans la salle, en langue anglaise, le doute commence : “il y a quelque chose dans votre sein qui ne va pas”. Cindy sort, seule et en larmes, elle qui était venue “la fleur au fusil”. Elle réalise une biopsie. “La personne qui s’est occupée de moi parlait français mais ne savait pas que je n’avais pas encore vu d’oncologue. De fait, ses mots ont été très violents : “vous avez un cancer très agressif, mais je pense qu’il pourra être soigné”. 

En 2007, Chris vit à Hanoï, au Vietnam, où elle a suivi son mari, chercheur à l’IRD. Lors d’un contrôle de routine à Montpellier - qu’elle réalise chaque année lors des congés d’été, consciente d'antécédents dans la famille -, le couperet tombe : Chris a un cancer du sein, à l’âge de 45 ans: “Ce fut un moment très difficile de ma vie, d'autant que l'annonce d'un cancer est une chose terrible mais qui l'est plus encore lorsque l’on sait qu'on va être séparée de sa famille qui doit retourner dans le pays d'expatriation. J'étais anéantie par la nouvelle …” 

 

 

Je peux dire aujourd’hui que mon gynécologue m’a sauvé la vie

 

Nelly vient de rentrer d’expatriation en Russie en janvier 1999 et a donné naissance à son fils. A la suite de son accouchement, elle prend rendez-vous avec un gynécologue de la clinique des Bleuets, trois jours après un passage chez sa gynécologue habituelle. “Je peux dire aujourd’hui qu’il m’a sauvé la vie…Il a décelé une petite tuméfaction et m'a prescrit une mammographie." Nelly réalise une biopsie extemporanée. En juillet 1999, le chirurgien lui annonce que son cancer nécessitera au moins 6 mois de chimiothérapie et 2 mois de radiothérapie. 

 

 

La peur, cette émotion si puissante, est là pour nous protéger lorsque nous sortons de notre zone de confort.

 

“Les récits de Cindy, Nelly et Chris sont teintés à la fois de peur et de résilience. La peur, cette émotion si puissante, est là pour nous protéger lorsque nous sortons de notre zone de confort.” commente la sexologue Cyrielle Augier.  “Dans la maladie, il s'agit de l'accepter, de l'apprivoiser, de la laisser nous accompagner sur ce chemin parfois effrayant.” Pour la sexologue, la peur se double très souvent d’un tourbillon de questions dans une situation d’expatriation : "Où devrais-je être suivie ?", "Reçois-je ici les meilleurs soins ?", "Comment vais-je faire sans le soutien de mes proches en expatriation ?", "Comment puis-je suivre un traitement à distance ?"

 

 

vivre un cancer du sein en expatriation

 

 

 

Octobre Rose, quand la sensibilisation pour des seins sains fait le tour du monde…

 

 

Le choix d’être accompagnée et soignée d’un cancer du sein en France 

Chris fait le choix naturel de rester en France : “Je ne me serais jamais fait soigner au Vietnam pour une pathologie aussi lourde. Mon mari faisait des aller-retour une fois par mois.” Elle reste à Montpellier pendant 10 mois, bénéficiant de 8 séances de chimiothérapie puis d'une chirurgie double - du sein et curage axillaire -, puis 6 semaines de radiothérapie. Après sa guérison et son retour au Vietnam, s’est toutefois posée la question de l'Herceptine, un traitement préventif pour éviter les récidives. “ nous avons réfléchi à la possibilité de faire venir à Hanoi par un avion en respectant la chaîne du froid mais c’était trop compliqué. J'ai renoncé à ce traitement” explique Christine.

 

 

Je suis passée à deux doigts de la mort, à deux heures près je pense que je n’étais plus là.”

 

 

En Pologne, Cindy vit une mauvaise expérience avec un oncologue…Bouleversée, elle se tourne vers une amie française qui lui parle du Docteur Bourgeois, chirurgien à Paris, “je tiens à le citer, il a été extraordinaire” . La maman part en France se faire opérer. Une organisation se met en place autour de ses jeunes enfants qui restent en Pologne avec leur papa. Une fois opérée, Cindy décide de rentrer à Varsovie pour être auprès de ses enfants et se reposer chez elle. Tout se passe bien jusqu’à sa 3ème chimiothérapie. Les résultats de la prise de sang ne sont pas bons. Mal conseillée, Cindy réalise tout de même la chimio. Elle fait une septicémie, son mari est en déplacement. “Je suis passée à deux doigts de la mort, à deux heures près je pense que je n’étais plus là.” Son oncologue lui demande de rentrer toutes les semaines pour des “chimios plus légères mais plus régulières”. Ce que Cindy va faire : “je prenais tous les mercredis matins mon vol vers Paris.” 

 

 

“En 20 ans, les mentalités, les traitements et les moyens ont tellement évolué” constate Nelly, aujourd’hui guérie. 

 

Si Nelly, elle, ne repart pas en expatriation pendant son traitement, son mari continue sa mission à l’international et prend l’avion le lundi pour ne rentrer que le vendredi. La jeune femme va vivre un long tunnel, avec un nouveau né dont elle n’arrive pas - physiquement - à s’occcuper. Suivie à Paris, Nelly n’est  pas préparée à ce qu’il l’attend. Les protocoles sont précis et organisés, mais l’accompagnement manque cruellement d’humanité. “Si j’avais été soignée dans un autre pays, j’aurais peut-être eu la chance d’être mieux considérée” nous confie-t-elle. Son bébé enchaîne alors les bronchiolites et crises d’asthme, “je pense que c'était sa façon d'exprimer son propre désarroi face à cette maman en lambeaux…” Après une récidive en 2002, Nelly repart en expatriation en 2006 à Moscou puis à Varsovie avec son mari et deux enfants. En 2015, ils rentrent en France. En 2020, elle ressent une “boule” au niveau de son sein sain. Un nouveau cancer entre dans la vie de Nelly. Cette fois, elle se fait suivre à l’Institut Gustave Roussy. “En 20 ans, les mentalités, les traitements et les moyens ont tellement évolué” constate Nelly, aujourd’hui guérie. 

 

 

Les amies rencontrées en expatriation m’ont énormément entourée dès l’annonce du diagnostic alors que je n’étais plus expatriée

 

 

se battre contre un cancer du sein

 

 

 

Face à la douleur et la peur… la solidarité expatriée

Nelly a subi plusieurs cancers du sein, entrecoupés d’expatriations. Consciente du privilège d’avoir été soignée dans “deux des meilleurs centres oncologiques de France” - Institut Curie et Gustave Roussy -, elle tient à partager son histoire ici : “Je pense que le choix des soins dépend du pays, Il est clair qu'entre Moscou et Paris, je choisirai la médecine française !” Entourée de ses proches, elle sait aussi qu’elle aurait pu compter sur la communauté française : “les milieux expatriés sont très solidaires et se mobilisent avec beaucoup de sincérité et de générosité, je l'ai constaté en dehors de mon cancer, mais aussi à l’occasion de mon dernier cancer. Les amies rencontrées en expatriation m’ont énormément entourée dès l’annonce du diagnostic alors que je n’étais plus expatriée en 2020” 

 

 

Avoir un cancer du sein n’est pas tabou, nous sommes loin de chez nous, nous avons besoin d’aide...

 

Cindy a vécu cette immense solidarité dont parle Nelly : “A Varsovie, une amie qui venait de finir son traitement de cancer du sein a été d’un support énorme pour mes enfants. Elle leur disait “vous voyez, moi aussi j’ai eu une grosse boule méchante mais je suis encore là, comme votre maman”. Lorsque Cindy rentre en Pologne après son opération, un système se met en place autour d’elle, en plus de ses proches en visite à tour de rôle : “la communauté expatriée française de Varsovie est exceptionnelle. J’avais créé un doodle où mes amies s’inscrivaient pour les trajets d’école, les vacances, les weekends…” Cindy s’appuie sur tous ces soutiens et en parle autour d’elle, tout comme son fils à ses amis : “avoir un cancer du sein n’est pas tabou, nous sommes loin de chez nous, nous avons besoin d’aide…”. Aujourd’hui, Cindy reconnait un système de santé français incroyable par rapport à d’autres pays du monde “même s’il est souvent critiqué” 

 

"Nelly, Cindy et Chris ont su tisser de nouveaux liens et des réseaux de soutien, parfois aussi forts que des liens familiaux.” témoigne Cyrielle Augier

 

Chris aussi a pu compter sur son entourage en expatriation, même depuis la France : “l’Ambassadeur de France à Hanoi et son épouse - Jean-François et Sabine Blarel - , mes amis, sont venus à Montpellier m’apporter leur soutien.” A Hanoi, Chris confie sa fille dans une famille lorsque son mari rentre : “je dois reconnaître qu’Isabelle a été une 2ème maman pour notre fille. Au Lycée Alexandre Yersin, proviseur et surveillants ont aussi beaucoup soutenu ma fille et je les en remercie…” À son retour à Hanoi, Chris est bouleversée par l’accueil chaleureux à l’aéroport. Aujourd’hui complètement guérie, “mis à part un épaississement sur le poumon lié à la radiothérapie et un lymphoedème au bras, conséquence du curage axillaire”, Chris vit à Montpellier avec son mari toujours en activité. “Nelly, Cindy et Chris ont su tisser de nouveaux liens, recréer des amitiés et des réseaux de soutien, parfois aussi forts que des liens familiaux.” témoigne Cyrielle Augier à la lecture des témoignages, rappelant que c’est dans l’adversité que naissent des connexions intenses et des amitiés profondes qui pourraient durer toute une vie. 

 

 

je le reconstruis après un cancer du sein en expatriation

 

 

 

Comment se réapproprier son intimité et sa sexualité après un cancer en expatriation

 

 

Se reconstruire après l’épreuve d’un cancer du sein

Après plusieurs semaines d'Herceptine et 5 ans d’hormonothérapie, Cindy - qui vit aujourd’hui en Suisse - est suivie et tous les résultats sont bons. Elle souhaite partager ici sa reconstruction à la fois psychologique et physique : “Je veux parler d’Alexia Cassar. Elle fait du tatouage 3D de tétons et m’a tatoué le mien, d’un incroyable réalisme. Cette artiste m’a permis de clore le chapitre de ma reconstruction, je la recommande vivement.” Une démarche très importante selon Cyrielle Augier : “ Comme beaucoup, leur chemin ne s’arrête pas avec la rémission. Après le cancer, une autre forme de guérison commence : celle de l’estime de soi, de l’amour pour soi-même et, plus tard, de la relation à l’autre. Le corps, souvent transformé par la maladie, nécessite un réapprentissage : réapprendre à l’aimer, à accepter ses changements, ses cicatrices. La guérison physique n’est que le début. L’émotionnelle, elle, demande du temps, de la patience, et beaucoup de douceur.” explique la sexologue et thérapeute.

 

Octobre Rose - le tatouage pour oublier le cancer du sein

 

 

 

Leurs mots pour ceux et celles qui vivent le cancer du sein en expatriation… 

Séparée pendant 10 mois de son foyer, Chris souhaite envoyer un message d’espoir à ceux et celles qui subiront un cancer du sein loin de chez eux, en France ou en expatriation : “Il faut accepter la séparation avec sa famille, aussi difficile soit-elle, car les traitements nous fragilisent et dans ce combat qu'il faut mener, nous ne sommes plus en mesure de prendre soin de notre famille. En repartant à Hanoi, ma fille a réussi à prendre de la distance avec ma maladie et elle a réussi son Bac.” confie-t-elle. Une décision saluée par Cyrielle Augier : “Face à ces obstacles, ces femmes ont fait des choix courageux : pour elles-mêmes, pour leur santé, pour leurs enfants, pour leur conjoint, pour leur futur.”

 

 

survivre d'un cancer du sein une grande victoire

 

 

Oui, ça va être dur...Mais gardez en tête que vous allez y arriver. 

 

Nelly insiste sur la nécessité de choisir un lieu de confiance pour se soigner - “là où vous pouvez vous exprimer et échanger”- et exprimer son mal être : “les solutions existent mais c’est souvent aux patientes de les trouver”, face à des soignants parfois à bout de souffle. “Il est essentiel de se rappeler que chaque parcours est unique. Il n’y a pas de chemin tout tracé. Savoir demander de l’aide, se faire accompagner, c’est un acte de courage et de force. Prenez soin de vous, et entourez-vous du soutien nécessaire” martelle Cyrielle Augier.


Cindy, Nelly et Chris sont unanimes : aux lectrices et lecteurs de cet article, le mot d’ordre est de rester vigilant, ne rater aucun rendez-vous de mammographie, se palper régulièrement, ou demander à son médecin de le faire. “Oui, ça va être dur” conclut Cindy, “mais gardez en tête que vous allez y arriver. Il n’y a pas de plan B, donc suivez le plan A ! ”

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