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Laïcité dans les établissements français de l’étranger : « éduquer à la tolérance »

Des enfants courent dans une école française de l'étrangerDes enfants courent dans une école française de l'étranger
Écrit par Caroline Chambon
Publié le 21 juillet 2021, mis à jour le 26 décembre 2023

Le 9 juillet se tenait un colloque de l’AEFE sur la laïcité dans les établissements français de l’étranger. La question de son application dans des pays non-laïcs était au centre du débat.

Le vendredi 9 juillet à Porte de Charenton, l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (AEFE) organisait un colloque sur le thème : « Faire vivre l’esprit de laïcité : une force pour le réseau d’enseignement français à l’étranger ». Comment aborder la laïcité dans des pays marqués par un fort contexte religieux ? Il s’agissait du thème de la première table ronde. Au fil de cette discussion, les intervenants se sont exprimés sur les possibilités de transmettre la laïcité à la française dans des espaces où cohabitent des cultures et religions diverses. Permet-elle le « vivre ensemble » ou est-elle au contraire source de conflits ?

 

La laïcité à l’école comme « moyen d’instaurer les valeurs de paix » et de tolérance

Au fil de leurs interventions, les différents participants ont tous insisté sur la capacité de la laïcité à fédérer et à favoriser le respect d’autrui au sein des établissements, entre élèves comme personnels. Les différentes religions sont souvent le signe de cultures qui divergent les unes des autres. « La question de la laïcité se trouve aux USA incorporée à la question de société plus large de la diversité », explique Gaëtan Bruel, conseiller de coopération et d’action culturelle (COCAC) à l’ambassade de France aux Etats-Unis. Selon Soeur Nawal Akiki, proviseure du Collège des Saints-Cœurs Ain Najm au Liban, pays connu pour son caractère multiconfessionnel, « L’enseignement du fait religieux dans les établissements scolaires confessionnels renforce la laïcité et contribue à instaurer une culture de paix ». Cette dernière devient alors un « projet philosophique »

 

Gaëtan Bruel
Gaëtan Bruel, conseiller de coopération et d'action culturelle (COCAC) à l'ambassade de France aux États-Unis.

 

« Nos élèves vivent dans un contexte qui n’est pas laïc, à l’extérieur comme à l’intérieur de l’école. », explique Patricia Reynaud, proviseure du Lycée français de Kuala Lumpur Henri-Fauconnier (Malaisie), où 70% de la population est de confession musulmane. « Et pourtant nous sommes bien un établissement laïque, car ce qui compte ce sont les valeurs de respect, de tolérance, la liberté individuelle de pensée », poursuit-elle. Pour Bruno Lassault, chef d’établissement du Lycée français de Djibouti, il n’y a aucun doute : « C’est vers cette laïcité ouverte qu’il faut aller, une laïcité qui prône le principe de liberté ».

 

Patricia Reynaud
Patricia Reynaud, proviseure du Lycée français de Kuala Lumpur Henri-Fauconnier (Malaisie). 

 

La laïcité comme moyen de passer outre les différences à l’étranger

La laïcité est régulièrement présentée, en France, comme un filtre qui passerait outre les affiliations religieuses dans l’espace public. C’est la laïcité qui est prônée au sein du Collège protestant français de Beyrouth, au Liban. « Les élèves et parents s’attachent à gommer tous les signes religieux », explique Olivier Gautier, son proviseur. « L’école reste un lieu protégé de l’influence extérieure où la communauté met tout en oeuvre pour que le ciment soit étalé de façon lisse à chaque instant », poursuit-il.

 

Olivier Gautier
Olivier Gautier, proviseur du Collège protestant français (Beyrouth, Liban). 

 

En Côte d’Ivoire, Etat laïque où les musulmans représentent 43% de la population et les chrétiens 32%, la religion est tout de même omniprésente. « À l’intérieur du Lycée international Jean-Mermoz d’Abidjan, la laïcité est le ciment de l’établissement. », argue Jean-Claude Meunier, le chef d’établissement. « Ce principe permet de faire vivre toutes les nationalités et cultures différentes de manière apaisée » explique le proviseur, fervent défenseur d’une laïcité « qui se vit au quotidien ».

 

Adapter la pratique de la laïcité au contexte local

Est également ressortie de cette table ronde l’importance de prendre en compte le contexte local et de mettre en place une laïcité « flexible », qui vient renforcer la tolérance sans aller complètement à l’encontre de la réalité de chaque pays et culture. « La séparation de l’église et de l’Etat est vécue différemment ici. Aux Etats-Unis, la lettre de Jefferson de 1802 qui interprétait le premier article de la constitution établit la même séparation, au fond, que la loi française de 1905. Cependant, la liberté d’expression américaine autorise les élèves à porter des signes religieux. », explique Gaëtan Bruel en guise d’exemple.

 

La laïcité a plusieurs interprétations selon l’endroit où elle est pratiquée. « Il faut être très vigilant avec les personnels nouveaux arrivants dans les établissements, qui ont parfois une vision un peu dure de la laïcité, un peu passéiste », prévient Jean-Claude Meunier. « Nous fêtons toutes les fêtes religieuses du pays », explique Patricia Reynaud, pour qui « Il est impératif de tenir compte du contexte géopolitique, de la sensibilité, c’est essentiel. » Et Bruno Lassault de rappeler : « Nos établissements sont soumis aux lois locales, nous ne pouvons donc pas faire un copier coller de ce qui se fait en France ». « La laïcité est une philosophie. Il faut éviter qu’elle devienne un dogme », conclue le proviseur du Lycée français de Djibouti.

 

Bruno Lassault
Bruno Lassault, proviseur du Lycée français de Djibouti. 

 

La nécessité de vigilance et de responsabilité dans la pratique de la laïcité

Bien que la laïcité soit un vecteur de respect et de tolérance, les intervenants mettent en garde contre les difficultés qu’il est possible de rencontrer. « Les établissements français ont donc un rôle à jouer pour présenter des perspectives différentes, même s’ils doivent parfois faire face à des conflits culturels souvent implicites », explique Gaëtan Bruel. « Notre communauté scolaire est un échantillon de toute la société libanaise, et donc de toutes les confessions. La seule façon de faire vivre un tel établissement est d’asseoir une laïcité de tous les instants. », appuie Olivier Gautier.

 

Selon Jean-Claude Meunier, « le chef d’établissement et ses équipes doivent incarner une certaine bienveillance, une éthique professionnelle ». Ils mettent tous l’accent sur la nécessité de ne pas faire d’erreur de jugement et de bien distinguer ce qui est une atteinte à la laïcité de ce qui ne l’est pas. « Il y a une vigilance à avoir quant à la pédagogie de la laïcité. Il faut que ce soit perçu comme un bénéfice et un accès à une culture commune », insiste Bruno Lassault. « L’écueil à éviter est d’entrer dans une guerre idéologique au niveau des établissements, qui serait ravageuse. Il s’agit donc bien d’éduquer à la tolérance, et non pas de laïciser au sens laïcard du terme », ajoute-t-il.

 

Jean-Claude Meunier
Jean-Claude Meunier, proviseur du Lycée international Jean-Mermoz (Abidjan, Côte d'Ivoire).

 

La laïcité dans les établissements français de l’étranger est donc ce qui permet des rapports apaisés entre tout un chacun. Sa pratique et son esprit sont cependant différents de ce qui peut être observé en France. Une nécessaire adaptation au contexte local s’impose. « La laïcité n’est pas objet de conflits, car elle n’est pas interrogée. Ce qui compte ce sont les valeurs de la laïcité. C’est l’esprit plus que la lettre », conclut Patricia Reynaud.

 

 

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