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Ecriture inclusive : évolution de la langue ou aberration ?

Alors que la francophonie est célébrée en ce mois de mars, la question de l’écriture inclusive refait surface. « Indigeste », « illisible », voire « péril mortel » pour certains, cette écriture est le meilleur moyen de combattre les stéréotypes de sexe pour d’autres. Faut-il féminiser la langue française et si oui à quel point ?

écriture inclusiveécriture inclusive
Écrit par Damien Bouhours
Publié le 24 mars 2021, mis à jour le 7 novembre 2023

 

« Vous n’avez pas pu résister à l’écriture inclusive. Quel intérêt de saboter la langue française ?Impossible de lire un article jusqu’au bout. Je ne comprends pas cette obsession pour des choses qui sont tout, sauf de vrais combats », nous expliquait une lectrice après la publication de l’article : Vous êtes fatigué.e ? La faute à la pandémie !. Ce message mécontent n’est pas isolé. Nous en recevons des dizaines à chaque utilisation de ce qui pourrait s’apparenter à un point médian. En ce mois de la francophonie, nous avons voulu savoir pourquoi l’écriture inclusive divise-t-elle autant ?

Qu’est-ce que l’écriture inclusive ?

L’écriture inclusive est avant tout une manière de comprendre les stéréotypes de sexe et combattre les inégalités femmes-hommes inhérents à la langue. Pour de nombreux historiens et grammairiens, le français d'il y a 400 ans était d'ailleurs beaucoup plus inclusif. L’historien du langage, Bernard Cerquiglini, évoque ainsi une « vague de masculinisation » du français au 17e et 18e siècle. Le Conseil de l’Europe a adopté, en 2008, une recommandation visant « l’élimination du sexisme dans le langage et la promotion d’un langage reflétant le principe d’égalité entre les femmes et les hommes», qui avait ensuite été reprise et complétée dès 2015 par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes dans un guide qui fait référence.

Le débat d'une langue moins sexiste ne concerne pas que le français. Le suédois a ainsi inclus "hen" un pronom non-genré, de plus en plus utilisé. L’allemand innove avec le *innen au pluriel. L'astérisque remplace le point médian pour l'italien inclusif. Les mots peuvent se terminer en a/o en espagnol.

 

écriture inclusive

 

Quelles sont les recommandations principales de l’écriture inclusive ?

  • Accorder les noms de métiers, titres, grades et fonctions : Ce n’est qu’à partir du 17e siècle que les règles de masculinisation sont entrées en vigueur pour les métiers et les fonctions. Le guide préconise l’utilisation de noms féminisés comme « cheffe », « autrice/auteure » ou encore « pompière ».

 

  • User du féminin et du masculin dans les messages adressés à tous et toutes : Dans la langue française, le masculin l’emporte quand on évoque un groupe de personnes. L’utilisation du point médian permet d’exprimer le masculin et le féminin. On pourrait ainsi écrire : « les électeur.rices », « les sénateur.rice.s » ou « les enseignant.e.s ». L’usage du point médian, considéré par beaucoup comme illisible, peut être évité en utilisant des termes neutres comme « les élèves » ou en énumérant les termes masculin et féminin : « les électeurs et électrices » ou « les lycéennes et les lycéens». Le guide conseille dans ce cas de classer par ordre alphabétique pour ne pas avoir toujours le masculin en premier, ou le féminin par galanterie.

 

  • Accorder l’adjectif avec le sujet le plus proche : Les promoteurs de l’écriture inclusive recommandent de ne pas systématiquement accorder au masculin avec le pluriel mais de privilégier l’accord de proximité. On écrira donc « les électeurs et électrices sont divisées » ou « les Français et les Françaises sont heureuses ». Comme le rappelle le Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe : « l’usage du masculin n’est pas perçu de manière neutre en dépit du fait que ce soit son intention ».

 

  • Eliminer les formulations sexistes : L’écriture inclusive veut avant tout combattre les stéréotypes sexistes et les formulations occultant le féminin. Les expressions « chef de famille » ou « mademoiselle » sont alors bannis, de même pour « droits de l’Homme » qui devient « droits humains », ou « journée de la femme » qui se transforme en « journée du droit des femmes ».

 

La langue française se trouve désormais en péril mortel

Qui veut la peau de l’écriture inclusive ?

L’écriture inclusive ne date pas d’hier mais fait l’objet d’une levée de boucliers en France depuis 2017 et la publication d’un manuel d’histoire-géographie des éditions Hatier incluant une féminisation des métiers et l’utilisation du point médian. Le Premier ministre de l’époque, Edouard Philippe, avait alors «  invité » les membres du gouvernement  « en particulier pour les textes destinés à être publiés au Journal officiel de la République française, à ne pas faire usage de l'écriture dite inclusive ».

Jugée illisible et trop politisée, l’écriture inclusive fait débat sur la toile mais également sur les bancs de l’Assemblée nationale. Une proposition de loi a été déposée le 23 février dernier par 60 députés Les Républicains et La République en marche pour interdire son usage dans les documents administratifs. L’Académie française, bien qu’elle soit favorable à une féminisation des noms de métiers, a mis en garde en 2017 contre l’écriture inclusive : « devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures ».

Eugénie Pettigrew-Leydier, orthopédagogue, et lauréate du Prix du public des Trophées des Français de l’étranger 2021, souligne que l’apprentissage du français est également compliqué par l’utilisation de l’écriture inclusive : « l’écriture inclusive engendre des obstacles dans l'utilisation et l'apprentissage du langage écrit, particulièrement dans le cas des élèves qui ont une dyslexie par exemple, où la lecture n'est pas automatisée. » La fondatrice d’AIDEOR, soutien en ligne pour les élèves français à l’étranger, ajoute : « lorsqu'on dit ''écriture inclusive'', on entend ''retrouver un tronc commun et ajouter l'accord du genre''. C'est une gymnastique mentale et un cout cognitif important à investir pour un élève qui a déjà des difficultés avec la lecture et/ou l’écriture. »

 

Les réticences se cristallisent aujourd'hui sur le point médian

Un point final sur le point médian ?

Raphaël Haddad, directeur associé de l'agence de communication Mots-Clés et auteur du Manuel d'écriture inclusive, nous a témoigné que l’écriture inclusive était « un levier pour faire progresser l'égalité femmes-hommes en changeant nos manières d’écrire ». « Nous en constatons désormais les effets au sein des collectivités et des entreprises que nous accompagnons sur cet enjeu », a-t-il ajouté. Selon lui, « les réticences se cristallisent aujourd'hui sur le point médian », qui n’est pourtant pas obligatoire dans l’utilisation de l’écriture inclusive. « Nous préconisons un usage raisonné de ce point. En limiter l'usage aux mots très proches dans les formes féminines et masculines : "salarié·e" fonctionne, mais pas "agriculteur·rice" ni "joyeux·euse" ! », nous a-t-il confié. Le formateur ajoute : « Dans les faits, ce point est une abréviation. De la même manière que "Madame" peut s'écrire "Mme" et "Monsieur" "M.", "citoyennes et citoyens" peut s'écrire "citoyen·nes" par convention d'écriture. Et cela s'oraliser de manière dépliée  "citoyennes et citoyens". Ainsi précisé, on comprend bien que le point milieu n'est pas si difficile ; en tout cas pas davantage que l'accord des verbes pronominaux placés après le COD que l'on enseigne en 5ème, ou l'imparfait du subjonctif rencontré en 3ème. »

En ce mois de la francophonie, le débat autour de l’écriture inclusive prouve bien une chose : l’évolution de la langue française attise les passions. Une manière de prouver, si besoin était, que la 5e langue mondiale est loin d’être morte.