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La laïcité française « porte en elle le principe général de liberté »

Des élèves dans une salle de classeDes élèves dans une salle de classe
Écrit par Caroline Chambon
Publié le 5 mai 2021, mis à jour le 5 mai 2021

En France, la laïcité, valeur constitutionnelle fondamentale, fait l’objet de débats passionnés. lepetitjournal.com s’est intéressé à son histoire tumultueuse et à sa pratique dans les établissements français de l’étranger.

 

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. » peut-on lire à l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958. Si la laïcité est généralement un point d’accord, les échanges s’échauffent facilement lorsqu’il s’agit d’évoquer le rôle de la laïcité en France aujourd’hui et son champ d’action. Le terme « laïcité » revient en effet de plus en plus dans le débat, et provoque de nombreuses controverses. A tel point que, le 18 avril, dans une interview au Journal du Dimanche, la ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, a annoncé la tenue d’Etats généraux de la laïcité à partir du 20 avril, et ce pendant trois mois.

L’occasion de revenir sur l’histoire de la laïcité en France et sa spécificité, et de se pencher sur sa mise en oeuvre et son enseignement au-delà des frontières françaises, dans les établissements français de l’étranger.

 

Pourquoi des Etats généraux de la laïcité ?

Lors de l’annonce des Etats généraux de la laïcité, Marlène Schiappa a mis en avant la nécessité de débattre du sujet pour « rassembler autour de la laïcité française » et trouver des points d’accord. Cette démarche a réuni, mardi 20 avril, plusieurs penseurs au Conservatoire national des arts et métiers, à Paris. Ont répondu présents, entre autres, l’essayiste Caroline Fourest, l’académicienne Barbara Cassin, et le philosophe Gaspard Koenig. Durant ces trois mois d’échanges, plusieurs débats et groupes de réflexion seront organisés pour penser la laïcité aujourd’hui. Seront abordés, entre autres, les thèmes suivants : « Laïcité et intégration citoyenne » et « La laïcité au travail ». En partenariat avec make.org, une consultation est organisée, récoltant la participation de 50.000 jeunes.

 

Affiche des Etats généraux de la laïcité

 

Organiser un débat après une loi, l’annonce concentre les critiques

Dès leur annonce, ces Etats généraux de la laïcité ont été vivement critiqués par plusieurs figures politiques de l’opposition, qui dénoncent une instrumentalisation de la laïcité à des fins de stigmatisation des musulmans. Yannick Jadot a notamment martelé « La laïcité est un joyau de la République. Il faut que ce gouvernement arrête de l’abîmer. Qu’elle devienne un outil de propagande est scandaleux. », arguant qu’« on ne fait pas un débat après une loi ». L’eurodéputé EELV fait ici référence au projet de loi « confortant le respect des principes de la République et la lutte contre le séparatisme », adopté le 12 avril dernier en première lecture par le Sénat. Présenté en conseil des ministres en décembre 2020, ce texte a été fortement durci par le Sénat, qui y a notamment ajouté des mesures interdisant le port du voile ou autre signe religieux pour les parents accompagnant les sorties scolaires. Ce projet de loi cristallise les tensions autour de la laïcité. La position du gouvernement est claire : ces Etats généraux ne serviront pas à mettre au point un nouveau projet de loi sur la laïcité, mais plutôt à apaiser les esprits et le débat sur la question en France.

 

 

 

 

Aux origines de la laïcité en France : la loi de 1905

L’élaboration de ce projet de loi est, en partie, une réponse à la décapitation de l’enseignant Samuel Paty le 16 octobre 2020 à Conflans-Sainte-Honorine, et à l’attaque terroriste de la Basilique Notre-Dame-de-l’Assomption à Nice le 29 octobre de la même année.


Mais les origines du débat sur la laïcité en France et de ce particularisme français sont à chercher bien plus loin dans l’histoire française. Lors de la Révolution française, en 1789, le sentiment antireligieux commence à prendre ses marques dans la bourgeoisie républicaine, qui voit dans l’Eglise catholique une figure autoritaire. Les tensions se cristallisent jusqu’à ce que, le 9 décembre 1905, soit adoptée la loi concernant la séparation des églises et de l’Etat, portée par le député républicain-socialiste Aristide Briand. Cette séparation stricte que l’Etat établit avec les églises est à l’origine de la conception de la laïcité en France, que certains de nos voisins peinent à comprendre et considèrent même parfois comme « radicale ». Le passé colonial de la France l’a conduite à être en contact avec d’autres religions que le christianisme et le judaïsme. Dans la deuxième moitié du 20ème siècle, la France connaît plusieurs vagues migratoires, provenant notamment d’Afrique du Nord, où la religion majoritaire est l’islam. 

 

Le port de signes religieux, cristallisation du débat sur la laïcité

Le 18 septembre 1989, le proviseur du collège Gabriel-Havez de Creil, dans l’Oise, expulse trois jeunes filles musulmanes, Leila, Fatima et Samira. A l’origine de cette exclusion : leur refus de retirer le foulard qui leur couvre les cheveux en classe. Cet épisode marque le début du débat sur le port du voile en France. Selon le directeur, Ernest Chénière, le port du voile contredit la loi de 1905 sur la laïcité, car l’expression religieuse est réservée au cadre privée. Les trois jeunes filles sont finalement autorisées à revenir à l’école, en l’absence de loi réglementant le port de signes religieux.

Il faudra attendre 1994 et la « circulaire Bayrou » pour que la législation commence à se pencher, timidement, sur la question. En mars 2004, un projet de loi interdisant les signes religieux ostensibles est adopté. Mais le débat sur le voile n’en a pas fini de faire couler de l’encre, puisqu’en 2010, le Parlement adopte un texte interdisant le port du voile intégral dans les lieux publics. En 2013, la première « Charte de la laïcité à l’école » voit le jour. A l’été 2016, c’est le burkini qui se retrouve au coeur de la polémique, suite à la promulgation de plusieurs arrêtés municipaux interdisant son port.

 

Le déplacement du débat, de la laïcité à l’islamisme radical

En France, la communauté musulmane représente environ 6% de la population. Le port du voile et du burkini s’est converti, pour certains, en un acte de « révolte » à l’égard de l’inflation législative à ce sujet. Dans un sens, l’élaboration de lois à ce sujet a contribué à politiser un signe religieux qui ne l’était pas nécessairement. Dans ce contexte de forte polarisation des opinions, l’islamisme radical a fait son lit. Depuis le début du 21ème siècle, le terrorisme islamiste s’est attaqué aux sociétés occidentales, avec l’attentat des Tours Jumelles en 2001, celui de la gare d’Atocha à Madrid en 2004, et, en France, entre autres, les attentats du 13 novembre 2015.

Le débat sur la laïcité s’est ainsi presque entièrement déporté sur le séparatisme religieux et le terrorisme. D’un autre côté, la frontière entre le politique et le religieux est devenue d’autant plus poreuse que les interventions politiques à ce sujet se multiplient. Selon Marlène Schiappa, « La laïcité n’est en aucun cas une arme de répression contre les religions. Nous voulons justement sortir de la tenaille entre, d’un côté, les identitaires d’extrême droite, et, de l’autre, les indigénistes et Europe Ecologie-Les Verts. J’invite chacun à prendre la parole dans le cadre des Etats généraux. ».

 

Collège Protestant Français de Beyrouth
Collège Protestant Français de Beyrouth, Liban 

 

L’enseignement de la laïcité dans les établissements français de l’étranger

Dans ce contexte tendu, comment envisager la laïcité aujourd’hui ? lepetitjournal.com s’est intéressé à l’enseignement de la laïcité dans les établissements français de l’étranger, situés parfois dans des pays marqués par le multiculturalisme et leur confessionnalisme. Rozenn le Guennec, inspectrice de l’AEFE en histoire-géographie et en éducation morale et civique (EMC), et Olivier Gauthier, proviseur au Collège Protestant Français de Beyrouth au Liban, un établissement conventionné, reviennent sur l’enseignement et la pratique de la laïcité au sein de l’AEFE.

Au sein de l’AEFE, la laïcité guide les enseignements et les mentalités. « Nous concevons la laïcité comme une force qui crée un espace de concorde permettant d'enseigner et d'étudier dans un cadre serein, avec des élèves de toutes origines et confessions », relate Rozenn le Guennec, avant d’ajouter : « L'esprit de la laïcité est indissociable dans nos établissements du vivre ensemble ». Selon Olivier Gauthier, la laïcité est « le ciment » de l’enseignement dans le Collège Protestant Français de Beyrouth. « Dans un établissement dont le nom-même porte un héritage confessionnel et dont la population, à l'image du Liban, se compose d'une mosaïque de communautés, la laïcité permet d'instaurer une concorde entre toutes et tous », précise-t-il.

La pratique de la laïcité au sein des établissements est humaniste. « Chacun vient à l'école avec ses croyances, mais personne ne fait acte de prosélytisme. On se côtoie et on vit ici sans se poser la question de la représentation religieuse et de différences culturelles », explique le proviseur. « La laïcité à la française est un cadre général qui offre des possibilités. Elle n'est pas un dogme contraignant, au contraire. La laïcité, c'est l'ouverture. C'est le multiculturalisme. C'est le respect d’autrui. », ajoute Rozenn le Guennec, avant de poursuivre : « Il peut y avoir ponctuellement des tensions. Dans ces cas-là, elles sont gérées par un dialogue intense des équipes de gestion avec l'éventuel conseil de l'Agence, tenant compte du règlement intérieur des établissements et de l'esprit de la laïcité. »

 

Des pistes pour l’avenir ?

Est-il possible aujourd’hui d’apaiser ce débat, et de réconcilier ces deux pans de la société si fondamentalement opposés dans leurs convictions ? « Fort heureusement, la laïcité « à la française » n’est pas dogmatique ; elle tient compte des origines et cultures de chacun. Les programmes scolaires nous y aident, en promouvant chez les élèves un esprit de tolérance et de libre-pensée, car la laïcité porte d’abord en elle le principe général de liberté », affirme Olivier Gauthier.

Selon l’inspectrice, « Les débats sont sains, et il est important de pouvoir les mener dans un cadre serein, ce qui peut-être manque parfois. La laïcité est un concept central de la République, et un concept vivant, car la société évolue ». De son côté, Olivier Gauthier est convaincu que l’application pacifique de la laïcité dans son établissement est « la modeste preuve que la laïcité « à la française » peut s'exporter et prendre corps dans une école du réseau à condition, toutefois, de ne pas faire de contre-sens ni d'échafauder de lieux communs à partir des termes qui la qualifient. »  « Dans ce contexte, il ne s'agit pas de laïciser ; il s'agit d'éduquer à la tolérance et au libre arbitre. », précise-t-il.