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Diane Le Luyer : « Le système français doit être plus accessible »

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Écrit par Aurélie Billecard
Publié le 21 septembre 2020, mis à jour le 22 septembre 2020

Diane Le Luyer, chercheuse en géographie politique et sociale, a écrit une thèse sur les Français de l'étranger, en s'appuyant sur ceux de Londres. Elle nous explique comment l'Etat français appréhende les besoins et les attentes des expatriés, et comment ces derniers perçoivent la France depuis l'étranger.

 

Pourquoi avoir écrit une thèse sur les Français de l'étranger, en prenant les Français de Londres pour exemple ?

Pendant mes études je me suis passionnée pour les migrations, les diasporas, la façon dont la société investit l'espace à travers le monde. Pour ma thèse j'ai choisi de croiser cet intérêt avec un sujet d'actualité : les Français de l'étranger. 

Londres est un cas particulier sur le plan politique et social, c'est une ville cosmopolite, mondialisée, qui centralise beaucoup d'enjeux, beaucoup de populations différentes, beaucoup de Français aussi. Et avec le Brexit, tout a été bouleversé, ça n'a fait que confirmer mon intérêt pour ce terrain, il y avait vraiment quelque chose à creuser. Et puis il y a le Plan École, qui est un cas exclusif de coopération institutionnelle.

Pour rencontrer les Français de Londres, j'ai opté pour deux méthodes. Dans un premier temps je suis passée par le réseau personnel des élus de l'AFE (Assemblée des Français de l'Etranger) que j'avais déjà interviewés. Par ce biais je ne parvenais à approcher qu'un certain types de profils d'expatriés, assez marqués socialement (actifs, plutôt csp+, 35-50 ans, mariés avec enfants). C'était intéressant, mais c’était conforme à l’image caricaturale des expatriés français travaillant tous dans la finance. Je voulais donner la parole à d'autres types de personnes, à des profils différents. Je suis donc passée par les groupes Facebook sur lesquels les Français (souvent plus jeunes) échangent beaucoup. J'ai eu accès à des profils bien plus divers. Notamment des individus précaires pour qui l'expatriation n'est pas le rêve attendu.

 

Quel est le regard des Français de l'étranger à propos des mesures instaurées par le gouvernement français ?

La notion de Français de l'étranger est plus complexe qu'il n'y parait, et je ne pense pas qu'il y ait une représentation unique qui s'en dégage. Je pense que les pouvoirs publics français gagneraient à s'adapter davantage à la diversité des expatriations, à la diversité des citoyennetés qui naissent de l'expatriation. Mais il faudrait de réels moyens et une réelle volonté de le faire. Les Français de l'étranger ont souvent une méconnaissance des mesures instaurées par l'Etat, et peuvent avoir envie, parallèlement, de couper un peu les ponts avec le système français pendant leur expatriation, de se changer les idées... et de se tourner vers un système local qui répondrait plus concrètement à leurs besoins.

 

Pourquoi les expatriés se tournent-ils de plus en plus vers le système local ?

Sur le plan électoral, lorsque c'est possible, les expatriés votent assez souvent dans leur pays de résidence pour les élections locales. Ils participent assez peu pour les élections consulaires et législatives, car ils ne comprennent parfois pas les contours de leur rôle, concrètement. En revanche ils votent le plus souvent pour les élections présidentielles françaises.

Pour ce qui est du système d'enseignement, les Français sont nombreux à s'adresser aux écoles locales, qui sont souvent gratuites et plus accessibles.

A partir de là, il peut y avoir une mise en compétition des systèmes locaux et français, à cause du manque d'adéquation du système français aux besoins des expatriés, tant sur le plan scolaire qu'électoral.

 

L'Etat français appréhende-t-il correctement les besoins et inquiétudes des expatriés ?

J'ai constaté une forte volonté politique de la part de l'Etat français d'appréhender les besoins des expatriés, par le système de représentation et par le système scolaire notamment. Mais ça ne fonctionne pas toujours, parfois par manque d'acuité sur les problématiques locales. C'est la raison pour laquelle j'articule le paradigme stato-national (l'Etat-nation) et la post-modernisation. La France exporte le modèle français à l'étranger (par exemple les établissements scolaires), alors que de nombreux Français n'ont ni la possibilité, ni l'envie, ni les moyens d'y scolariser leurs enfants et y préfèrent les écoles locales. Par son modèle politique, la France est confrontée à un problème pour répondre aux besoins des Français. Ce qui est déclaré être fait pour eux ne correspond pas toujours à leurs attentes. Les élus le reconnaissent et agissent pour y remédier, par le biais de formules plus facilement accessibles : le CNED, les associations FLAM, les partenariats et les filières bilingues.

 

Comment le gouvernement français peut-il davantage se rapprocher des citoyens français à l'étranger ?

L'Etat pourrait conserver et valoriser ce lien avec les Français de l'étranger en adaptant les moyens qu'il déploie pour répondre à leurs besoins... en admettant qu'ils ne sont pas tous des cadres supérieurs faisant rayonner la France à l'étranger. Si on reprend l'exemple de l'enseignement, il faut que le système scolaire français soit plus accessible géographiquement et moins coûteux pour les citoyens. Cela permettra de minimiser les inégalités d'accès tout en maximisant la capacité d'accueil des structures pédagogiques. A mon sens, cela nécessitera une recomposition de l'offre.

 

Quelles opportunités l'expatriation offre-t-elle ?

C'est assez subjectif, tout dépend de chacun. Le facteur professionnel est une motivation pour beaucoup de Français. Dans mon cas, la recherche en sciences humaines et politiques est assez mal valorisée en France, ce qui n'est pas forcément le cas dans d'autres pays. C'est assez courant dans mon domaine et c'est ce qui pourrait m'inciter à tenter l'expérience.

Plus généralement, je considère que se dépayser, s'intégrer, participer à un autre système est un avantage culturel et politique immense. Cela permet de voir les choses sous un autre angle.  Je pense qu'à l'avenir, il y aura de plus en plus de citoyens qui choisiront un pays en cohérence avec leurs valeurs politiques et sociales.

 

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