Ancienne proviseure et députée, Samantha Cazebonne est sénatrice des Français de l'étranger depuis 2021. Membre de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport, elle s'engage principalement en faveur de l'éducation et des droits des Français de l'étranger. Dans un entretien avec lepetitjournal.com, elle revient sur ses priorités pour 2024 : “Nous sommes des citoyens à part entière et il est fondamental que nous soyons entendus.”
“Nous devons veiller à ne pas défaire ce qui a été accompli et à améliorer ce qui doit l’être.”
Quelle est votre réaction à la nomination de Michel Barnier, et qu’est-ce que vous attendez du nouveau gouvernement à venir, notamment pour les Français de l'étranger ?
Je souhaite évidemment le meilleur à notre Premier ministre, car la tâche qui l’attend n’est pas simple. Il devra faire preuve de pédagogie pour rassurer les parlementaires sur sa ligne politique. Certains peuvent avoir des doutes sur son orientation peut-être plus droitière. Tout dépendra de la direction qu'il choisira d'adopter, que nous suivrons évidemment, avec plus ou moins de résistance. Mais l’objectif, - que je partage avec la majorité de mes collègues au Sénat comme à l'Assemblée nationale - est de le voir réussir, tout en maintenant un niveau élevé d'exigence. Nous devons veiller à ne pas défaire ce qui a été accompli et à améliorer ce qui doit l’être.
“Pour ce qui est des Français de l'étranger, je tiens à souligner que nous ne sommes pas une variable d’ajustement. Nous sommes des citoyens à part entière et il est fondamental que nous soyons entendus.”
En ce qui me concerne, je serai particulièrement attentive à ce qu’il concrétise certains engagements pris par les gouvernements précédents, notamment en matière d’éducation. Par exemple, faire vivre le pass éducation*, qui a été promis pour les Français de l'étranger, et qui est crucial pour les familles qui ne peuvent pas scolariser leurs enfants dans le système homologué. Il est aussi essentiel de poursuivre les efforts de dématérialisation, ainsi que de renforcer le soutien à l’enseignement français à l'étranger.
Enfin, les Français de l'étranger ne sont pas pas une variable d’ajustement. Nous sommes des citoyens à part entière et il est fondamental que nous soyons entendus. Ayant appartenu à la majorité présidentielle, j’ai pu faire passer certains messages, même si tous n'ont pas toujours été pris en compte. Mais dans l’ensemble, je reste optimiste. J’espère également que les oppositions ne chercheront pas systématiquement à déstabiliser le gouvernement. Lorsque je voyage à l'étranger, je constate que dans certains pays, l’obstruction parlementaire peut ralentir gravement l'économie. Je trouverais regrettable que le mauvais fonctionnement de nos institutions parlementaires ralentissent des sujets urgents que nous avons à traiter dans les prochains mois.
Qu’est-ce que le pass Education ?
L'objectif du pass éducation est de valoriser le parcours des enfants français à l'étranger, même ceux qui ne sont pas scolarisés dans les lycées français. Environ un tiers des enfants français à l'étranger étudient sont dans ces établissements, mais il y a aussi tous les autres, notamment ceux qui étudient dans des écoles locales ou IB. Ils risquent parfois de perdre le lien avec notre langue, notre culture, et même nos valeurs. L'idée est de leur offrir des outils pour comprendre notre culture et notre histoire, essentiels pour ces futurs citoyens qui iront un jour voter. Il est important qu'ils puissent saisir le sens de ce qui représente la France. C'est aussi une manière pour la France de reconnaître tous ses enfants à l'étranger, pas seulement ceux qui ont la chance d'être scolarisés dans le réseau des établissements français homologués.
“C'est aussi une manière pour la France de reconnaître ses enfants à l'étranger”
Concrètement, il s'agit d'un dispositif de financement, l’équivalent d’un chèque, destiné à permettre à ces enfants de suivre des cours de langue, voire de recevoir des enseignements spécifiques en histoire-géographie, en éducation civique et morale – toutes ces matières qui permettent de maintenir un lien avec leurs racines françaises. Le dispositif ne couvrirait peut-être pas tous les frais, mais il en prendrait une partie en charge. Ce serait une nouvelle offre proposée par des organismes comme les Alliances françaises ou le réseau FLAM pour ne citer qu’eux. Le projet évolue, car il doit aussi composer avec les réalités institutionnelles. En tant que responsables politiques, nous faisons des propositions, mais l'administration nous rappelle parfois certaines contraintes : certaines idées sont réalisables, d’autres moins.
Abordons la plateforme collaborative ReflexeS, dédiée à l'enseignement français à l'étranger, que vous avez mis en place. En quoi consiste-t-elle ?
La plateforme ReflexeS donne tout son sens au mot « réseau ». « Ref » fait référence aux premières lettres de « réseau d'enseignement français ». L'idée était de créer un espace unique pour les familles, les élèves et tous les acteurs de l'enseignement français à l'étranger, qui centralise l'ensemble des informations pertinentes. Au lieu de devoir consulter séparément les sites de l'AEFE, de la Mlf, de l’AFLEC, ou d'autres structures du périmètre, ReflexeS regroupe toutes ces informations en un seul endroit. L’objectif est de simplifier l'accès à la communication liée à l'enseignement français à l’étranger.
Nous avons également mis en place des capsules vidéo de trois minutes, appelées « Les 3 minutes réflexes » dans lesquelles des experts de l'enseignement français à l'étranger répondent à des questions, que ce soit pour des novices, initiés ou experts. Les sujets sont divers, à l’instar de l'inclusion, l’orientation, ou le fonctionnement même du réseau. Par exemple, qu’est-ce qu’un établissement homologué ? Quels sont les statuts des établissements, qu’ils soient EGD, conventionnés ou partenaires ?
Enfin, nous organisons des « rendez-vous réflexes » environ tous les deux à trois mois, en fonction de mon emploi du temps parlementaire. Le prochain rendez-vous est consacré aux Palmes du réseau d'enseignement français à l'étranger, présentées lors d'un rendez-vous ReflexeS le 3 octobre 2024.
Samantha Cazebonne, son ReflexeS pour « imaginer l’école française de demain
“Je crois que nos citoyens ont besoin de cette proximité avec leurs élus pour continuer à croire que nous comptons aussi et que nous portons leur réalité comme des messagers."
Quelle est votre feuille de route pour 2024 ? Quelles sont vos priorités ?
Ma priorité est d’être au plus proche du terrain. Je crois que nos citoyens – et vraiment, j'en fais le constat tous les jours – ont besoin de cette proximité avec leurs élus pour continuer à croire que nous comptons aussi et que nous portons leur réalité comme des messagers. Je continuerai à me déplacer pour rencontrer les consulats, les établissements scolaires, les parents d'élèves, ainsi que les équipes consulaires. Là où je ne peux me rendre physiquement, la visioconférence me permet de maintenir ce lien indispensable.
Ma feuille de route reste donc fidèle à cette approche. Je me concentre sur les sujets où je pense avoir le plus d'impact politique. Dès le début de mon mandat, j'ai compris que se disperser ne permettait pas d'aboutir à des résultats concrets. Je suis fière d'avoir déjà deux propositions de lois à mon actif, spécifiquement en faveur des Français de l'étranger.
Je dois, bien sûr, répondre à mes obligations nationales, comme le vote du budget et ma participation à la commission éducation. Mais le cœur de mon mandat reste la défense des Français de l'étranger. Mon objectif est de rester en phase avec leurs attentes sur le terrain, tout en portant leurs préoccupations à l'échelle nationale. Ils ont raison d'avoir des exigences envers leurs représentants, et je m'efforce d'y répondre.
“Une de nos priorités est d’obtenir des places dans des centres d’hébergement spécifiquement dédiées aux Françaises vivant à l’étranger”
Vous avez participé mi septembre 2024 à une réunion sur les violences faites aux femmes françaises vivant à l'étranger, notamment les violences conjugales et intrafamiliales. Pouvez-vous nous en parler ?
Ce sujet est, pour moi, source d’une certaine frustration. Je voudrais d’abord rendre hommage à ma collègue, Amélia Lakrafi, qui est particulièrement engagée sur cette question et qui a beaucoup œuvré pour faire avancer un certain nombre de mesures. D’ailleurs, juste avant la dissolution, nous avons eu une réunion avec les ministres Franck Riester et Aurore Bergé, qui s'est également saisie de la question des violences faites aux femmes. Nous avons réalisé un état des lieux des besoins à couvrir, notamment en ce qui concerne l’assistance et le retour des femmes victimes de violences à l’étranger.
La situation varie beaucoup selon les pays. Dans certains, l’assistance offerte aux victimes est parfois plus développée qu’en France. Nous devons donc, pour ceux-ci, nous inspirer de leurs pratiques. En revanche, pour d’autres pays, il est essentiel d’identifier les mesures à prendre : par exemple, obtenir des places dans des centres d’hébergement ou mettre en place des numéros d’urgence accessibles depuis l’étranger. Il y a aussi une réflexion sur la formation des agents consulaires et des services qui accueillent les Français victimes de violences. L’un de nos combats continuels est de faire reconnaître la spécificité des Français de l'étranger. Car, souvent, les mesures mises en place en France sont excellentes, mais les Françaises et Français de l’étranger sont oubliés. Je dis Français car les violences touchent aussi les hommes et les enfants dans le cadre de violences intrafamiliales.
Mais nos moyens d’actions sont limités à l’étranger. Nous nous efforçons donc de collaborer avec les ONG, les consulats et d’autres services pour trouver des solutions, comme l’a récemment suggéré ma collègue Amélia Lakrafi, qui a proposé que les lycées français à l’étranger puissent servir de lieux de repli pour les victimes. En ce qui me concerne, j’interviens surtout en renfort.
“Recensez-vous, car chaque Français compté à l'étranger renforce notre poids collectif.”
Est-ce que vous avez un mot à faire passer à nos lecteurs du Petit Journal en tant que sénatrice des Français établis hors de France ?
Nous, les élus, pouvons porter des sujets que certains Français n'osent pas toujours transmettre en raison d’un éloignement de la vie politique, d’un sentiment de déconnexion avec la France. Nous constatons souvent que beaucoup de nos concitoyens à l'étranger ne se manifestent qu'en cas de crise grave. Il est parfois trop tard pour entamer les démarches qui leur auraient permis de bénéficier pleinement de leur statut de Français. Je pense aux ressortissants en situation de détresse, ceux qui ne s'inscrivent pas sur le fil d’Ariane, qui ne se recensent pas auprès des services consulaires, ou encore ceux qui pensent que les bourses scolaires ne sont pas faites pour eux.
“Mon message est simple : n'oubliez pas que vous êtes Français.”
La France a des devoirs envers vous, tout comme vous envers elle. Recensez-vous, car chaque Français recensé à l'étranger renforce notre poids collectif. Plus vous serez nombreux à vous recenser, plus notre représentation des Français de l'étranger sera forte dans l'échiquier politique national.