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P. Forteza - «Le numérique est un facilitateur pour le service public»

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Écrit par Damien Bouhours
Publié le 21 novembre 2019, mis à jour le 22 novembre 2019

Paula Forteza, députée de la 2e circonscription des Français de l’étranger (Amérique Latine et Caraïbes), nous a accordé une interview exclusive dans laquelle elle revient avec passion sur les enjeux numériques en France mais également pour les Français de l’étranger.

 

Pouvez-vous nous parler de la loi Engagement et Proximité ?

C’est une loi à la base sur les élus de proximité de métropole qui essaie de leur donner plus de pouvoir et plus de reconnaissance. Je me suis mobilisée avec les autres élus des Français de l’étranger et le ministre Jean-Baptiste Lemoyne pour intégrer un volet pour les conseillers consulaires. On doit revaloriser cette fonction qui est très mal comprise de nos concitoyens à l’étranger. C’est un travail ingrat pour les élus car leurs missions ne sont pas claires et leurs moyens pas suffisants. La première mesure est le changement de dénomination des conseillers consulaires car on les confond souvent avec les agents du Consulat. La dénomination retenue est celle des conseillers des Français de l’étranger, ce qui sera plus clair car ils sont dans un rôle de conseil, d’assistance et de représentation des Français de l’étranger. La deuxième mesure qui avait été demandée est de donner la présidence du conseil consulaire, qui décide des bourses, du STAFE notamment, aux élus et non au poste diplomatique. On veut faire, au maximum possible, le parallélisme avec ce qui est fait en métropole. Les postes consulaires auront un rôle de rapporteur de ce qui se passe lors de ces conseils consulaires pour amener un regard plutôt technique, sur le budget et la faisabilité, et ainsi cadrer le débat. Une autre proposition est de proposer aux conseillers consulaires de pouvoir accéder à des formations pour pouvoir progresser dans leur carrière, comme les élus en Métropole. La dernière mesure est de faire appliquer la charte de l’élu local qui cadre de manière déontologique le métier d’élu, avec des questions liées à la probité, la transparence, l’exemplarité et aussi l’assiduité aux réunions.

Cela sera accompagné d’autres mesures plus symboliques comme la possibilité pour les élus de porter l’écharpe lors de cérémonies publiques et également des questions liées aux ressources comme la possibilité d’accéder à des salles pour des réunions et des permanences.

Les Français de l’étranger sont un laboratoire pour la Métropole

 

Nous allons vers une dématérialisation des procédures administratives (certificats de vie notamment), en quoi est-ce essentiel aux Français de l’étranger ?

On se bat là dessus depuis le début du mandat. L’administration numérique est particulièrement importante pour les Français de l’étranger qui sont éloignés et qui n’ont accès aux services que dans les capitales des pays. La question des certificats de vie est un exemple clair de ceci. On avait beaucoup de remontées des citoyens car les services postaux des pays fonctionnent de manières très diverses. Les certificats n’arrivaient pas à temps et il y avait des suspensions dans les retraites avec un impact terrible sur la vie de ces personnes. On recevait des dizaines et des dizaines de demandes par semaine sur ce sujet. Cette mesure va énormément faciliter la vie des Français de l’étranger avec la mutualisation des certificats et la dématérialisation. C’est une avancée qui simplifie mais qui a aussi un impact concret sur les ressources et les pouvoirs d’achats des familles à l’étranger.

 

Et le retour du vote en ligne ?

Sur le vote en ligne, cela a aussi été une grosse demande. On l’avait déjà expérimenté précédemment mais il avait été enlevé pour des raisons de sécurité. Il y a donc eu un travail pour s’assurer que le système ne puisse pas être attaqué, avec plusieurs tests dans les postes consulaires. Le système est maintenant stable et on pourra donc l’utiliser pour les prochaines élections consulaires. A ce niveau là, les Français de l’étranger sont un laboratoire pour la Métropole pour expérimenter à échelle réelle des outils qui pourront être déployés à un autre niveau.

 

Pouvez-vous nous parler de la mission sur l’identité numérique en France dont vous avez été nommée rapporteure pour la Commission des Lois ?

Ce sujet montre aussi à quel point le numérique peut être un facilitateur pour le service public. L’identité numérique va devenir une infrastructure clé pour les services publics dans les années à venir. On va pouvoir faire ce que l’on appelle depuis longtemps le « dites-le nous une fois », c’est à dire que l’on n’ait pas à donner nos documents et nos renseignements à chaque fois qu’on fait une démarche administrative. Cette identité sera la porte d’entrée unique pour l’ensemble du service public. Il y aura pleins d’applications : pour la retraite, la santé, le Pôle emploi ou l’éducation. Mais également dans le domaine privé, comme la banque, l’économie circulaire, le commerce en ligne… Il faut cependant que l’on fasse très attention de le faire dans un contexte de confiance où les gens sont assurés que leurs données sont protégées. On s’inspire beaucoup de l’Estonie dans ce domaine, qui a un système très transparent où les citoyens peuvent suivre quel agent a eu accès à quelle donnée, quand et à quelle fin.

 

Les citoyens s’emparent de ces nouveaux outils.

 

En janvier 2018, vous avez mis en place la plateforme Questions citoyennes au gouvernement, les Français sont-ils au rendez-vous de cette citoyenneté 2.0 ?

Nous avons reçu plus de 900 questions et on a une trentaine de collègues qui se saisissent de ces questions pour les poser au gouvernement. Ce qui est intéressant avec cette démarche, c’est qu’on institutionnalise ces initiatives de Civic tech car on branche des plateformes à un cadre institutionnel existant. Le gouvernement est dans l’obligation de répondre aux députés et on veut se servir de cette prérogative pour donner des réponses officielles aux citoyens. On se fait le lien entre le gouvernement et le citoyen. La question qui avait été posée au gouvernement sur les certificats de vie avait ainsi été posée sur la plateforme.

Les citoyens s’emparent de ces nouveaux outils. On l’a vu aussi pendant le grand débat avec cette plateforme qui a recueilli des millions de contributions. Dans ma circonscription, il y a un intérêt grandissant pour la démocratie participative, notamment au Chili dont la crise rappelle beaucoup ce qui s’est passé avec les gilets jaunes. Les députés des Français de l’étranger sont aussi des ambassadeurs à l’international pour ce type d’initiatives.

 

Vous allez intervenir lors de la semaine de l’Innovation Publique, est-ce que les institutions publiques sont, selon vous, dans une optique d’innovation ?

 

J’avais travaillé auparavant à Etalab qui est la mission du Premier ministre qui s’occupe de l’open data et du gouvernement ouvert. Donc il y a un travail fort qui est fait sur comment importer des méthodes qui s’inspirent du monde du numérique, du monde des start-ups, qui sont plus agiles, itératives et qui ciblent l’utilisateur. Il faut partir des besoins des utilisateurs et construire des outils autour de ces besoins. On a cette équipe qui s’appelle les starts-ups d’Etat qui identifient ce qu’ils appellent des « irritants » et trouvent des solutions pour y répondre. Par exemple, ils sont rendus compte qu’il y avait un manque d’information sur les aides disponibles aux citoyens et ont donc créé un portail qui s’appelle « mes aides » pour justement les sensibiliser sur les aides auxquels ils ont droit.

Il y a aussi le programme des entrepreneurs d’intérêt général, une idée inspirée par l’administration Obama, qui fait venir des talents du secteur privé au sein de l’administration pendant un temps donné, comme cela a été fait, par exemple, pour créer des archives numériques pour les bibliothèques.

 

Vous avez été chargée d’une mission sur l’informatique quantique, pourquoi la France doit-elle rattraper son retard en la matière ?

La France n’est justement pas encore à la traîne et on peut donc facilement récupérer notre retard sur ce sujet. Nous avons des chercheurs qui sont très qualifiés en physique quantique. C’est un moment où il y a un bouillonnement sur le sujet et on essaie de voir comment cela va se dérouler. Il ne faut pas s’enfermer que dans la recherche fondamentale. Il faut qu’on aille à la rencontre des industriels, des start-ups pour réfléchir à quelles vont être les applications possibles de ces nouvelles technologies, comme l’optimisation dans tous les circuits logistiques, sur la révolution de l’intelligence artificielle, tout ce qui est en lien avec la médecine, les matériaux. Il faut une recherche plus appliquée et c’est comme ça pour qu’on pourra aller plus vite que les autres.

 

Cette lutte contre la corruption, mais aussi la transparence et la solidité institutionnelle, sont des sujets sur lesquels la France peut aider.

 

Au vu de ce qui se passe actuellement en Amérique Latine, que ce soit avec l’élection de Jair Bolsonaro, le départ d’Evo Morales de Bolivie ou encore la situation au Chili, doit-on craindre une montée des populismes ?

C’est quelque chose que je combats. J’ai émis des alertes notamment sur la question de la corruption. Cette lutte contre la corruption, mais aussi la transparence et la solidité institutionnelle, sont des sujets sur lesquels la France peut aider. Chaque fois que je vois des conflits politiques qui tombent dans la violence comme au Chili, je veux insister sur le fait qu’il faut plus de démocratie, de débat, de libération, d’écoute des citoyens, de leurs revendications. Ce serait intéressant qu’au Chili, on puisse avoir un processus comme le grand débat, pour que l’on puisse résoudre la crise à travers la participation citoyenne. La diversité et la non discrimination sont aussi essentielles et elles sont d’ailleurs malheureusement remises en cause actuellement au Brésil.

 

On pense aussi aux droits des femmes en Amérique Latine…

On a beaucoup travaillé là-dessus. On a eu une rencontre récemment à l’Assemblée nationale avec Marlène Schiappa et des expertes de la lutte pour les droits des femmes. Les débats étaient très intéressants. On parle d’une 4e vague de féminisme qui viendrait d’Amérique Latine. Le terme de féminicide a d’ailleurs été inventé là-bas. Nous n’avons pas actuellement en France ce cadre juridique pour qu’il y a des circonstances  aggravantes quand une victime est tuée parce qu’elle est une femme. Marlène Schiappa travaille actuellement dans ce sens. C’est un travail que j’essaie de porter également. Je me suis positionnée notamment sur la question du droit à l’avortement en Argentine, en respectant bien sûr les choix démocratiques locaux.

 

Je crois beaucoup au tirage au sort pour résoudre cette crise de confiance et cette défiance envers les élus

 

Vous êtes la porte-parole de Cédric Villani pour sa candidature à la mairie de Paris. Vous basez cette campagne sur un concept de démocratie active, pouvez-vous nous en expliquer les différents dispositifs ?

 

J’ai dans ce cadre là la liberté d’expérimenter et de faire des choses plus ambitieuses que l’on arrive à faire parfois au niveau national. On va ainsi mettre en place un tirage au sort au niveau de nos listes pour permettre à des personnes qui sont en dehors des réseaux politiques habituels et qui ne sont pas membres d’un mouvement, d’accéder à des postes de responsabilité et faire quelque chose pour leur ville. On a mis en place une première expérimentation avec 10% de nos candidats sur nos listes, donc 48 citoyens, qui seront à différentes places, dont la plupart éligibles. On a mis en place une plateforme candidater.cedricvillani.paris où les gens peuvent s’inscrire et il y a des critères d’éligibilité. Il faut habiter à Paris, être ressortissant européen, avoir plus de 18 ans, avoir un casier judiciaire vierge et déclarer sur l’honneur ne pas être membre d’un parti ou mouvement politique. On va faire un premier tirage au sort pour réduire le nombre des candidatures et les voir en entretien, pour s’assurer qu’ils répondent aux critères, nous montrer les justificatifs et signer une charte sur nos valeurs et principes. un dernier tirage au sort sera fait avec les personnes qui répondent à tous les critères.

Je crois beaucoup au tirage au sort pour résoudre cette crise de confiance et cette défiance envers les élus car c’est le moyen le plus représentatif d’élire des responsables politiques. On s’inspire de la démocratie athénienne où beaucoup de responsabilités politiques étaient attribuées au hasard. Socrate disait ainsi que n’importe quelle personne peut être gouverné.e et gouvernant à un moment. Le système au niveau global est donc plus juste. Je crois qu’on va avoir de plus en plus dans nos instances de représentation une part de citoyens tirés au sort.

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