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Restitution d'oeuvres : la France « décolonise » ses musées nationaux

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Écrit par Aurélie Billecard
Publié le 13 décembre 2020, mis à jour le 17 décembre 2020

L’activiste congolais Emery Mwazulu Diyabanza multiplie des tentatives de vols dans des musées nationaux, pour dénoncer le pillage de l’Afrique par la France colonialiste. De son côté, le Sénat approuve un projet de loi relatif à la restitution des oeuvres au Bénin et au Sénégal, créant un débat autour de la propriété des oeuvres. L’État français doit rendre vingt-six pièces d’ici l’année prochaine.

 

Le 12 juin 2020, Emery Mwazulu Diyabanza et quatre autres militants ont tenté de s’emparer d’un poteau funéraire africain au Musée du Quai Branly. En brandissant l’oeuvre, ils dénonçaient le pillage de l’Afrique et demandaient la restitution des oeuvres saisies par la France pendant la colonisation. L’activiste congolais a été jugé le 30 septembre devant le tribunal correctionnel de Paris pour « tentative de vol en réunion d’un objet mobilier classé », et a été condamné à une amende de 1 000 euros. 

 

Une multiplication de tentatives de vols

Emery Mwazulu Diyabanza retente sa chance au Musée colonial de Marseille le 30 juillet. Il brandit un sabre originaire de Papouasie-Nouvelle Guinée, mais se fait vite rattraper par la sécurité. Cependant, le militant ne baisse pas les bras et continue sa mission, consistant à récupérer les oeuvres pillées en Afrique, aujourd’hui exposées dans des musées européens.

Le 22 octobre, une nouvelle tentative de vol se produit au Musée du Louvre. Dans une vidéo publiée sur Twitter, nous pouvons voir l’homme secouer une oeuvre pour la retirer de son socle : « Nous sommes venus récupérer ce qui nous appartient. Je suis venu reprendre ce qui a été volé, ce qui a été volé à l'Afrique, au nom de notre peuple, au nom de notre mère patrie l'Afrique », manifeste-t-il.

 

 

De son côté, le Louvre a précisé que l’oeuvre n’était pas africaine, mais une sculpture indonésienne de l’île de Flores, datant de la fin du XVIIIe siècle. L’erreur d’Emery Mwazulu Diyabanza a fait de lui la risée d’Internet.

 

Pour que les oeuvres « rentrent à la maison »

L’activiste congolais veut que les oeuvres « rentrent à la maison ». Selon lui, tout a commencé par la colonisation de l’Afrique, lorsque la France a volé des oeuvres d’art, pillées lors des guerres coloniales : « Les nations européennes et occidentales doivent restituer en faits et gestes le passé, et doivent nous rendre tout ce qui a été volé durant la colonisation de l’Afrique. Je ne demande pas d’autorisation à un voleur pour récupérer ce qu’il a volé. Les pays occidentaux ont des musées de vols et de recels détenant notre patrimoine en toute illégalité », nous confie-t-il.

Le militant africain affirme que « de plus en plus d’initiatives ont été prises par la France, notamment lorsqu’Emmanuel Kasarhérou, directeur du Quai Branly, est allé au Cameroun et dans différents pays d’Afrique pour commencer la restitution des oeuvres en cachette. Restituer des oeuvres ne doit pas se faire discrètement, puisque je souhaite que l’Afrique ait la reconnaissance du principe de la restitution inconditionnelle et immédiate ».

 

 

Contre la restitution des oeuvres

Cependant, selon Yves-Bernard Debie, avocat spécialisé en droit du commerce de l'art et des biens culturels, la France possède en droit les oeuvres exposées dans les musées : « Les oeuvres africaines disséminées de par le monde, appartiennent à leurs propriétaires actuels, mais elles appartiennent aussi à l'humanité, à la face de laquelle elles témoignent des rites et coutumes, du génie parfois, des peuples qui les ont créées. Ces oeuvres africaines sont autant d'ambassadeurs, les musées européens qui les conservent des ambassades et les milliers de collections privées, des consulats de l'Art africain ».

Yves-Bernard Debie pense que « si la question présuppose que toutes les oeuvres et, plus largement, tous les biens culturels transférés en France durant la colonisation ont été pillés, par le fait même que ce transfert ait eu lieu durant cette période, que le rapport Savoy-Sarr considère comme infractionnelle, nous ne serons aucunement d'accord. La colonisation de l'Afrique par les Etats européens, dont la France, était légale ; c'est ainsi, c'est un fait historique et juridique. On peut - on doit - critiquer cette période de notre histoire, mais on ne peut la juger avec nos critères actuels. Lorsque Jules César conquiert la Gaulle et en fait une province romaine, au mépris du droit propre de ses peuples à disposer d'eux-mêmes et sans respecter les principes de la conventions de La Haye sur le droit de la guerre qui sera adoptée près de 2000 ans plus tard, il ne doute pas un instant de sa légitimité et le droit romain, bientôt gallo-romain, lui donne raison. Nous sommes le fruit de cette conquête, que suivront tant d'autres. Tout anachronisme, même bien-pensant, est une faute ». 

L’avocat a pu représenter le marché de l’Art français devant l’Assemblée nationale et le Sénat pour le débat sur le projet de loi sur la restitution des oeuvres : « Nos craintes ont été entendues par le Sénat. Il faut notamment saluer l'amendement soutenu par le sénateur Brisson qui met fin à la doctrine des restitutions, à laquelle étaient farouchement opposés tant d'historiens et l'ensemble des conservateurs de musées et des acteurs du marché de l'Art. En effet, par la suppression du terme « restitution », remplacé par celui de « retour », c'est l'esprit même de la loi qui a changé. Plus question d'opposer des possesseurs illégitimes à des propriétaires spoliés ou encore de réparation sur fond de repentance coloniale. Ceci étant, le vote par le Sénat, à l'unanimité, d'une loi totalement différente de celle votée par l'Assemblée nationale a eu pour conséquence le rejet du projet de loi initial. Dès lors, une commission mixte Sénat/Assemblée a dû être formée, mais les sénateurs et les députés n'ont pas réussi à s'entendre. In fine, l'Assemblée nationale aura le dernier mot, mais à ce stade la loi n'a pas encore été adoptée », nous confie-t-il.

 

La décision de l’État

Lors de son discours à Ouagadougou en 2017, le président Emmanuel Macron a pris l’engagement de rendre, temporairement ou définitivement, les oeuvres africaines accaparées durant la colonisation. Mais en trois ans, un seul objet a été remis au Sénégal, le 17 novembre 2019 : le sabre Omar Saïdou Tall. Ce geste est considéré comme la première étape de la restitution, promise par le président français. 

Mercredi 4 novembre, le Sénat a adopté, à l’unanimité, le projet de loi modifié relatif à la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal. Il a également approuvé le retour de 26 oeuvres provenant d’Abomey au Bénin, conservées dans les collections nationales placées sous la garde du musée du quai Branly-Jacques Chirac.

Mais mardi 15 décembre, le Sénat a examiné en séance publique, en nouvelle lecture, le projet de loi après l’échec de la commission mixte paritaire (CMP) le 19 novembre 2020. Sur le rapport de la Sénatrice Catherine Morin-Desailly (Union Centriste), la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a constaté que l’Assemblée nationale et le Sénat étaient d’accord sur les articles 1er et 2, visant à transférer les vingt-sept oeuvres au Bénin et au Sénégal : « l’Assemblée nationale n’avait, pour le reste manifesté aucune volonté compromis en nouvelle lecture ».  Le Sénat a adopté la motion opposant la question préalable au projet de loi déposée par la commission de la culture. En application de son Règlement, il a rejeté le projet de loi.

Cependant, Emery Mwazulu Diyabanza ne se réjouit pas de ce projet de loi : « les oeuvres, volées au palais d’Abomey, restituées au Bénin devaient initialement être au nombre de 28. Le musée du Quai Branly et l’État français ont décidé d’en restituer que 26. Je considère cette démarche comme une insulte. La loi sur la restitution des oeuvres n’est qu’une provocation, car elle n’affiche pas le passé criminel et monstrueux de la France. Elle clame, haut et fort, le caractère inaliénable des oeuvres d’arts se trouvant dans des musées français. Mais comment pouvons-nous parler d’inaliénabilité quand des oeuvres ont été volées et pillées ? Les gouvernements occidentaux doivent accepter le principe de la restitution inconditionnelle », nous dit-il.

Dans le communiqué de presse du Sénat, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a précisé « que les œuvres concernées sont ‘transférées’ en propriété, et non ‘remises’, à la République du Bénin et à la République du Sénégal ».

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Une restitution qui ne concerne pas que l’Afrique

Avant le discours de Ouagadougou, la France avait déjà restitué quelques oeuvres d’autres pays, en dehors de l’Afrique. En 2007, la France a remis des têtes de soldats maories à la Nouvelle Zélande. Des manuscrits coréens  pris lors d’une expédition punitive en 1866 ont été rendus en 2011 à la Corée du Sud, mais avec l’établissement d’un prêt renouvelable tous les cinq ans. Mais, ces restitutions restent malgré tout peu nombreuses. Le président Emmanuel Macron s’est engagé au nom de la France, mais a également invité les autres chefs d’États européens à restituer des oeuvres aux différentes cultures pillées.

 

Une hostilité envers les musées français

Lors de la rencontre internationale du 1er juin 2018 au siège de l’UNESCO à Paris, l’ancien directeur des musées nationaux du Kenya George Abungu a proclamé que « nous sommes en guerre, c'est une guerre qui commence ». Selon le président du Bénin, Monsieur Patrice Talon, les biens culturels d'Afrique seraient « soumis à l'asservissement » des musées qui seraient autant de « milieux de répression ».

Selon Yves-Bernard Debie, « lorsqu'un militant autoproclamé de la cause « panafricaine » et plus récemment des ‘restitutions’ tente de voler au Louvre une statue indonésienne provenant de l'île de Florès en s’écriant ‘Je suis venu reprendre ce qui a été volé, ce qui a été pillé à l’Afrique’, dans une totale méconnaissance des arts africains, il s'inscrit dans la voie tracée par le discours de Ouagadougou et la loi ‘relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal’ qui, loin d'apaiser les tensions ont sonné le début des hostilités ».