Une grande réforme de l’enseignement français à l’étranger se prépare ; la France a vocation à devenir une grande puissance éducative, estime Emmanuel Macron qui souhaite doubler le nombre d’élèves scolarisés dans l’enseignement français à l’étranger d’ici 2030. L’environnement budgétaire contraint ainsi que l’inquiétude des personnels et de certains parents d’élèves confrontés au coût record des écolages contrastent avec cette ambition présidentielle.
La députée Samantha Cazebonne, missionnée par le Premier ministre, a rendu un rapport sur l’Enseignement français à l’étranger (EFE) comportant 147 recommandations pour insuffler une nouvelle dynamique au réseau. Elle nous en explique les grands axes.
Lepetitjournal.com : Comment avez-vous appréhendé la mission qui vous a été confiée par le Premier ministre sur l’enseignement français à l’étranger ?
Samantha Cazebonne : J’ai mis 6 mois de ma vie dans cette mission. J’ai voulu entendre l’ensemble des acteurs de l’enseignement français à l’étranger. Je suis leur porte-parole ainsi que le rapporteur des anciens travaux sur le sujet. Mon rapport rend compte des 20.000 contributions recueillies partout dans le monde. J’ai mis ici la réalité des chiffres, et d’ailleurs personne n’a mis en cause le diagnostic posé. A partir de ces travaux, nous allons maintenant entrer dans une phase de concertation, d’échanges. J’estime qu’une réforme ne peut se faire que si l'on "embarque" avec soi l’ensemble des acteurs, sinon il peut y avoir des résistances.
L’EFE contribue au rayonnement de la France en scolarisant aujourd’hui 355.000 élèves dans 136 pays. Comment préserver la qualité de l’enseignement si l’on doit doubler en quelques années la capacité d’accueil du réseau ?
Ce réseau a des particularités dans le public qu’on accueille. Il est très exigeant. Les enfants ont une capacité à l’apprentissage qu’il faut nourrir. Il faut pour eux une pédagogie plurielle, et nos professeurs doivent être préparés à ça. L’enseignement dans un établissement français à l’étranger devrait s’apprendre dès la formation initiale.
Les familles ont parfois tendance à penser que certains personnels de droit local ne sont pas suffisamment formés à notre pédagogie. Nous avons de brillants universitaires enseignants issus d’autres nationalités. Selon que l’on vient du Danemark, d’Espagne ou du Maroc, l’approche pédagogique sera différente. Le formateur doit connaître ce contexte pour s’adapter. L’enjeu est de former nos enseignants en amont pour que ces personnes hautement qualifiées dans leur discipline puissent intégrer les principes pédagogiques français. Il faut aussi favoriser la formation continue pendant leur mission.
Il faut donc multiplier les formateurs ?
Oui, il faut recruter les enseignants qui ont ces capacités. A mon avis, les EGD (établissements en gestion directe, 72 établissements sur 496 ndlr) doivent être ces pôles de formation régionaux pour l’approche pédagogique. On en a les moyens. Mais en ce moment on n’exploite pas l’ensemble des compétences de nos enseignants. En France, vous pouvez être à la fois professeur et tuteur.
Nous devons aussi mettre en place la validation de l’année de stage à l’étranger, ce qui n’est pas le cas actuellement. Je recommande aussi la mise en place de certifications pour les titulaires ou non titulaires qui valideraient leur expérience à l’étranger. La reconnaissance des compétences permettrait de valoriser le retour en France des enseignants dans de bonnes conditions.
Vous proposez dans votre rapport une évaluation plus fréquente des homologations. Or les familles qui font le choix de l’enseignement français investissent sur plusieurs années, la perte possible d’une homologation pourrait remettre en question ce choix…
On obtient une homologation si on la mérite. Je demande que les acteurs comprennent les enjeux de l’homologation, en pratiquant l’auto-évaluation. Dans quelle mesure puis-je être acteur du maintien de la qualité de mon établissement ? Les acteurs ne connaissent pas forcément tous les critères. Quand on vous associe tous les ans à la démarche, cela devient un enjeu collectif. Il n’y a alors que peu de risques de perdre l’homologation. Cela doit être l’affaire de tous.
Le niveau d’exigence doit demeurer important mais il convient également d’adapter l’homologation aux réalités locales.
L’ambition présidentielle de doubler le nombre d’élèves suscite chez certains la crainte d’une privatisation du réseau, dans la mesure où le budget alloué est limité. Le recours à des partenaires privés ne va-t-il pas se traduire par une nouvelle hausse des frais de scolarité ?
Il n’y a aucune inquiétude particulière à avoir, car ce sont déjà des partenaires privés qui ont largement développé le réseau ces 10 dernières années (les établissements partenaires scolarisent 45% des élèves ndlr). Les EGD n’avaient pas vocation à le faire. On reste dans la même logique.
Le problème du budget de l’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger) c’est que sa quasi totalité est dévolue au financement de la masse salariale*. Le nombre d’enseignants ne bouge pas, mais du fait de leur ancienneté, la masse salariale augmente automatiquement. Pourtant, un certain nombre d’avantages ont été abolis, comme en 2016 le passage automatique au « grand choix » des carrières des enseignants exerçant à l’étranger, qui leur faisait gagner parfois 15 ans d’ancienneté. Ceux qui sont passés au grand choix avant cette date restent bénéficiaires de l’échelon obtenu plus rapidement par ce mécanisme. La variable d’ajustement depuis des années, ce sont donc les familles. Rien ne change et elles payent plus cher, ne voient pas de plus-value, je comprends que les familles contestent.
Si on ne peut pas augmenter la dépense publique et qu’on ne souhaite pas augmenter les frais d’écolage, la seule solution est de remettre sur la table, de manière consensuelle, sans passage en force, une nouvelle politique de ressources humaines.
Vous plaidez pour plus de mobilité des enseignants, pourquoi ?
Sans astreinte à la mobilité, vous arriverez toujours à une forte hausse mécanique de la masse salariale.
Ce n’est d’ailleurs pas sur mon initiative que les autorités du ministère de l’Éducation nationale ont décidé de limiter à partir de 2019 de façon automatique à 2 fois trois ans les postes de détachés. Les personnes parties avant ces nouvelles règles, qui ont construit leur vie à l’étranger, ne seront pas touchées. Ceux qui souhaitent rester à la fin des 6 ans pourront le faire en acceptant des conditions locales. Cela permettra aussi à de nouveaux enseignants d’enrichir leur expérience en partant à l’étranger, et cela apportera de l’oxygène dans le réseau.
Je souhaite remettre plus d’équité dans les différents statuts. Si un professeur part enseigner dans des endroits où il est plus compliqué de vivre pour des raisons sanitaires ou sécuritaires par exemple, il doit être payé à la hauteur de son engagement, il faut l’encourager. En revanche, de nombreux pays sont suffisamment attractifs pour envisager des conditions d’emploi similaires à celles des enseignants en France.
Comment impliquer d’avantage les familles ?
Je fais beaucoup de recommandations dans mon rapport en ce sens. Les familles doivent être mieux associées à la gouvernance. Je souhaite qu’elles aient des voix délibératives dans les conseils d’administration. Je déplore qu’on ne cherche pas forcément à convaincre les parents d’élèves. On est souvent dans l’urgence or tout doit s’expliquer.
Prenons l’exemple d’un investissement immobilier. Les familles devraient pouvoir suspendre une décision le temps de mieux la comprendre et d’être rassurées par le projet. En revanche, les familles doivent également se responsabiliser. Pour obtenir cette suspension de projet, il faudrait que les associations de parents aient obligation d’être d’accord sur les sujets financiers.
Avez-vous des précisions sur les contours et le calendrier de la réforme à venir ?
Actuellement les cabinets ministériels travaillent sur le contenu de la réforme. J’ai l’impression d’avoir éclairé l’exécutif et les cabinets avec mon rapport. Le colloque que nous avons organisé vendredi 15 mars a permis de consulter, de voir les différentes perspectives. Je suis un produit de la société civile, j’ai toujours travaillé dans le consensus. J’ai demandé à l’exécutif de répondre de manière équilibrée à la fois aux attentes des familles, mais aussi des enseignants, quel que soit leur statut et de n’ignorer aucune catégorie. Il ne faut pas grand-chose pour déstabiliser le réseau. Il faut bien une volonté présidentielle et des acteurs de terrain pour mener à bien cette réforme.
Dans la concrétisation, c’est le Président lui-même qui devrait annoncer les grands axes de la réforme d’ici l’été.
Propos recueillis par Justine Hugues et Marie-Pierre Parlange
*81% des dépenses des services centraux de l’AEFE sont dévolues à la masse salariale – source rapport Cazebonne p.70