Pour la 2ème fois, les Français de l’étranger ont voté en ligne aux Législatives pour désigner leurs 11 députés. Comment s’est déroulé le vote par internet ? Quels sont les grands enseignements à en tirer ? A-t-il un avenir ?
En mars 2017, le couperet était tombé : le vote par internet, instauré en 2012 pour les Français de l’étranger n’était plus une option pour les législatives. La principale raison ? Un contexte mondial instable, entaché de soupçons importants de piratage. En 2022, après deux tests grandeur nature (TGN), la modalité de vote en ligne a été validée et mise en place, entre autres, par le prestataire Voxaly Docapost, qui s’engageait sur trois points primordiaux : la sécurité, le respect du secret et la sincérité du vote. Les Français de l’étranger ont ainsi pu voter sur leur ordinateur, leur tablette ou leur smartphone du 27 mai au 1er juin au 1er tour, puis du 10 au 15 juin au 2nd tour.
Un 1er tour satisfaisant, mais entaché par des bugs
Après avoir reçu un identifiant et un mot de passe respectivement par email et SMS, environ 250.000 Français à l’étranger ont fait le choix de voter en ligne pour le 1er tour, soit 17,32% des inscrits. Une modalité de vote plébiscitée par 3 votants sur 4, qui avaient le choix entre l’urne, la procuration, le vote par correspondance et Internet.
Selon Hélène Degryse, Présidente de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) et membre du Bureau du Vote Electronique (BVE), le 1er tour « s’est bien passé mais a été un peu mouvementé ». D’abord avec la non-intégration de 700 électeurs, qui a contraint de renvoyer à tout le monde mots de passe et identifiants, créant de la confusion avant même le début du vote. Ensuite, parce que certains SMS n’ont pas été reçus comme en Russie ou en Algérie. Un obstacle qui est resté partiel mais surtout lié à l’opérateur local ou le réseau. Un 3e bug a été signalé, lié à des NUMIC [NDLR numéro d'identification consulaire] erronés qui ont été renvoyés : « Un bug que nous aurions pu éviter » confie Hélène Degryse. Enfin, - le plus médiatisé de tous -, il y a eu le bug des adresses mails Yahoo. Au moment de voter, des milliers d’électeurs n’ont pas reçu le code de confirmation nécessaire pour finaliser le vote. Les équipes techniques ont rapidement identifié le problème et une solution a été trouvée avant la fin du vote : « avec l’expérience des Tests Grandeur nature en septembre 2021 et janvier 2022, nous avons beaucoup travaillé avec les prestataires pour que le moindre problème soit rapidement pris en charge, comme cela a été le cas. D’ailleurs, le 2nd tour a été beaucoup plus fluide, à part une mauvaise réception de SMS en Israël » conclut Hélène Degryse.
Le vote en ligne a convaincu 76% des votants au 2nd tour…
Pour le 2nd tour, 76% des votants ont choisi internet pour exercer leur devoir citoyen, soit près de 274.000 personnes. Une augmentation par rapport au 1er tour qui pourrait s’expliquer par une expérience de vote satisfaisante, convaincante, et une quasi-absence de bugs cette fois. Hélène Degryse remarque que le vote en ligne a été, dans l'ensemble, plus fluide que lors des élections consulaires l’an dernier. D’ici quelques mois, l’AFE réfléchit à réaliser un audit afin d’analyser, à froid, l’ensemble de l’expérience du vote en ligne : « Par ailleurs, nous aimerions travailler de manière constructive avec les députés élus à l’avenir ».
… mais cela ne représente que 19% des Français inscrits
Fort est de constater que le taux de participation des Français de l’étranger reste faible, quel que soit le mode vote choisi : la participation moyenne des 11 circonscriptions s’élève à 24,77% (contre 46,14% en France). Un score toutefois meilleur qu’en 2017 (16,44%) au 2nd tour des Législatives ; est-ce une conséquence directe de la possibilité de voter en ligne cette fois ?
Mais pour certains, le chiffre de 19% reste décevant : « Oui, beaucoup de Français ont fait le choix du vote en ligne pour pallier les difficultés logistiques et géographiques, mais cela reste une modalité parmi d’autres et, quand on voit que seulement 19% des Français inscrits ont voté en ligne, cela ne suffit pas à les inciter à voter. On touche un plafond de verre » constate Hélène Degryse. Comment expliquer – en partie – ce faible chiffre ? « Je pense qu’il y a une fracture numérique liée aux générations mais aussi à une méconnaissance du processus du vote par internet et beaucoup de défiance. » analyse la membre du BVE. Une défiance des votants potentiellement alimentée notamment par des responsables politiques pendant la campagne législative, à l’image du tweet médiatique de Jean-Luc Mélenchon, remettant en question la fiabilité du vote par internet pour les Français de l’étranger :
Le vote des Français de l'étranger en plein chaos. Méfiance pour les 12 et 19 juin. https://t.co/QD80cTcDmX
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) May 31, 2022
La participation au vote en ligne inégalitaire selon les circonscriptions et LEC
Une autre analyse intéressante est celle de la répartition géographique du vote en ligne. En se basant sur la part des votants par internet sur le nombre de votants au total, ce sont les 3ème (Europe du nord) et 1ère circonscriptions (Etats-Unis et Canada) qui arrivent en tête avec en moyenne 84% des votants ayant choisi le vote par internet.. Dans le détail, ce sont les électeurs d’Oslo, Helsinki, Berlin, Amsterdam, Tallinn et Tokyo qui ont le plus voté sur internet.
A l’inverse, les 2nde (Amériques du Nord, centrale, Sud et Caraïbes) et 9ème circonscriptions (Maghreb et l'Afrique de l'Ouest) sont à la queue du classement, avec en moyenne 62% de votes sur internet par rapport aux nombre de votants au global. Dans le détail des listes électorales consulaires, ce sont les zones en difficulté de Kaboul, Damas, Colombo ou encore Tripoli qui ont le moins voté par internet.
Comment expliquer de tels écarts entre circonscriptions ? Il y a d’abord des raisons purement techniques (bugs, blocage d’opérateurs locaux, réseau…). Il y a aussi des raisons démographiques, comme l’âge : « Historiquement, les électeurs séniors privilégient l’urne. A l’inverse, les jeunes générations sont plus sensibilisées au numérique » explique Hélène Degryse. Et il y a aussi des raisons géographiques : en dépit d’un important dispositif de bureaux de vote, de nombreux Français n’avaient pas la possibilité de se rendre aux urnes et ont naturellement choisi le vote internet. Enfin, cette analyse ne peut pas être complète sans une vision plus large du taux de participation. Par exemple, la participation de la 2ème circonscription a été l’une des plus basses (16%) ; Les Français inscrits ont donc peu voté, que ce soit aux urnes, par correspondance ou en ligne.
Le vote par internet a pesé plus lourd que le vote par l’urne
La corrélation entre le score des suffrages exprimés en ligne et la victoire du député de circonscription est flagrante: la quasi-totalité des députés qui étaient en tête dans les votes en ligne ont gagné l’élection. Conclusion, le vote à l’urne a eu peu d’impact dans le score final. Un seul député a gagné grâce aux urnes : il s’agit de Meyer Habib, député UDI dans la 8ème circonscription. Perdant à 47,88% des suffrages exprimés uniquement par internet, il gagne l’élection de justesse avec 50,58%. Les voix dans l’urne ont, ici, fait la différence.
De plus, la communication autour du vote en ligne a été particulièrement active de la part des équipes de candidats et soutiens. En effet, une cellule d’aide a été mise en place tout au long du vote par internet, mais elle n’a parfois pas suffi à des électeurs, qui se sont tournés vers leur candidat. S’il est difficile de prouver que le secret du vote a bien été respecté, le vote par internet a incontestablement donné l’occasion aux candidats (ou leur groupe de soutien) de s’adresser directement aux potentiels électeurs.