Ils sont près de deux millions de Français prêts à voter en 2022 depuis l’Etranger. Mais pour des raisons géographiques ou logistiques, remplir son devoir de citoyen est un casse-tête pour certains. Et si voter par Internet était l’une des solutions envisagées ? Quelles sont les limites ?
Voter depuis l’Etranger, un casse-tête démotivant
Valérie, expatriée en Inde depuis 10 ans, soupire d’avance. L’élection Présidentielle approche et elle se prépare déjà à une sacrée logistique : « Je prendrai le bus, le train ou l’avion pour aller voter au Consulat de Bangaluru car, dans la ville où je suis, il n’y en a pas… ». En 2017, la française, qui a toujours une conscience politique forte, a fait 8 heures de bus pour se rendre coûte que coûte au bureau de vote de Delhi : « Cette élection 2017 était importante, j’espérais pouvoir participer à un changement positif, envoyer un message face à la montée des extrêmes dans le monde. Au moins j’aurais essayé. ». Alfred*, lui, n’a pas eu autant de chance en Pologne en 2012. Il a fait plus de 6 heures de voiture entre Gdansk et Varsovie pour finalement arriver trop tard au bureau de vote. Mais l’éloignement géographique n’est pas le seul obstacle. En témoignent de longues files d’attente en 2017. Juliette, expatriée à Dubaï se souvient « Il n’y avait que deux bureaux de vote pour toute la ville. Rien que pour se garer c’était l’enfer. La queue était très longue mais il y avait une bonne ambiance ». Des récits comme ceux de Valérie, Juliette ou d’Alfred, il y en a beaucoup. Ces Français à l’étranger font partie des 1,7 million de personnes qui sont susceptibles d’aller voter en 2022. Aujourd’hui, leur seule possibilité de voter - lors d’une Présidentielle - est d’y aller physiquement, ou faire une procuration.
Pas assez de bureaux de vote ? Plages horaires trop restreintes ? Règles strictes imposées par le pays d’accueil) comme en Chine où l’on ne peut organiser le vote que dans des établissements consulaires) ? Manque de bénévoles sur place ? Autant de raisons pour s’abstenir, se démotiver ou même, se désintéresser de la politique… En 2017, le ministère des Affaires Etrangères avait tenu à souligner les efforts du Gouvernement pour faciliter le vote à l’étranger : 866 bureaux de vote avaient été ouverts dans le monde, contre 780 en 2012.
Et si, à l’image des dernières élections consulaires, on votait de chez soi en 2022 ? Selon un sondage Odoxa-Backbone publié en 2021, 78% des Français y seraient favorables. En 2017, le vote electronique faisait partie des propositions d’Emmanuel Macron pour « numériser notre démocratie, élargir la participation, réduire les coûts des élections et moderniser l’image de la politique ». Mais l’amendement déposé (qui concernait uniquement un vote par machine) a été rejeté par les sénateurs en février 2021. Pas de vote électronique possible pour les Présidentielles. Et pour les Législatives alors ? Historiquement, il a été possible, pour la première fois, de voter en ligne depuis l’Etranger en 2012. Cependant, en 2017, en raison d’une menace élevée de cyberattaque, les Français à l’étranger n’ont pas pu voter sur internet. En 2022, la question est plus que jamais sur la table.
Voter par internet, comment faire ?
Le vote par Internet est un vote dématérialisé, à distance via Internet qui permet de voter n’importe où, dès lors que l’on dispose d’une connexion Internet. A ne pas confondre avec le vote électronique. En effet, ce dernier englobe le vote via Internet et sur des machines électroniques placées dans les bureaux de vote. Nous parlerons donc ici de la solution du vote par internet, e-vote, vote digital ou en ligne.
Pour mettre en place le vote par Internet pour les Législatives 2022, un appel d’offres a été lancé en 2019. L’appel est remporté par Voxaly Docapost, qui s’engage sur trois points primordiaux : la sécurité, le respect du secret et la sincérité du vote. Deux tests grandeur nature, la solution du vote par internet est en cours de validation.
Comment cela fonctionnera-t-il ? Martine Schoeppner, ancienne Vice-Présidente de l’Assemblée des Français de l’Etranger et membre titulaire du BVE (Bureau du Vote Electronique) nous explique. Elle a suivi les opérations du premier Test Grandeur Nature et participé en tant qu’électrice volontaire au second qui vient de s’achever : L’électeur, qui a préalablement fourni une adresse mail et un numéro de téléphone portable valides au ministère des Affaires Etrangères. Il reçoit alors un courriel.
Deux à trois jours avant le jour J, le futur votant reçoit un mail avec son identifiant. Dans la foulée, il reçoit un SMS lui fournissant son mot de passe.
Le Jour J, l’électeur s’identifie sur le portail via un lien, accessible depuis un ordinateur, une tablette ou un smartphone. Une fois le choix du candidat validé sur une liste, il confirme son choix avec un code de confirmation pour optimiser la sécurité et éviter toute fausse manipulation. Une fois le code rentré, il n’y pas de retour en arrière.
Par la suite, le votant reçoit une « preuve de vote » qui lui permet de vérifier que son scrutin est officiellement dans l’urne. Après le dépouillement, cette preuve peut également lui permettre de vérifier que son vote a été dépouillé.
« Le portail est très simple d’utilisation, tout est facilité. Des tutoriels sont mis à disposition des électeurs. Un numéro d’assistance est également mis en place 24h/24H pour répondre aux questions et assister les électeurs en direct le moment venu. Je crois aussi qu’un questionnaire de satisfaction sera envoyé après l’élection. » explique Mme Schoeppner. Sous réserve d’une homologation, le vote par internet devrait être possible pour les Français basés à l’Etranger pour les élections législatives 2022.
L’e-vote, une solution qui fait ses preuves
En 2012, le vote en ligne a été possible pour les Français à l’étranger. Il s’est déroulé sans incident. A cette occasion, environ 219 000 Français de l’étranger avaient voté, dont 54% par internet. Concrètement, il fallait se connecter à un site, s’identifier à l’aide d’un mot de passe reçu par mail ou par courrier, puis cocher le nom du candidat parmi une liste prédéfinie. Le contexte était favorable, la solution était validée et considérée comme fiable. De nombreux expatriés ont exprimé par la suite leur satisfaction sur les réseaux sociaux, comme Nathalie au Pérou : « D’avoir enfin l’occasion de voter est pour moi un devoir civique essentiel. Les législatives sont certainement une manière de voir si le système mis en place marche correctement » ou Josette en Ouganda : « Heureuse de faire partie des élections par internet, c’est le progrès, faisons confiance à notre système. » ou Guillaume en Australie : « Jusqu’à présent il m’a été impossible de voter pour des raisons logistiques. Je suis ravi ».
Ailleurs, la solution du vote en ligne fait ses preuves En Estonie par exemple [NDLR le système présenté est différent de celui en France] : A chaque élection, le pays propose, en complément du scrutin physique, le vote par Internet. Et ça plait ! le taux de participation serait passé de 5,5% aux Législatives 2007 à 43,8% en 2019 ! L’origine de l’e-vote date de 2004, au moment où le Gouvernement décide de créer une carte d’identité numérique pour tous les Estoniens. Avec cet outil, l’électeur peut alors scanner cette carte d’identité via un logiciel public ou recevoir ses codes de sécurité sur son smartphone. “l’exploitation du système est confiée à différentes organisations, ce qui permet de séparer les tâches et de réduire le risque de dépendance vis-à-vis du fournisseur”, explique un rapport de l’OSCE en 2019. L’Estonie est-elle une exception ? En Europe, les pays restent frileux vis-à-vis du vote en ligne, mais certains étudient actuellement la solution comme la Belgique et la Suisse.
En septembre 2021 a lieu un test grandeur nature, dit TGN, afin de tester le déroulement d’une élection dans une configuration la plus proche possible de la réalité. Pour ce faire, près de 11 000 électeurs volontaires répartis dans le monde (représentant environ 1% du corps électoral) ont voté deux fois. Le TGN est encadré par le Bureau du vote électronique (BVE), le prestataire Voxaly Docapost et les ministères des Affaires Etrangères, et de l’Intérieur. A l’issue de ce premier test, la participation globale est de 33,09%, un chiffre variable en fonction des circonscriptions. Les observations sont encourageantes : les mails (avec l’identifiant) ont été délivrés à plus de 98%. Côté SMS (avec le mot de passe), 86% des votants l’ont reçu. Les SMS restants ont été bloqués dans certains pays comme la Russie, le Bangladesh, le Portugal et la Thaïlande. Les conclusions du second TGN, qui vient de se terminer fin janvier, ne sont pas encore officialisées mais Martine Schoeppner nous raconte : « Je n’ai pas entendu de problème particulier souligné. Généralement, il n'y 1 à 2% de variations entre les résultats du premier et du second test. Il y a eu des remarques remontées entre les deux tests et nous ne savons pas, à ce jour, si certaines demandes vont être mises en place. Concernant les remarquées liées à des erreurs humaines, ce qui peut être facilement réglé si on suit scrupuleusement les procédures. »
Le vote par internet menacé de cyberattaque, bugs ou d’influence
Mars 2017, le couperet tombe. Le vote par internet, instauré en 2012 pour les Français à l’étranger, ne sera pas une option pour celles de 2017. C’est Matthias Fekl, alors secrétaire d’État chargé des Français de l’étranger, qui annonce la décision : « Il a été jugé préférable de ne prendre aucun risque de nature à compromettre le scrutin législatif pour les Français de l’étranger », se basant des suspicions quant à la plateforme de vote. En effet, celle-ci ferait l’objet d’un "niveau de menace extrêmement élevé de cyberattaques" selon l'Agence nationale de la sécurité des systèmes informatiques (ANSSI). En toile de fond, des soupçons sur un piratage russe, ayant déjà entaché les élections américaines quelques mois plus tôt. Le Kremlin nie toujours toute implication, sans preuves irréfutables. Le contexte mondial reste une limite importante encore aujourd’hui, dans la mesure où, même si le vote par internet est bien homologué, les autorités s’autorisent (après l’avis des experts sécurité et du BVE) à bloquer cette option de vote jusqu’au dernier moment. « Il s’agit d’élire nos Députés quand même » insiste Mme Schoeppner.
Au-delà d’un risque de cyberattaque, les opposants au vote par internet avancent l’hypothèse que les technologies ne sont pas suffisamment matures pour supporter une élection à grande échelle et assurer ainsi la sécurité des données des votants, notamment lors de pics de connexion. L’anonymat étant une condition essentielle du vote, le savoir en péril pourrait dissuader de nombreux français. Martine Schoeppner nous explique à ce propos que le ministère, lors des tests grandeur nature, tente des simulations d’attaques et de bugs pour voir si le système résiste. Par ailleurs, le Bureau du Vote Electronique a la possibilité de bloquer localement et donc annule le vote si le doute de sécurité et de transparence est trop important. Les électeurs sont alors prévenus pour pouvoir se rendre physiquement à l’urne.
Enfin, la question de l’influence est souvent posée : Et si le votant était influencé dans son choix par son entourage ? Comment éviter l’influence d’un tiers quand le vote ne se fait pas dans l’isoloir mais dans la sphère privée ? Difficile de répondre à cette question. En Estonie, l’électeur peut modifier son vote jusqu’à la fermeture des urnes, une sorte de protection contre quelconque pression…
La solution du vote par internet pourrait être homologué dès le mois de mars prochain. Sous réserve d’un contexte mondial favorable, Valérie, Alfred et Juliette pourront choisir l’avenir qu’ils souhaitent pour la France depuis leur smartphone en juin 2022. L’e-vote serait-il la solution pour remonter le taux de participation à l’Etranger (38% en 2012, 44% en 2017) ? Challenge relevé…
*le prénom a été changé