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Anne Genetet : “Nous n’avons pas le droit de nous lasser de la guerre en Ukraine”

La députée des Français établis hors de France Anne Genetet a abordé sans détours les thèmes importants de l’actualité. La guerre en Ukraine, la gouvernance mondiale ou l’“effroyable” conflit dans le Haut Karabakh sont abordés dans une interview exclusive pour lepetitjournal.com.

Anne Genetet interview ukraine arménieAnne Genetet interview ukraine arménie
Écrit par Teddy Perez
Publié le 9 octobre 2023, mis à jour le 11 octobre 2023

En septembre, vous avez réalisé deux voyages en Ukraine. Que pouvez-vous nous dire de votre engagement politique durant cette guerre ?

Plus que jamais l’Ukraine a besoin de notre soutien. Un soutien fort, urgent et rapide qui lui permettra de tenir à distance la Russie, de pouvoir rassurer aussi son peuple. Il faut aussi comprendre que la résistance de l’Ukraine, c’est notre résistance à nous aussi face à un agresseur qui n’a aucune limite. Et j’insiste là-dessus.

 

Cette guerre dure et n’occupe plus les premiers plans de l’actualité, comme ce fut le cas à ses débuts. Sommes-nous en train de nous habituer à cette situation ?

Nous, Occidentaux, n’avons pas le droit de dire que nous nous lassons de la guerre. Ce n’est pas acceptable. Les soldats qui sont sur le front, sont très sollicités et ont peu de période de repos. Ils peuvent dire qu’ils sont fatigués, mais pas nous. L’hiver n’est pas facile à passer, tant pour les militaires que pour la population civile face aux crimes de guerre commis par la Russie. Notre soutien ne doit que se renforcer, aujourd’hui plus que jamais. Il faut aller plus vite, plus fort.

 

 

La situation de conflictualité entre la Russie et l’Ukraine durera extrêmement longtemps. Pour autant, le conflit armé - sur le terrain comme dans les airs et à travers les nouvelles technologies - doit cesser, mais pas aux conditions de Vladimir Poutine. Une Ukraine victorieuse est une Ukraine qui réussit à tenir la Russie à distance et à récupérer la totalité des territoires qui lui ont été pris.

N’oublions pas que la Russie mène différentes guerres. Elle mène une guerre de la communication, de l’information, des céréales et de l’alimentation, de l’énergie… Et toutes ces guerres, elle les mène à travers l’Ukraine à l’ensemble du monde.

 

“La relation entre la France et la Russie a une histoire, un présent et elle aura un avenir” 

 

Par votre rôle de représentante des Français de l’étranger, comment jongler avec les demandes, les besoins des Français en Ukraine et de ceux établis en Russie ?

Ce n’est pas du tout paradoxal. Les Français qui sont installés en Russie, ont prévu d’y rester pour des raisons personnelles liées à leur famille, leur conjoint, leur enfant, mais aussi à leur histoire et à l'époque où ils ont atterri sur le sol russe. Il faut se rendre compte que nous ne combattons pas la nation russe en tant que telle, notre ennemi est Vladimir Poutine. La relation entre la France et la Russie a une histoire, a un présent et elle aura un avenir. Les Français restés sur place ont parfois un regard complaisant sur la nation russe, parfois d’opposant, critique mais c’est autant de ressources pour pouvoir comprendre ce pays et savoir comment combattre ses dirigeants.

 

Il y a deux semaines, vous annonciez dans une Tribune publiée sur notre site qu’il était temps de trouver une nouvelle gouvernance mondiale. Pour quelles raisons ?

Nous voyons bien que le temps a passé depuis la création des Nations Unies au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et de l’organisation du Conseil de Sécurité. Un certain nombre de pays veulent participer aux discussions. On peut tout à fait le comprendre et nous aurions tort de ne pas l'entendre car on observe le développement des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ces pays se sentent mis sur la touche par rapport aux grandes instances internationales. Il faut les écouter et c’est exactement ce que le Président de la République a fait en recevant le Premier ministre indien en juillet dernier.

Il y a de nombreux opérateurs au niveau des Nations Unies qui fonctionnent très bien. Je pense à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), à l’UNESCO, mais aujourd’hui - avec la guerre en Ukraine - le Conseil de Sécurité des Nations Unies est bloqué comme au moment de la guerre froide. Il faut reconsidérer tout cela.

 

À quoi pourrait ressembler ce nouvel équilibre à construire ?

Est-ce que cela doit passer par une réflexion au sein du G7, au sein du G20, directement par les diplomaties ou les différentes instances multilatérales ? En tout cas, je suis contente de voir que la France comprend ses nouveaux enjeux internationaux mais en aucun cas, cela signifie renier ce que nous sommes. Nous devons continuer de disposer d’un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU. Nous sommes une puissance dotée de l’arme nucléaire. Nous devons plus que jamais faire partie de ces instances de décisions mais devons aussi ajouter de nouveaux pays à ce dialogue.

 

Haut-Karabagh : l’intervention nécessaire de l’Occident

Dans le conflit au Haut-Karabakh, la France a affiché son soutien à l’Arménie et s’est engagée à aider ses réfugiés. Était-ce important de prendre position dans un nouveau conflit ?

La France a été le seul pays à se mobiliser sur la situation dans le Haut Karabakh et à dénoncer aux Nations Unies l’attitude de l’Azerbaïdjan. L’Azerbaïdjan prétend que les Arméniens peuvent tout à fait vivre tranquillement chez eux et ne veut pas mettre l’ennemi dehors. Mais l’Azerbaïdjan a pris des positions militaires en territoire arménien, notamment au-dessus du corridor de Latchine. C’est une violation de la Charte des Nations Unies. L’Azerbaïdjan ne respecte pas les engagements qu’elle avait pris pour que les Arméniens du Haut-Karabakh vivent paisiblement dans cette zone.

 

Cette intervention a été faite alors que l’Arménie est un allié historique de la Russie…

Après la guerre de novembre 2020, la Russie devait être un opérateur de maintien de la paix sur la zone et déployer 2000 soldats. Mais, avec la guerre en Ukraine, elle en a retiré la moitié. C’est dire toute l’attention qu’elle prête à la situation. La Russie joue un rôle très ambigu. L’Arménie et son Premier ministre commencent à prendre conscience du fait que la Russie n’est pas du tout un allié fiable. Je trouve très bien que Nikol Pashinyan se tourne beaucoup plus vers l’Occident. Les Etats-Unis ont témoigné leur soutien, l’Allemagne également et la France évidemment historiquement. C’est une très bonne chose.

N’oublions pas que sur le plan démographique, l’Arménie est toute petite. Elle ne fait pas le poids militairement. Il faut permettre à l’Arménie de se faire respecter, de se défendre, de repousser l'Azerbaïdjan.

 

“Il faut l'avoir présent à l’esprit. Il faut aussi rester extrêmement vigilant sur l’envie de la Turquie de construire un corridor routier qui la lierait à l’Azerbaïdjan”

 

La peur d’un “second génocide” de la population arménienne a été exprimée. Est-ce un risque envisageable ?

Il y a l’expression d’une volonté de faire partir les Arméniens du Haut-Karabakh, d’où l’exode. S'ajoutent à cela des exactions et des crimes qui sont commis par l'Azerbaïdjan contre une population ciblée. On ne peut pas ne pas prononcer le terme de génocide. Dans un contexte où il n’y a vraiment pas d’observateurs internationaux, cela rend la situation très complexe. Il faut aussi rester extrêmement vigilant sur l’envie de la Turquie de construire un corridor routier qui la lierait à l’Azerbaïdjan et qui couperait l’Arménie de son partenaire historique, l’Iran au sud. Erdogan possède une volonté affirmée de refaire une grande Turquie qui irait jusqu’à l’Azerbaïdjan.

Le comportement de l’Azerbaïdjan de vouloir expulser par tout moyen les Arméniens du Haut-Karabakh est effroyable, condamnable. Fondamentalement, l’Azerbaïdjan avait des atouts francophones très intéressants et je regrette infiniment ce comportement de l’Azerbaïdjan, qui nous interroge évidemment sur les relations que l’on noue avec ce pays. J’en appelle l’Azerbaïdjan à cesser toute forme d’exaction contre le peuple arménien dans le Haut-Karabakh. Il n’y a pas d’autre solution. Et pour le moment, ce pays fait tout le contraire.

 

Et pourtant, l’ambassadrice de l’Azerbaïdjan en France clame la paix et l’innocence de son pays dans cette fuite massive… 

Ce sont des mots que l’on entend depuis des années, mais il n’y a pas d’acte derrière. En 2020, il y a avait la guerre des 44 jours dans le Haut-Karabakh où l’Azerbaïdjan a commis des crimes. Quand les Azerbaïdjannais entrent dans le territoire du Haut-Karabakh et expulsent, voire emprisonnent, des gens qui vivaient paisiblement sur ce sol, c’est inacceptable. L’Azerbaïdjan fait le contraire de ce qu’elle prétend.

 

Anne Genetet arménie
Anne Genetet avec Alen Simonyan, Président de l'Assemblée nationale de la République d'Arménie - Photo © Assemblée Nationale

 

Il y a un an déjà, vous vous inquiétez de l’évolution des relations entre la France et la République populaire chinoise. Votre inquiétude persiste-t-elle encore pour la communauté française installée en Chine ?

Nous avons effectivement une communauté française qui a énormément diminué en Chine et je le regrette. Le Président de la République avait rappelé que nous devions poursuivre nos coopérations avec la Chine mais sur un mode très équitable, avec le même niveau de sécurité des deux côtés et pour cela nous avons besoin d’être sur place. Malgré tout, il faut continuer cette coopération sur un mode respectueux et équilibré.

 

Puis il y a Taiwan qui renforce sa défense face à la Chine. Cela est tout autant préoccupant ?

La France a toujours été défenseure du statu quo dans le détroit de Taïwan, c’est-à-dire laisser Taïwan vivre sa vie avec son modèle de gouvernance démocratique assorti des valeurs asiatiques. La Chine a un autre modèle avec lequel nous ne partageons pas les mêmes valeurs. Nous souhaitons que ce statu quo soit conservé. Taiwan est un acteur démocratique, culturel, économique fondamental dans cette région du monde.

 

Élection Sénatoriales : “Je mène une réflexion pour améliorer ce mode de scrutin”

 

Un dernier point national à évoquer, celui des Sénatoriales 2023. Votre parti a connu des résultats en-deçà des attentes que vous aviez vivement critiqué dès le lendemain des élections. Quels étaient vos reproches ?

Il y a deux choses. Sur le résultat en lui-même, et sur le mode de scrutin.

Il n’est pas du tout à la hauteur de ce que nous souhaitions et de ce que nous pouvions faire. Pour cette élection, nous avons eu des dissidences qui se sont exprimées bien que le parti Renaissance ait tendu la main. Je vais reprendre l’expression du Président de la République “divisez vous et vous êtes certain de ne jamais vous additionner.” et c’est exactement ce qu’il s’est passé durant ces Sénatoriales. Toute l’histoire politique de la France montre que lorsque l’on s’éloigne d’un parti politique organisé, structuré, et que l’on veut entrer en dissidence, cela ne fonctionne jamais. Nous avons fait une bêtise sans nom d’aller à l’encontre de ce que l’histoire nous avait enseigné.

Sur le mode de scrutin, être élu avec seulement 50 voix est tout à fait regrettable. Je mène donc une réflexion pour l'améliorer.

 

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