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Les Français de l’exil : être Français, malgré tout

Au travers d’une enquête familiale sur une “tante évaporée”, Johanne Rigoulot retrace la vie de ces Français de l’exil, qui ont chacun une belle histoire à raconter. Sont-ils encore français après des années à l’étranger ? Quid de ceux qui ne reviennent jamais ?

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Écrit par Natacha Marbot
Publié le 2 juillet 2023, mis à jour le 3 juillet 2023

Dans le documentaire, diffusé sur France3 Pays de la Loire, Johanne Rigoulot enquête sur les traces de sa grande tante Yvonne, seul “support de (son) imagination étant petite”. Partie à 15 ans pour l’Egypte puis le Liban, elle ne revient … jamais. Pourtant, elle a gardé sa seule nationalité française toute sa vie. 

L’histoire n’est pas qu’aventures merveilleuses, au contraire. Partie pour un travail à Alexandrie, la famille de Johanne Rigoulot apprend 7 ans après qu’Yvonne a été enrôlée de force dans un réseau de prostitution. Après s’être enfuie, elle se réfugie au consulat qui la place dans un couvent pour la cacher de ceux qui la recherchent. Au début des années 30, elle se marie avec un Grec qui la répudie car elle est stérile. Après son mariage, Yvonne entre chez la famille Souki en tant que gouvernante, elle travaillera 60 ans chez eux. Elle meurt au Liban “mais cela ne fait pas d’elle une Libanaise.” À l’aide de l’historienne Marion Trévisi, Johanne Rigoulot décrypte les quelques documents officiels de la vie d’Yvonne. Pour nourrir son enquête, elle rencontre d’autres Français au parcours d’identité atypique. 

Nostalgie du pays d’origine et recherche de l’identité française 

Ces Français d’ailleurs l’ont été pour des raisons différentes : un départ volontaire ou forcé, un voyage qui s’est éternisé, la fin de la période coloniale … Les Français qui ont grandi ailleurs et rentrent (ou arrivent) en France ressentent une forme de nostalgie, qui n’est pas incompatible avec l’amour de la France. L’identité française est complexe à définir, certains qui ont la nationalité ne se sentent pas français quand d’autres qui ne l’ont pas se sentent français. Tous ces sujets sont traités avec pudeur et finesse dans le documentaire. 

Johanne Rigoulot a accepté de répondre à quelques questions de la rédaction pour approfondir le sujet de son documentaire. 

Quel a été le déclic pour commencer votre enquête ? 

Le déclic a été double : il s’est nourri de mes nombreuses discussions avec la romancière franco-iranienne Négar Djavadi qui a quitté Téhéran à 13 ans. Nous sommes françaises à égalité mais avec des parcours complètement différents. L’autre est celui de ma tante évaporée Yvonne. Je voulais savoir ce qu’il restait d’elle et de sa culture française, 75 ans après avoir quitté la France, d’autant qu’elle avait une culture savoyarde très enracinée.

Après avoir entendu toutes ces histoires, c’est quoi être Français pour vous ? 

Je pense qu’il y a plusieurs choses qui rapprochent les Français. La langue déjà, le français est une langue sophistiquée, qui porte des valeurs d’universalisme et d’ouverture au monde. Cela me faisait aussi plaisir de parler de la France avec des termes laudatifs, car on dit que les Français râlent, mais il y a aussi de belles choses. La France porte des valeurs de liberté, de liberté d’expression, de laïcité - et ce sont ces valeurs là aussi qui rassemblent. J’avais aussi de mettre en avant la chance que l’on a d’être français ou française. C’est un pays qui repose sur un système de solidarité extraordinaire et je ne voudrais pas que l’on oublie cela. C’est d’ailleurs pour cela que tant de gens sont attirés par la France. 

On peut donc ressentir tout cela, être Français, sans être né sur le territoire ou l’être de filiation ? 

Oui bien sûr, on peut l’adopter. Après, l’exil reste toujours un deuil, on le voit dans le documentaire. Je trouve qu’il y a un espace d’accueil en France pour cela. 

Quel symbole, quelle importance revêt le fait d’avoir tout de même ses papiers administratifs français ? 

Je pense qu’ils sont essentiels. La dernière des mémoires est celle de l’administration. Elle se charge de donner une mémoire à ceux qui n’en ont pas, notamment ceux qui viennent d’ailleurs et qui arrivent en France, parfois très pauvres, et qui n’ont pas cette mémoire administrative avec eux. Les papiers ont une valeur symbolique très forte, et même affective ! On le voit lorsqu’on les perd. Les lois Sarkozy* n’ont rien changé dans les faits, mais une partie des Français ont dû prouver qu’ils l’étaient, et cela a été un véritable traumatisme pour certains d’entre eux. 

 

* Au moment du passage à la carte d’identité sécurisée, une vérification complète de la nationalité est effectuée, obligeant des personnes à devoir prouver, papiers de leur famille à l’appui, être effectivement français ou française. 

 

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Publié le 2 juillet 2023, mis à jour le 3 juillet 2023