Au milieu des années 1950, deux superpuissances, les États-Unis et l’URSS, ont entamé une véritable course spatiale, ouvrant ainsi le champ des possibles vers un tout nouveau territoire : l’espace. Plus d’un demi-siècle plus tard, les opportunités sont toujours aussi nombreuses et l'intérêt n'en est que décuplé. Mais, alors que les entreprises privées continuent d’affluer, à qui appartient vraiment l’espace et quelles sont ses règles ?
La fascination de l’Homme pour l’espace ne date pas d’hier. Elle fait partie intégrante de l’histoire et des croyances. Dès le début de la guerre froide, ce nouveau territoire attire les ambitions des États-Unis et de l’URSS. Que ce soit pour explorer, démocratiser ou commercialiser, désormais l'espace est au centre des attentions et représente un terrain de jeu bien trop vaste pour rester inexploité par l’Homme.
Mais quelles sont les règles qui régissent l’espace ? Une question cruciale alors que les entreprises privées multiplient leurs conquêtes de l’espace comme SpaceX, Blue Origin ou encore OrianSpan. Selon le traité de l’espace, signé en 1967 par une centaine d'États, l’espace ne peut faire l’objet d’aucune appropriation et son exploitation, son utilisation est l'apanage de l'humanité toute entière : “Le traité de 1967 déclare l’espace comme bien commun de l'humanité. Cela signifie que l'espace appartient à tous et, qu'en même temps, chacun peut en tirer des profits. Faut-il encore avoir les moyens économiques et techniques pour le faire.” explique Jacques Arnould, expert éthique depuis 20 ans au Centre national d’études spatiales (CNES).
L’espace, loin d'être une zone de non-droit
Même si, en théorie, l’espace appartient à tout le monde, il n'est pas dispensé d’avoir des règles pour assurer un minimum d’encadrement concernant les activités prenant place en dehors de notre espace extra-atmosphérique : “J'entends souvent dans les médias que l’espace serait le nouveau Far West car il n'y a pas de réglementation. Il y en a bien qui existent d'une part au niveau international avec plusieurs traités, mais aussi au niveau national.” explique Cécile Gaubert, avocate à Paris 2 et spécialiste en droit de l’espace. Il existe cinq traités internationaux pour réglementer l’espace :
1967 : le traité de l'espace (signé et utilisé par la quasi-totalité des membres de l'ONU)
1968 : l'accord sur le sauvetage des astronautes
1972 : la convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par les objets spatiaux
1975 : la convention sur l’obligation d'immatriculation des objets spatiaux qui sont lancés
1979 : l'accord régissant les activités des états sur la Lune et les autres corps célestes
Une interdiction ressort spécifiquement de tous ces traités internationaux et concerne l'utilisation de l’espace à des fins militaires : “Il est interdit de placer des armes de destruction massive dans l'espace, qui ne doit pas être une zone de guerre. Il peut quand même y avoir certaines activités militaires, comme de l'observation via des satellites pour le compte de gouvernements.“ explique Cécile Gaubert. Cette décision avait été prise à l'occasion du Traité de l’espace en 1967. Il interdit aussi l'aménagement de bases ou d'installations militaires sur les corps célestes.
L’espace n'est pas seulement réglementé par ces quelques accords internationaux. Chaque État rédige des lois spatiales nationales : “Les États supportent une certaine responsabilité et un devoir de contrôle des activités spatiales menées par les entreprises privées. Un certain nombre d'entre eux ont rédigé des lois spatiales nationales ayant pour vocation d’encadrer les activités spatiales menées par des entreprises ressortissantes de l'État.“ raconte Cécile Gaubert.
Une politique spécifique pour chaque activité spatiale ?
De nos jours, il existe plusieurs types d’activités réalisables dans l'espace, que ce soit de la télécommunication via des satellites, l'utilisation de fusées ou encore un aspect plus commercial avec le tourisme spatial : “Les traités internationaux couvrent toutes les activités spatiales utilisant un objet. Que ce soit un lanceur, un satellite ou une sonde. De manière assez large, les traités posent des droits et des obligations que les États doivent suivre. Ensuite, le champ d'application de ces lois dans leurs réglementations nationales va varier d'un État à un autre en fonction de ses besoins.” explique Cécile Gaubert.
Tout le monde ne peut pas utiliser l’espace à sa guise.
Concernant les télécommunications, même si chaque pays a le droit de lancer un satellite, un règlement encadre précisément ce domaine comme l’explique Jean-Philippe Taisant, responsable des programmes de Télécommunications du CNES : “Les pays ne sont pas obligés mais plutôt invités à respecter les règles de l’UIT (ndlr : Union internationale des télécommunications) pour ne pas brouiller les différents systèmes. Tout cela fonctionne sur le bon vouloir des pays. Il n’y pas une police de l’espace, qui vient attaquer votre satellite si vous ne respectez pas ses règles. Mais un pays peut ne pas vous accorder de licence pour communiquer sur son territoire à partir du moment où vous ne respectez pas ses règles-là.” Concrètement, est-ce que monsieur tout le monde peut envoyer un satellite dans l’espace ? Non, explique Jean-Philippe Taisant : “L’espace n’est pas vraiment à tout le monde. En ce qui concerne les télécommunications, l’UIT applique ses règles en affectant les fréquences et positions orbitales. Tout le monde ne peut pas utiliser l’espace à sa guise.”
Antenne radio d'un observatoire spatial
Les activités extra-atmosphériques n’ont de cesse de se diversifier et ce n’est qu’une question de temps avant que l’Homme exploite les ressources spatiales. L’importance du bon vouloir des pays est donc primordial pour éviter les débordements.
L’exploitation de l’espace réservée à ceux qui ont les moyens ?
Certaines puissances s'approprient un droit exclusif sur l’espace. En 1969, les Américains plantent leur drapeau sur la surface de la lune, mais cela reste avant tout un acte symbolique sans pour autant rendre le sol lunaire américain. Aujourd’hui, plusieurs particuliers et entreprises vendent des noms d’étoiles ou même des parcelles sur la lune. Selon les accords internationaux, qui stipulent que l’espace appartient à tout le monde, ces entreprises n’ont en aucun cas le droit de vendre de telles choses. Le tourisme spatial se situe lui dans une catégorie à part, car il ne vend pas un bien mais un service. Encore en pleine évolution, ce nouveau marché intéresse des entreprises comme SpaceX ou Virgin Galactic qui ont pour but de rendre possibles les voyages touristiques dans l’espace avec des tests prévus dès 2024…
Se dire "oui" dans l’espace, parés au décollage en 2025 ?
L’accord sur la lune de 1979 avait pourtant essayé d'empêcher de générer du profit via l’espace mais ce dernier avait été signé et ratifié par très peu d’États. Les grands acteurs spatiaux comme les États-Unis et la Russie n’ont pas accepté cet accord (seulement 17 pays ont ratifié ce texte) : “Ce texte représente une grande évolution car l'espace était proposé pour être déclaré comme patrimoine commun à l'humanité. C’est-à-dire qu’il appartient à tous mais avec l'impossibilité pour qui que ce soit d'en tirer profit. Tout comme les patrimoines communs actuellement sur terre que sont l'Antarctique ou le fond des mers. Mais ce statut n'a pas été accordé à l'espace.” explique Jacques Arnould. La France a simplement signé ce texte, mais ne l'a pas ratifié.
Mais, même si l’espace est en accès libre, nombreux sont les pays qui ne disposent pas des moyens financiers et techniques pour y accéder ou l’étudier. Les données du domaine scientifique recueillies via des satellites ou des télescopes spatiaux "extrêmement précises et précieuses” mériteraient d'être connues de tous, selon Jacques Arnould. L’exemple de la Charte Internationale Espace et Catastrophes Majeures met parfaitement en lumière ce partage : “Avec cette charte, une agence spatiale nationale accepte de mettre, gratuitement et le plus rapidement possible, des données spatiales à disposition de pays qui ont été frappés par des catastrophes majeures, naturelle ou artificielle. Il y a donc l’idée que l'espace en tant qu'activité doit être mise à la disposition du plus grand nombre. Toujours dans cet esprit de bien commun à partager pour en faire profiter un maximum de personnes.” souligne l’expert au CNES.
Où se situe la France dans la conquête de l’espace ?
Une question demeure : quelle est la politique spatiale de la France ? En tant que puissance spatiale historique, la position du pays sur ce sujet est importante : “La position de l’Hexagone est un peu médiane. La France tient énormément aux principes fondateurs du droit spatial : l’appropriation, le libre accès, l'usage pacifique de l'espace, la responsabilité des États… Ce dernier point est un principe fondateur du droit spatial international. Il a été mis en œuvre dans le cadre de la loi française des opérations spatiales (LOS), promulguée en 2008.“ commente Jacques Arnould.
Les start-ups sont des opportunités d'améliorer notre accès à l’espace
Mais les réglementations concernant l’espace évoluent rapidement. En 2015, les États-Unis adoptent le “Space Act”. Cette loi autorise les entreprises des États-Unis à s'emparer des ressources de l'espace. Le Luxembourg, le Japon et l’Arabie Saoudite emboîtent le pas aux Américains pour réglementer l'exploitation des ressources au niveau national, notamment par des entreprises. Une position qui n’est pas partagée par la France : “La position française actuelle ne rejoint pas celle des 4 pays ayant adopté de telles mesures. Attention, cela ne veut pas dire que la France bride les initiatives privées ou les start-ups. Mais l’Hexagone est très soucieux à ce que l'espace reste un bien commun. Tout cela représente un réel débat au niveau juridique et diplomatique.” explique Jacques Arnould.
Du côté des entreprises, de nombreuses startups se développent dans le domaine spatial. Une augmentation qui peut renforcer la souveraineté des pays, comme la France : “Les start-ups sont des opportunités d'améliorer notre accès à l’espace qui est stratégique. Il est important d’avoir des acteurs souverains. Des startups comme Latitude, HyPrSpace, Sirius aident plus qu'autre chose la France dans ce domaine.” explique Matthieu Chartier, directeur de Starburst en France, un accélérateur de start-up spécialisé dans le domaine aéronautique, spatial, défense et cabinet de conseil en innovation et stratégie.
Grâce à ces initiatives, la France maintient son avancée et sa maîtrise technologique concernant l'accès à l'espace : “Il est important que la France garde son leadership dans les domaines pour se transporter, se déplacer, observer et communiquer dans l’espace.” commente le directeur de Starburst France. Tout cela bénéficie aussi à l’Europe et plus précisément à l’Agence spatiale européenne (ESA). Mais, même si la France ne partage pas la position du “Space Act”, elle ne bride pas pour autant les start-ups : “Je ne suis pas sûr que l'absence de réglementation concernant l'exploitation des ressources de l'espace en France dessert les startups et les entreprises privées en tant que telles. En tout cas, ce serait effectivement un signal positif que les institutions s'emparent du sujet.” explique Matthieu Chartier.
En France ou ailleurs, une chose est sûre, la conquête de l’espace a encore de beaux jours devant elle, avec, comme ambition mondiale, de retourner un jour sur la lune. Un objectif déjà bien engagé du côté de la NASA - et son programme Artemis - qui souhaiterait faire marcher un équipage sur le sol lunaire d’ici 2026…