Intégré en 2022 à la liste des sports olympiques, le jeu d’échecs porte en lui une aura de mystère et de fascination. Tantôt national, sportif, politique ou éducatif, il est une source inépuisable de défis et de curiosité.
Vieux de 1500 ans, les échecs trouvent leur origine primitive en Asie, et ont ensuite voyagé jusqu’au Moyen Orient, puis en Europe au Moyen âge; où ils ont évolué jusqu’à leur forme actuelle. Mais les échecs sont loin d’être un simple jeu. Un art de vivre, une passion, un sport (les champions peuvent brûler jusqu’à 6000 calories pendant une partie intense) désormais olympique, les échecs en disent aussi long sur une époque. Le jeu du roi intervient à la fois dans la culture, la science, la politique, les relations internationales et l’éducation.
Les échecs comme pilier culturel d’une nation
Vous-êtes vous jamais demandé pourquoi les plus grands joueurs d’échecs du monde étaient des Russes ? Au début de l’URSS, les échecs étaient un jeu de prolétaires. Ils ont ensuite largement été utilisés par l’Etat pour créer de la cohésion sociale au sein de l’Union. Les tournois étaient suivis à la radio, et ont bien vite dépassé la popularité du football. Aujourd’hui, la Russie est héritière de cette hégémonie. The Washington Post en veut pour preuve statistique que sur les quelque 1722 grands maîtres internationaux (GMI, plus haute distinction de la discipline) recensés en 2020, « la Russie en compte 239. L’Allemagne, au deuxième rang, en totalise 96, suivie de près par les États-Unis, avec 95 GMI. »
Depuis le début de la guerre en Ukraine, en février 2022, la Russie a été bannie de la Fide (Fédération internationale des échecs), ce qui a provoqué un grand émoi dans sa population. Sébastien Ferrand, fondateur du club d’échecs Happy Pawn Chess Club en Thaïlande précise : « L'un des meilleurs joueurs mondiaux, Sergey Karjakin, a été exclu de sa participation au prestigieux Tournoi des candidats pour avoir posté sur les réseaux sociaux des plaisanteries pro-russes et pro-guerre. » À l’inverse, le grand Garry Kasparov est connu pour être une voix d’opposition au régime, et notamment à Vladimir Poutine, de qui il est la bête noire.
Comme des pions sur l’échiquier … géopolitique
Comme le note Manouk Borzakian dans le Monde diplomatique : « D’après Garry Kasparov, les champions du monde d’échecs ont toujours exprimé la vérité de leur temps. Leur affrontement intellectuel devant l’échiquier reproduit celui des grandes puissances, dont ils sont issus. » Pendant la Guerre froide, le plateau d’échec était la métaphore de la scène internationale coupée en deux blocs hostiles. Mais qu’en est-il de la géopolitique des échecs depuis ? En 2008, Viswanathan Anand, joueur indien, devient le premier champion du monde d’échecs asiatique en battant le Russe Vladimir Kramnik, ce qui renverse les tendances historiques.
Depuis leur origine médiévale, les échecs portent en eux une dimension géopolitique prégnante. Deux royaumes s’affrontent sur l’échiquier, et rivalisent de ruse, d’intelligence et de tactique pour renverser le roi adverse. L’apprentissage même du jeu et de son histoire peut induire une curiosité pour la géopolitique. La Fide a été crée en 1924, peu après la naissance de l’URSS et cette date n’est pas un hasard. Les échecs ont une symbolique politique très forte dans l’Union Soviétique et dans ses pays satellites. Le camp occidental n’a pas tardé à s’en emparer comme outil politique et les confrontations « sportives » de la Guerre froide étaient placées au cœur de la propagande des deux blocs.
Les spécialistes des échecs continuent à voir une lutte géopolitique dans le jeu après la fin de la Guerre froide. En 1997, le multi champion du monde d’échecs russe, Garry Kasparov, s’incline face à l’ordinateur Deep Blue à l’issue d’un match difficile (3,5 pour Deep blue et 2,5 pour Kasparov). Le super calculateur Deep Blue ayant été développé par IBM, une compagnie américaine, beaucoup dans cette défaite voient l’achèvement de la victoire du bloc de l’ouest, la dernière de la Guerre froide.
Un lien très fort entre les échecs et la technologie s’est dessiné depuis le milieu du 20ème siècle, et ne cesse de se resserrer.
Les échecs, un défi perpétuel pour la technologie
Depuis les premiers tâtonnements de l’informatique, les ingénieurs ont souvent mis leurs inventions à l’épreuve du jeu d’échecs. Alan Turing, le père de l’informatique, a utilisé les échecs en 1945 comme outil de démonstration de la puissance de la machine sur laquelle il travaillait. Inversement, l’informatique a permis une nouvelle approche de la science des échecs. C’est ce qu’explique Julien Rouyer, agrégé de mathématiques et doctorant en informatique, dans un article de The Conversation : « L’informatique a permis un nivellement vers le haut du niveau des très grands joueurs. (…) Les ordinateurs ont montré des voies que les humains n’avaient pas envisagées. »
L’informatique puis l’intelligence artificielle : le jeu des rois est constamment mis face à des moteurs de calculs. Une grande partie du travail des Grands Maîtres consiste aujourd’hui en l’interprétation d’analyses faites par ordinateur, pour pouvoir arriver à les battre. On peut même trouver des tournois d’échecs entre machines qui sont suivis par des milliers de personnes. Parmi eux, le Top Chess Engine Championship, dont la première édition a eu lieu en 2010 et qu’il est possible de suivre en ligne.
Les échecs sont le symbole de la lutte perpétuelle entre l’intellect et la machine, entre le raisonnement humain et l’intelligence artificielle. Ce jeu millénaire n’a pourtant pas pris une ride, quand on note qu’une série Netflix suffit à relancer la popularité de ce jeu auprès des jeunes générations.