Le Festival de la BD vient de refermer son 51e album. Il a accueilli 200.000 visiteurs dans ses cases, a permis l’exploration de mondes nouveaux et engagés et a fait des jeunes les personnages principaux de son scénario. À Angoulême, du 25 au 28 janvier, Lepetitjournal.com est allé en immersion dans ce 9e art passionnant, redécouvert et présenté en profondeur par un local de l’étape.
Angoulême, village d'irréductibles Gaulois, n’a une fois de plus pas su résister à l’envahisseur. Durant ces quatre journées de Festival de la BD, le chef-lieu charentais a ouvert les portes de sa ville comme il en va de tradition à chaque dernier week-end de janvier.
Parmi ses visiteurs, un journaliste de lepetitjournal.com, né à Angoulême il y a 23 ans et résidant à temps partiel non loin de la ville. Cette dernière, je la connais très bien, mais pas vraiment pour ce qui fait d’elle sa renommée internationale, son Festival. Terriblement paradoxal. Alors pour cette 51e édition, il fallait que cela change. Et je n’ai pas été déçu du voyage !
@lepetitjournal.com Le Festival international de la BD a refermé son 51e album. Retour complet sur une institution à Angoulême 🔎 #bd #angouleme #festivalbd #festivalinternationalbd #bandedessinee #riadsattouf #thomasbangalter #zep #penelopebagieu #motohagio #lepetitjournalcom ♬ son original - Lepetitjournal.com
La Bande Dessinée, une institution au coeur de la ville
La Bande Dessinée, littérature trop souvent méprisée par le passé, est mise à l’honneur comme nulle part ailleurs dans le monde à Angoulême. Si ses premières éditions étaient réalisées en dehors de la ville, le festival rythme désormais toutes les rues de la cité angoumoisine. Il y en a de partout, pour tous les goûts. Au sein de bulles dédiées aux différentes maisons d’édition, où les auteurs français et internationaux se mélangent aux férus de 9e art qui font le plein de BD, romans graphiques et mangas. Au sein d’expositions en tous genres, retraçant pour la majorité d’entre elles la carrière d’artistes qui ont fait et font la BD. Au sein aussi de conférences masterclasses privilégiées, où les bédéistes échangent et se dévoilent aux spectateurs attentifs.
Pendant quatre jours de Festival, j’ai sillonné les rues pavées d’Angoulême pour en apprendre le plus possible sur la Bande dessinée. Durant mon parcours, j’ai visité pléthore d’expositions - je me suis aussi fait refouler de certaines, victimes de leur succès. Une d’entre elles m’a particulièrement marqué.
L’exposition Adolescents en guerre occupe les deux salles de l’actuel musée du papier, et ancienne papeterie de la ville. Alors que les turbines qui frappent l’eau s’invitent au cours de ma balade, je découvre trois œuvres fortes et émouvantes : Madeleine Résistante, Le Lierre & L’araignée et Le combat d’Henry Fleming. Sortis au cours de ces six derniers mois, ces trois albums ont un point commun : le récit d’un adolescent en pleine guerre, vulnérable et actif malgré lui. La résistance pendant la Seconde Guerre mondiale est le sujet principal des deux premiers, le champ de bataille durant la Guerre de Sécession pour le dernier. À la découverte des centaines de pages affichées aux murs du musée, on ne peut s’empêcher de penser à ce qu’il se joue dans notre époque moderne, au Moyen-Orient ou encore en Ukraine.
51e édition : place à la jeunesse
Non loin du musée du papier, je traverse une passerelle qui m’amène directement au Quartier Jeunesse. Excentré de la vieille ville, c’est ici que réside le musée de la Bande Dessinée 365 jours par an. À l’occasion du festival, vous vous doutez bien qu’il devient un lieu incontournable. Encore plus lors de l’édition 2024, qui s’est donnée pour mission de valoriser la BD jeunesse et les jeunes - très jeunes - créateurs.
Entre l’exposition Bergères Guerrières, mon tour dans la salle consacrée aux 90 ans du Journal de Mickey et la visite de la chambre reproduite à l’identique de la BD Les Sisters, j’ai croisé la route de nombreux collégiens, lycéens et étudiants. Très curieux, parfois un peu blasés, ils se déplacent en troupes et ne cachent pas leur émerveillement devant certaines bulles. Jeanne, étudiante en graphisme de 22 ans, a fait l’aller-retour dans la journée du jeudi “pour découvrir ce milieu qu’elle ne connaît pas vraiment”. Tiens, je ne suis désormais plus seul ! Crayon à la main, à tirer le portrait d’un personnage, elle me raconte qu’elle a “toujours bien aimé le dessin” et qu’elle avait “envie de voir les différentes techniques de la BD”. Son coup de cœur du festival ? La maison d’édition Les Cérises, “aux dessins très japonisants et dans l’univers de l’enfance”, qu’elle affectionne particulièrement.
C’est noté, j’irai faire un tour. Mais avant, direction l’inauguration de l’exposition retraçant l’histoire d’un concours qui fête ses 50 ans, celui de la BD scolaire. Pour l’occasion, le festival a décidé de célébrer ce compte rond avec la présence de son créateur Dominique Bréchoteau, ancien professeur agrégé d’arts appliqués. Lancé pour susciter des vocations dans le 9e art, il s’est propagé au fil des années, dépassant les frontières de la France. En 1985, le concours de la BD scolaire reçoit une avalanche de planches : 25.000 jeunes y participent. À partir des années 1990, des changements sont opérés pour faciliter l’organisation d’un concours qui prend de l’ampleur. Un pré-jury se rassemble pour pré-sélectionner 1.500 planches à analyser. Aujourd’hui, ce nombre est descendu à 700 et les quarante meilleures œuvres des lauréats sont exposées durant le festival. Lors de la 50e édition du concours de la BD scolaire, c’est la planche de Romane Coussement “No more battery” qui a remporté le Prix d’Angoulême.
ZEP, Pénélope Bagieu, Riad Sattouf… les rockstars du festival
Président du Grand jury de la 51e édition du FIBD, la “rockstar” du festival se nomme Thomas Bangalter, ancien membre du duo légendaire Daft Punk. Trop occupé à la lecture des 52 BD qui composent la sélection officielle 2024, je n’ai pas la chance d’avoir un tête à casque avec lui. Tant pis, mes stars à moi s'appellent ZEP, Pénélope Bagieu et Riad Sattouf !
Dans le cadre des masterclasses du festival, organisées à l’espace Franquin, salle de spectacles qui se loge en plein centre-ville, j’ai rencontré les artistes ZEP et Pénélope Bagieu. Enfin “rencontré” est un bien grand mot… L'auteur de Titeuf et l’autrice de Culottées se sont adressés à une foule comblée - dans laquelle je faisais partie - pendant plus d’une heure et demie.
Au programme : un retour complet sur leur carrière, l’analyse de leur style, leur routine de travail ou encore leur projet à venir, sans oublier une séance de questions-réponses en toute franchise avec le public. De son vrai nom Philippe Chappuis, ZEP ne serait toujours pas sorti de l’enfance malgré son envie d’y échapper lorsqu’il était adolescent. Il en profite aussi pour démystifier la coiffure de son personnage emblématique Titeuf. La raison de sa mèche jaune : ZEP n'aime pas dessiner les cheveux et il souhaitait "peu de détails sur un personnage que l'on reproduit des centaines de fois dans un album".
Lauréate du prix Eisner en 2019, Pénélope Bagieu a changé de dimension dans le monde de la BD. Malgré cela, sa simplicité et sa sympathie ont conquis un public curieux de savoir comment elle gère le succès et l'attente grandissante des lecteurs. Elle a su en rassurer plus d'un en racontant "sa méthode" de travail, dans laquelle beaucoup s'y reconnaîtront. Cassons le mythe, Pénélope Bagieu dessine affalée sur son canapé en L avec beaucoup de café à côté d’elle, Desperate Housewives à la télévision et son chat Raspoutine étalé sur le long de sa jambe.
Maintenant, il ne me reste plus qu’à approcher la plus célèbre d’entre tous, Riad Sattouf. Et à ce jeu-là, nous sommes plusieurs. Laëtitia est enseignante. Elle est venue avec ses élèves qui ont participé au concours des Fauves des lycéens. Et pendant qu’ils se baladent dans le monde des bulles, situé place du Champ de Mars d’Angoulême, elle s’offre un moment de répit : se faire dédicacer le dernier tome qu’il lui manque de l’Arabe du futur par son auteur. Grande fan du lauréat du Grand Prix d’Angoulême 2023, elle le lit “depuis une dizaine d’années”. Et ce n’est pas la seule dans ce cas-là. Dans la queue qui ne cesse de s’allonger pour passer quelques instants avec l’illustre Riad Sattouf, il y a aussi Nicolas. L’homme d’une quarantaine de printemps habite en banlieue parisienne mais est “originaire du coin”. Il a fait le déplacement spécialement pour le Festival et s’est saisi de l’occasion pour rencontrer l’auteur qu’il suit depuis 2014, date de la sortie de… L’Arabe du futur. Son autre mission : “faire dédicacer sa BD pour ma nièce”. La culture, ça se transmet !
Riad Sattouf, j'en suis absolument fan depuis une dizaine d'années - Laëtitia, une festivalière
Pour mieux comprendre le personnage Riad Sattouf vu de mes propres yeux en séance de dédicaces, je me suis rendu à l’exposition dédiée à sa série autobiographique, située au pied des remparts d’Angoulême. En parcourant son enfance en Libye et en Syrie, sa chambre d'adolescent, ses inspirations dans le 9e art et sa double casquette en tant que réalisateur de 7e art… j’ai enfin percé les secrets Riad Sattouf, un des acteurs les plus appréciés et reconnus de la BD de ces dix dernières années.
Mangas, BD alternative et éditions internationales… un 9e art global
Visiter des expositions, c’est fait. Rencontrer mes nouvelles idoles, c’est fait. Mon prochain objectif : ne pas repartir les mains vides du festival. Et pour cela, je n’ai pas trop de souci à me faire. Sauf que je ne suis pas un grand lecteur de BD et je ne sais quoi chercher, alors je me laisse porter…
Premier arrêt : l’espace manga. Il est en contrebas de la ville, derrière la gare, mais pas à l'abri des regards. Sous un grand entrepôt à l’architecture d’un temple japonais, je n’ai pas pu le louper. À l’intérieur, de quoi faire des emplettes de figurines et peluches en tout genre, et évidemment des mangas, en veux-tu en voilà ! Dans le prolongement du temple, un autre espace : Manga City. À la seconde où j’y rentre, je sens que c’est ici que j’achèterai le premier manga de ma vie. D’ailleurs, des mangas au Festival international de la BD, est-ce que cela a-t-il sa place ? Oui, oui, et mille fois oui. Introduit progressivement dans l’Hexagone durant les années 90, le manga japonais a connu une ascension folle ces derniers temps. Depuis 2021, il représente plus de la moitié des publications de BD sur le marché français.
Parenthèse fermée, je ne sais toujours pas quelle œuvre me procurer. Anne et son mari Minh semblent vouloir m’aider. Ils me présentent leur manga Ichigo Stories, une anthologie de six histoires courtes qu’ils ont réalisée ensemble. Sortie il y a trois ans, leur œuvre s’est vendue à 6.000 exemplaires, un vrai carton qui les pousse à l’écriture d’un nouvel ouvrage. Le sujet de leur prochain projet : une revisite du Petit Chaperon Rouge “mais en plus trash, pour les adultes” me prévient Anne, en rigolant. Je note pour l’avenir et je poursuis mon chemin, toujours à la quête de l’achat de mon premier manga. Mon choix se porte sur Gloutons et Dragons de Ryōko Kui, qui fête ses 10 ans et qui - gourmand que je suis - ne me laisse pas indifférent.
Second arrêt : les BD alternatives et du nouveau monde, situées dans la bulle de la place New York - en référence à l’époque où la ville la plus connue de la planète portée le nom d’Angoulême. Ici, je retrouve une centaine de stands de maisons d’éditions underground et spécialisées avec tout autant d’auteurs en dédicace de leurs ouvrages. Je me faufile dans une foule intergénérationnelle. Mon oeil se porte sur une couverture avec écrit en gros le mot FUN - une BD sur mon principal trait de personnalité ? Du scénariste italien Paolo Bacilieri, Fun nous révèle les secrets d'un jeu extrêmement populaire : les mots croisés. Sont-ils bien un inoffensif passe-temps et une forme subtile de résistance au règne de l'imbécillité ? C'est ce que je découvrirai au fil de ma lecture.
Un achat en appelle souvent d’autres. Sur ma lancée, je me dis qu’il est temps de ramener des Bandes Dessinées pour mes proches… Le plaisir, ça se partage ! À la recherche d’un ouvrage peu commun pour mon père, je mise sur une BD avec la musique comme thématique. Une s’intitule Vinyl : elle a la forme d’un vinyle et possède elle-aussi deux faces pour démarrer la lecture. Jackpot, j’opte pour cet ouvrage, je le signale aux deux vendeurs, ces derniers me révèlent qu'ils en sont les auteurs. La belle surprise, j’ai même le droit à une dédicace, la classe !
Le Fauve d’or pour Monica, la révélation de l’année pour L’homme gêné
Mon périple au Festival de la BD s’achève en grandes pompes, à la cérémonie des Fauves, les trophées que tous les bédéistes et les maisons d'éditions souhaitent s’arracher. Le rendez-vous est le samedi 27 janvier au soir au théâtre d’Angoulême. Enfin j’aperçois Thomas Bangalter. Il est accompagné de ses autres compagnons du Grand Jury, dont font partie la journaliste Eva Bester, la dessinatrice Marion Fayolle ou encore le fleurettiste olympique Enzo Lefort.
19h10, la cérémonie commence. Pendant 1h30 les lauréates et lauréats se succèdent. Le prix de la BD écologique Eco-Fauve RAJA est remis au livre Frontier de Guillaume Singelin. Je souris. Il compte parmi mes emplettes de la veille. L'œuvre Aline, réalisée par un collectif de 11 artistes néerlandais, s’offre le prix du Fauve de la BD alternative. Le thème tabou de la santé mentale est mis à l’honneur par le prix du public France Télévisions qui récompense Des maux à dire de Bea Lema. Parmi les prix décernés par les membres du Grand Jury, celui de la révélation de l’année remis à L’homme gêné, œuvre pleine d’humour de Matthieu Chiara.
Les minutes passent et les statuettes se succèdent. Le temps est venu de remettre le Fauve d’or, prix qui récompense la meilleure BD. Le César du 9e art. Et le grand gagnant est… Daniel Clowes pour Monica. Finaliste trois jours plus tôt pour le Grand Prix de l’auteur - décerné à la britannique Posy Simmonds - l’auteur américain a bien fini par être récompensé à Angoulême.
Après la photographie collective du Palmarès 2024, la cérémonie s’achève, signant pour moi la fin de mon premier Festival d’Angoulême. Et il ne sera pas le dernier, je peux vous l’assurer. En quelques jours, j’ai rattrapé ma culture BD en me plongeant dans ce trop vaste univers, où réel et imaginaire s’y confondent, où l’engagement et la beauté graphique s’y exposent.
Mon festival, que je vous ai présenté, n’est pas le même que chacun des festivaliers. J’ai participé à de nombreuses conférences, rencontré des tas de bédéistes, visité tant d’expositions en si peu de temps. Pour autant, Angoulême propose durant ces quatre journées une infinité d’expériences avec le 9e art, et pas seulement. Concerts et séances de cinéma occupant le paysage culturel d'Angoulême.
Dès le départ, je l’ai vite compris : “il faudra faire des choix”. Mais tant que vous prenez la décision d’aller au Festival international de BD, vous avez déjà fait le bon. Et si on se donnait rendez-vous l’année prochaine pour venir s’éclater dans la bulle d’Angoulême ?