Nous lançons aujourd'hui une nouvelle rubrique pour nos lecteurs, un rendez-vous mensuel consacré aux expressions, aux tournures et aux particularités lexicales qui font la richesse du français et de l'italien. Pour inaugurer la série, nous vous proposons aujourd'hui de faire le plein d'expressions avec le verbe fare. Ah que ça fait du bien !
Le verbe faire n'a jamais été aussi populaire en Italie. Il faut reconnaître qu'il a toujours eu bonne réputation et qu'il n'a jamais chômé dans ce pays où foisonnent les expressions telles que fare una telefonata, fare una chiacchierata ou fare una pedalata. Car le verbe faire est comme la petite robe noire pour une soirée imprévue, le bouquet de fleurs pour la maîtresse de maison ou le dernier Goncourt sous le sapin : il va avec tout, il s'adapte à toutes les situations et, de surcroît, il permet souvent de fare bella figura (voilà un bon exemple tout prêt). Les puristes pourraient rétorquer que, dans la plupart des cas, il serait souhaitable de le remplacer par un terme plus précis, et que cette invasion pacifique de phrases contenant le verbe fare n'est que le symptôme d'une maladie bien plus grave, l'appauvrissement de la langue, notamment de la langue parlée. Fare la cena (dîner) ou preparare la cena ? Fare una fattura ou emettere una fattura ? Les exemples ne manquent pas, et ce dans tous les domaines et toutes les circonstances, au travail ou dans la vie quotidienne.
Ce l'ho fatta !
En italien comme en français, les expressions avec le verbe faire sont nombreuses et, souvent, elles sont communes aux deux langues au point qu'il est souvent facile de faire mouche en les traduisant littéralement. Pourtant, s'il est vrai que deux et deux font quatre des deux côtés des Alpes, il faut apprendre rapidement à faire la part des choses, car il faut savoir qu'en Italie on ne dit pas qu'un artiste fait un malheur, encore moins qu'il fait un tabac. Et que l'équivalent de faire la fête, faire mousser ou faire surface n'est certainement pas la traduction au pied de la lettre de la locution. Si possible, l'italien est encore plus imaginatif dans son emploi du verbe fare. Par exemple une personne qui ha fatto molti soldi n'est pas un faussaire mais quelqu'un qui a gagné beaucoup d'argent ; se coucher tard devient fare le ore piccole (faire les petites heures); généraliser, mettre tout le monde dans le même sac se transforme en fare di ogni erba un fascio. (faire de chaque brin d'herbe un faisceau). Et, pour finir, la particule ci tombe souvent à pic pour compliquer les choses : ce l'ho fatta signifie "j'ai réussi".
Faisons bien les choses
Fare il bagno, fare colazione, fare fatica. Combien de fois, à longueur de journée, employons-nous le verbe fare en italien ? Forte de sa longue tradition manufacturière (le pays arrive en deuxième position en Europe derrière l'Allemagne), l'Italie a toujours su valoriser la qualité du travail bien fait, de l'artisanat. Darsi da fare est une expression qui traduit parfaitement cet état d'esprit : s'affairer, littéralement "se donner à faire". C'est peut-être pour cela qu'aujourd'hui le pays, suffoqué par son administration tentaculaire, ne réclame qu'une chose : sortir des sables mouvants de son immobilisme. Un sentiment profond que Matteo Renzi a su capter en se présentant à ses électeurs comme l'uomo del fare, une locution utilisée pour indiquer une personne qui "fait" les choses, un homme d'action. Une bouffée d'oxygène bénéfique pour un pays qui essaie de laisser derrière lui, et le plus rapidement possible, les effets néfastes de la crise, et le programme de Matteo Renzi se veut d'ailleurs très ambitieux. A condition toutefois de ne jamais oublier un des plus beaux proverbes italiens : attention, tra il dire e il fare c'è di mezzo il mare (entre dire et faire, il y a la mer au milieu).
Luisa Gerini (www.lepetitjournal.com/Turin) mercredi 22 octobre 2014