Depuis début septembre, Patrick Hamel enchante tous les jeudis et les dimanches le public de la Comédie Saint-Michel en revisitant les grands poètes français du 19ème et 20ème siècle en musique. Une très belle performance artistique qui rend hommage et refait vivre la poésie française.
Dans la petite salle de la Comédie Saint-Michel, sobrement décorée avec les portraits des poètes mis à l’honneur dans le spectacle, Patrick Hamel interprète les plus grands poèmes en musique, en s’accompagnant de différents instruments. Que cela soit à l’aide d’une guitare, d’un saxophone, d’un piano ou même d’un harmonica, l’artiste procure à chaque fois une émotion particulière et singulière, tout en respectant avant tout les œuvres de Baudelaire, Rimbaud et compagnie. La musique ne masque jamais le texte, Patrick Hamel a cette faculté de créer une vraie relation entre les mots et la musique, qui se mettent en lumière et s’embellissent mutuellement. Une véritable performance qui demande beaucoup de travail, de précision et de sensibilité. Rencontre avec Patrick Hamel, le messager de la poésie française.
Lepetitjournal.com : Si l’on se fie à votre parcours, on distingue clairement que vous aviez plusieurs passions et que vous vouliez en faire spécificité.
Patrick Hamel : C’est vrai que je suis un touche à tout. Je suis comédien, musicien et chanteur professionnel depuis presque 25 ans. J’ai fait une formation de comédien et de musicien au Conservatoire, ainsi que l’École de Jazz de Paris. Ce qui m’a permis de découvrir pleins d’instruments, dont le piano, la guitare, mais surtout le saxophone qui a été une expérience extraordinaire.
Le saxophone semble avoir été une vraie révélation pour vous, surtout c’est que c’est grâce à cet instrument que vous décrochiez votre premier job ?
Je ne dirai pas que c’était une révélation car c’est surtout le Jazz en général que j’ai découvert et grandement apprécié. Je venais d’arriver sur Paris, je feuillète un journal et tombe sur une annonce disant rechercher un saxophoniste pour le groupe Urban Sax. Aussitôt je passe une audition, je suis retenu et l’aventure avec le groupe international Urban Sax a démarré, ce qui m’a permis de découvrir le monde et de faire de gros concerts devant 50 000 personnes. Une superbe expérience.
Quelle vision avez-vous développé de la musique, de la poésie, et de l’art en général ?
Pour moi tout est lié, l’importance est l’émotion transmise par l’artiste. Dans mon spectacle, la musique est au service des mots, c’est un voyage sonore mais les mots sont là, c’est un fil conducteur qu’il faut trouver. Avec « Voyage dans la poésie » je suis, sans prétention, un passeur de mémoire. Je ne veux pas qu’on oublie cette beauté, c’est mon combat. C’est même mon combat politique dans la société. Comme le poème « Beauté » de Baudelaire, qui illustre ma vision. C’est la beauté recherchée que je veux mettre en lumière. Tout est proche, car on cherche à être sincère. Que cela soit derrière l’écran, en musique, en théâtre. Pour moi un artiste c’est l’émotion, il doit faire vibrer le spectateur.
Contrairement à beaucoup d’artistes, vous n’avez pas fait les choses par étapes ? Vous ne semblez rien exclure encore aujourd’hui…
C’est très juste. Ça me demande de me lever tôt, pour travailler mes instruments, mes textes. Je suis focalisé à temps plein. La chose la plus importante que j’ai pris c’est l’importance du temps, je ne veux pas voir le temps me passer entre les doigts. Je ne veux pas faire la morale mais il faut que les gens comprennent cette notion du temps qui passe. C’est un thème beaucoup abordé d’ailleurs par Baudelaire, Rimbaud, etc. Je suis un touche à tout mais je fais ça depuis gamin donc j’ai des connaissances dans chaque domaine. Mon souci c’est de devoir faire des choix, il y a bien pire comme problème ! (rires). Ce sont des métiers de passion. Ce matin avant qu’on se rencontre j’ai refait tout mon spectacle, pour moi c’est obligatoire c’est une discipline.
Parallèlement il y a aussi le théâtre dans les années 90, avec cette 1ère pièce en 1993 avec « Escale à Babylone », quel souvenir en gardez-vous ?
Superbe souvenir, c’était un travail colossal mais je retiens une vraie ambiance de troupe. Chaque comédien devait apprendre le texte de 10 personnages différents. C’était un festival de rue, on est ensuite partis en tournée. Nous avions la chance d’être parmi les comédiens invités, un vrai privilège car en « off » on doit financer son spectacle, sa promo, bref, on est très vite déficitaire. J’ai pris beaucoup de plaisir et j’ai beaucoup appris.
Parallèlement à vos débuts au cinéma et au théâtre, l’idée de lier la musique à la poésie a dû commencer à germer dans votre tête ?
J’avais un groupe à l’époque qui s’appelait les Bêtes à Cornes. J’étais auteur compositeur, mais je n’étais pas fan de nos textes. Je lisais beaucoup les romans et les poèmes du 19ème, et je me suis vite rendu compte que mon écriture était naïve, niaise, donc je me suis censuré là-dessus. Cette idée est née d’une grosse déception. On était à deux doigts de signer dans une grosse maison de disque avec les Bêtes à Cornes. Deux autres groupes venaient de signer chez Polydor, Niagara et les Rita Mitsouko, la boîte nous dit qu’ils ne peuvent pas signer un 3ème groupe tout de suite. Cela m’a fait très mal, j’ai décidé d’arrêter la musique en groupe et de commencer en solo. Donc après est née cette réflexion, comment marier les mots avec la musique ? Je me suis dit que j’allais composer des musiques sur des poésies du 19ème, et voici ce que je fais aujourd’hui.
Un choix qui s’est avéré bénéfique puisque vous sortirez plusieurs CD à partir de 98, dont les Chants Poétiques en 2006 que vous interprétiez d’abord sur scène ?
Oui pour l’anecdote avant que je sorte les Chants Poétiques, j’avais trouvé un studio, j’ai enregistré, mes amis ont écouté et m’ont conseillé d’envoyer des maquettes. J’ai envoyé mon CD un vendredi à EPM, une maison de disque créée par Leo Ferré. Le lundi, le directeur m’appelle et m’annonce qu’il va me distribuer. Résultat je me retrouve en tête de gondole dans les charts de la Fnac, grâce au « H » de Hamel, je suis entre Johnny Hallyday et Françoise Hardy. Exceptionnel !
Cela a dû vous faire quelque chose de signer dans une maison de disque créée par Leo Ferré ?
C’est mon maître. S’il n’avait pas existé je n’aurai peut-être pas fait ce travail donc je lui dois une fière chandelle. C’est pour ça qu’à la fin de mes spectacles, je cite un texte de Leo Ferré. Il fait partie de moi.
Avec les Chants Poétiques, votre premier récital poétique que vous présentiez sur scène et que vous avez adapté en CD, vous semblez avoir trouvé votre vraie marque de fabrique, lier la musique et la poésie sur scène.
Oui on peut dire ça. C’est ce qui me tient debout car c’est ma création, ça vient de moi et c’est un seul en scène. Je n’ai pas écrit les textes, mais la composition musicale et la façon dont je fais vivre ces mots est personnelle, je suis imprégné et je défends les mots. Ce qui est différent lorsque je joue un rôle dans une pièce ou dans un film, là je suis au service d’une production, j’essaie de répondre à des attentes qui sont définies par d’autres personnes. Je le fais parce que je suis professionnel.
On sait que vous êtes « touche à tout », néanmoins, on peut dire que la poésie est votre vraie passion ?
Si j’étais obligé de choisir… Oui. La poésie me fait vibrer intérieurement C’est mon engagement dans la vie, voire mon engagement politique. Je pense que les gens n’ont pas encore compris à quel point c’est subversif, quand vous rentrez dans l’univers de Baudelaire, Rimbaud, ou Victor Hugo, vous allez acquérir une vraie conscience politique, mais le beau sens du mot « politique », pas celui galvaudé qui fait référence aux politiciens, je parle de la vraie étymologie du mot. En passant par la poésie on est clairement dedans, ce qui rend les gens libres, au sens propre du terme. Les questions fondamentales sont le choix de l’individu, la recherche perpétuelle, le fait de ne pas juger. Comme le résume si bien Rimbaud « La morale est la faiblesse de la cervelle ». Après avoir lu ça, je ne peux plus juger personne.
C’est un beau combat que vous menez, mais n’arrive-t-il pas à un moment où la situation en 2017 est très paradoxale ?
C’est vrai, certes, mais rien n’est perdu pour autant. C’est peut-être parfois à contre-courant mais c’est mon combat, je trouve qu’il est fondamental de transmettre ces messages. C’est le combat de la « vraie » beauté.
Quel est votre auteur préféré ? Et pour quelles raisons ?
Arthur Rimbaud. Sans aucun doute, c’est le plus grand selon moi car je ne connais pas d’auteurs aussi précoces et géniaux que lui. Quand à 17 ans, on est capables d’écrire « le bateau ivre », 100 vers extraordinaires où l’on peut passer des années à comprendre ce qu’il voulait vraiment dire, ça illustre toute sa grandeur. Je crois que dans toute la littérature mondiale, ça n’a jamais existé. J’ai toujours été halluciné par sa puissance des mots mais également son caractère du genre « vous ne m’aimez pas ? Très bien j’arrête. » Ce qu’il a d’ailleurs fait à 19 ans.
Y-a-t-il un autre poème en particulier qui vous fait vibrer lorsque vous le jouez sur scène ?
Dans tout ce que je fais sur scène j’essaie de procurer une émotion singulière à l’œuvre. Je ne triche pas et j’interprète avec la même passion chaque poème. Mais il est vrai qu’il y a certains poèmes auxquels je suis plus sensible. Lorsque je fais le « bateau ivre » c’est une épreuve, c’est 100 vers, mais une fois que je suis parti, j’ai comme une transe qui s’empare de moi. Ce texte me fait frissonner intérieurement, il est très particulier, difficile à apprendre, très long, mais tellement plein de sens.
Comment avez-vous choisi les auteurs pour votre dernier spectacle « Voyages dans la poésie » ?
J’ai une heure et quart, donc avant tout, je prépare mon spectacle en m’adaptant au format. Il y a des poètes que j’aime beaucoup comme Baudelaire et Rimbaud donc j’avais envie de les mettre en lumière mais comme c’est un voyage, je me devais de retracer les grandes lignes et donc les grands auteurs de romans et poèmes qui ont fait briller la littérature au 19ème et 20ème siècle. Donc naturellement j’ai parlé de Verlaine qui est lié à Rimbaud, puis Mallarmé qui soutenait ce dernier, sans oublier Victor Hugo qui était le parrain de l’époque, il y a aussi Nerval, et Apollinaire qui est arrivé plus tard. Ils sont tous liés et se sont tous inspirés entre eux, donc je ne me voyais pas zapper l’un deux dans mon voyage poétique. La littérature c’est toute une histoire, au même titre que la peinture.
Avez-vous l’envie et le projet de jouer votre spectacle à l’étranger ?
Bien sûr ! Je veux le jouer au maximum vu que je suis dans un travail de valorisation de la langue française. Avec ma productrice nous sommes en train de mettre en place toute une tournée dans les alliances françaises et les instituts français dans le monde entier. Actuellement, nous sommes en bonne voie pour aller jouer à Stockholm.
Au-delà de votre combat personnel qu’est de promouvoir la poésie française, vous sentez-vous investi d’une mission envers les plus jeunes générations ?
Oui totalement. Je me suis même déplacé parfois dans des écoles pour faire des interventions. C’était génial. Pour la dernière justement, l’institutrice voulait que j’envoie un texte à apprendre aux enfants, j’ai donc choisi le poème « Sensation » de Rimbaud. Ils ont donc appris le poème, et lorsque j’arrive dans la classe ils l’ont chacun récité à leur manière, avec une gestuelle, et ensuite je leur ai montré comment j’interprétais Sensation avec ma guitare, comme sur scène. Vu que le texte et la mélodie sont simples à retenir, très vite toute la classe s’est mise à chanter avec moi. C’était un très beau souvenir.
Enfin, avez-vous d’autres projets à l’avenir ou l’envie de faire de nouvelles créations artistiques ?
Non pour l’instant je suis vraiment ancré dans « Voyage dans la poésie » et mon réel bonheur serait d’exporter mon spectacle à l’extérieur. J’ai déjà très hâte de me produire en Suède, et j’espère vraiment pouvoir jouer dans d’autres pays. C’est ce qui me fait vibrer.
Infos pratiques :
Voyage dans la poésie, de Patrick Hamel
Tous les jeudis à 19h45 et tous les dimanches à 18h15 jusqu’au 7 janvier 2018 à la Comédie Saint-Michel, 75005 Paris.
Réservation au 01 55 42 92 97 / comediesaintmichel.fr
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Pour plus d’infos, veuillez consulter sa productrice Anna Hultgren :
06 99 60 48 48