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Librairies francophones à l’étranger : tourner la page du Covid-19

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La librairie Stendhal à Rome.
Écrit par Déborah Collet
Publié le 5 mai 2020, mis à jour le 7 mai 2020

Fermeture des espaces de librairie, arrêt des commandes de livres, absence d’aide des gouvernements et des institutions françaises locales... Les librairies francophones, seront-elles obligées de mettre la clef sous la porte après le confinement ? En plus de la concurrence redoutable de la vente en ligne, des frais de transport et de douane ou encore du manque d'encadrement du marché du livre, le coronavirus plonge les librairies francophones dans l’expectative.

 

Librairies fermées ou ouvertes, toutes menacées

Déjà fragilisées par la concurrence des géants de la vente en ligne, les librairies francophones doivent, à présent, faire face à la fermeture de leur espace culturel, au ralentissement des circuits de distribution de livres et à l’absence de soutien des institutions françaises locales et des gouvernements. "En Europe, seules trois librairies sont encore ouvertes, mais pour combien de temps ?" alertait, le mois dernier, l’Association Internationale des Librairies (AILF).

En Asie, la librairie française l’Arbre du voyageur de Shanghai a fermé ses portes mi-janvier à cause du coronavirus. Un service de vente à distance a ouvert mais le dirigeant Yohan Radomski déclare que "seuls les livres en stock peuvent être livrés". Les délais de livraisons des livres depuis la France sont interminables et "recevoir des livres tient du miracle !" explique un autre libraire. Montse Porta, dirigeante de la librairie Jaimes de Barcelone s’interroge sur quels arguments donner "aux lecteurs qui ont commandé des livres mi-mars." À Berlin, le responsable de la libraire Zadig témoigne "La Peste d’Albert Camus était très demandé et nous ne pouvions plus le fournir." Les éditeurs, pour la plupart, ne traitent plus les commandes de livres et personne ne sait quand la situation s’améliorera.

 

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Montse Porta, dirigeante de la librairie Jaimes de Barcelone.

 

Montse Porta est inquiète concernant la rentrée de septembre : "Notre activité repose essentiellement sur la campagne scolaire avec le lycée français de Barcelone. Les sommes récoltées, nous permettent, d’accueillir des auteurs et de réaliser des événements le reste de l’année." La librairie a déjà perdu les recettes du mois d’avril équivalentes à trois mois d’activité. Pire encore, les établissements scolaires annulent d’ores et déjà leurs commandes de livres auprès des libraires. La libraire Millefeuille de Madagascar, a, elle, anticipé les commandes scolaires. Mais, à l’heure actuelle, elle n’a reçu aucune réponse claire. Les libraires devront payer la somme des reports d’échéance auprès de leurs éditeurs, or, ils n’en ont pour la plupart pas les moyens.

D’autres librairies sont, elles, restées ouvertes pour "une question de survie", comme celle de Hong Kong, Parenthèses, dont l’activité avait déjà été déstabilisée par les manifestations d’octobre 2019 revendiquant plus de libertés. Dans la capitale, même en temps de pandémie, le nerf de la guerre reste de pouvoir payer, en fin de mois, un loyer très élevé. Les charges fixes pèsent souvent très lourd sur les épaules des libraires.

 

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La librairie Parenthèses, à Hong Kong.

 

En Côte d’Ivoire, la Librairie de France d’Abidjan possède huit points de vente. Aujourd’hui, les lieux sont désertés par les clients qui n’osent plus s’y rendre de peur d’être contaminés. Pourtant, les charges restent nombreuses en raison du nombre d’employés dans ces points de ventes. À Djibouti, la librairie Victor Hugo qui a survécu aux graves inondations de l’année derrière, au chikungunya et au départ des grandes entreprises en périphérie se trouve actuellement dans une impasse financière et sociale.

 

Une aide d’urgence 

Le Centre National du Livre (CNL), l’AILF, les partenaires institutionnels et les gouvernements des pays ont engagé une réflexion commune sur l’avenir des librairies francophones. 

Le CNL a lancé une aide d’urgence afin de "combler les pertes sur les ventes de livres et sur les pertes de trésoreries." nous a confié Philippe Bouchon, chargé de l'expertise économique et des aides aux librairies francophones à l’étranger. Sur 100 dossiers traités, 68 ont été approuvés et les librairies francophones concernées pourront recevoir de 3 000 à 10 000 euros selon leur situation économique. Les subventions devraient être versées avant la fin mai, espère Philippe Bouchon. Mais pour la dirigeante de la librairie Jaimes à Barcelone, cette aide financière ne comblera "qu'une infime partie des pertes actuelles."

Dans certains pays, l’AILF dénonce "l’inexistence à quelques exceptions près, d’aides locales en termes de protection sociale et de chômage partiel." C’est le cas de la librairie Le Comptoir au Chili où le chômage partiel n’existe pas. La librairie est aussi confrontée à d’autres problèmes majeurs : la reprise lente des importations, l’augmentation du coût du fret aérien et la dévaluation du peso chilien depuis l’apparition de la crise sanitaire. Or, "S’il y a bien un métier où le contact humain et la proximité sont vitaux, c’est la librairie." affirme Maryline Noël, la responsable de la librairie.

 

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Maryline Noël, responsable de la librairie Le Comptoir.

 

Les institutions françaises, soutiennent-elles les librairies ?

L'AILF souhaite sensibiliser les instituts français sur l'importance d'une collaboration avec les librairies en ces temps de crise car certains instituts français privilégient d'autres canaux d'approvisionnement que les libraires locaux qui auraient pourtant bien besoin de leur solidarité. Les librairies francophones et les bibliothèques des institutions françaises à l'étranger ont un seul et même objectif : promouvoir la culture francophone à l'étranger tant sur la politique d'animation que sur le choix des livres. De la même manière, chaque lecteur peut se rapprocher des librairies locales et "encourager les institutions, établissements scolaires et culturels locaux avec lesquels il est en contact à commander davantage chez les libraires afin de les aider à reprendre leur activité, dans une crise sans précédent dont certains pourraient ne pas se relever." affirme Anne-Lise Schmitt, déléguée générale de l’AILF.

 

Un avenir qui reste incertain 

ll est très dur aujourd’hui pour les libraires français d’anticiper leur avenir. Ils se posent des questions qui restent jusqu’ici sans réponse : Notre lectorat ne sera-t-il pas craintif à l’idée de se rendre en librairie ? Quel sera le pouvoir d’achat des citoyens à la fin du confinement ? La réouverture de certaines librairies pose aussi des problèmes de santé publique, notamment en Afrique, où l’approvisionnement en matériel de protection (gants, masques et gel) est très faible.

L'AILF, porte-parole des librairies françaises, a déclaré que si ces mesures ne suffisent pas à "compenser la perte de trésorerie d'un secteur dont on sait que c'est un point faible, il faudra alors mobiliser les ministères de la Culture des pays concernés pour épauler localement les librairies et la chaîne du livre également."

 

L’imagination débordante des libraires

Malgré la crise sanitaire, les libraires françaises débordent d’imagination en donnant des conseils littéraires à distance et en organisant des campagnes de soutien.

La librairie Las mil y una hojas, en Argentine, qui actuellement ne peut accueillir plus de trois personnes, présente sous forme de vidéo des rencontres avec des auteurs français. Monica Freyre, sa dirigeante parle d’un "changement de société que les libraires doivent suivre." Elle est convaincue que "nous devons mettre en place de véritables stratégies d’accompagnement des lecteurs et de conseils en ligne." À New York, Sandrine Butteau continue à faire fonctionner l’activité de la librairie Albertine par vente à distance : "Ma collègue Miriam et moi-même nous nous rendons en alternance deux fois par semaine dans la librairie pour faire les envois aux clients de livres que nous avons en stock." Les "book club" et les animations se réalisent sur la plateforme Zoom.

 

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Librairie Albertine à New York.

 

La librairie de Rome, Stendhal, quant à elle, a lancé un appel à la générosité du public car elle ne pourra pas accéder à la seule possibilité d’emprunt existante. Sur les réseaux sociaux, la communauté française réagit avec le hashtag #jesoutienslalibrairiastendhal et fait des dons directs ou achète un bon d’achat afin de maintenir un flux de ventes.

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Marie-Ève Venturino, responsable de la librairie française de Rome, la Libreria Stendhal.

 

En Espagne, depuis le début du confinement, le site de la librairie Jaimes indique "si vous ne pouvez pas venir à nous, la librairie viendra à vous." Cette phrase reflète la principale activité de la librairie : l’envoi de livres à domicile. Selon la tradition de la Sant Jordi, la fête du livre, le 23 avril, la dirigeante Montse Porta a proposé à tous d’offrir un livre à la personne de leur choix. La librairie a ainsi connu un pic de commandes. Elle a aussi lancé une campagne de soutien via les réseaux sociaux avec le hashtag #yoesperoamilibrero. La vidéo réunit les témoignages de dessinateurs, d’auteurs ou encore de scénaristes du monde entier mettant en valeur le rôle du libraire et du magasin de quartier. Montse Porta conseille par caméra interposée des livres pédagogiques pour les plus jeunes.

Pierre Pascal Bruneau, dirigeant de la librairie Le temps retrouvé à Amsterdam s’occupe lui-même des tournées de livraison au centre de la capitale, en famille et à vélo ! La librairie livre également à travers tout le pays, une aubaine pour toute la communauté française. Les lecteurs sont invités à un rendez-vous quotidien sur Facebook où les 4 000 livres en stock sont présentés, et ils peuvent récupérer par la suite leurs commandes. La librairie Les insolites présente à Tanger qui a repris le travail un 1er mai propose un service de "click & go". Stéphanie Gaou, la dirigeante initie les lecteurs à des sélections littéraires et leur demande avec des bons d’achat de soutenir les actions de la librairie.

 

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Vernissage à la librairie Les insolites, à Tanger.

 

Pas à pas, certaines librairies réouvrent leurs portes comme la librairie Hartlieb à Vienne. Les horaires y sont cependant adaptés et des mesures de précautions sanitaires strictes sont mises en place. La libraire, Elodie Salanove témoigne de la situation inhabituelle "pas de flânage, pas de conseils de lecture". Quant à Berlin, la librairie Zadig, considérée comme service essentiel par le Land, a connu une forte affluence le 15 mars, jour de son déconfinement. 

 

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La librairie Zadig à Berlin.

 

Nous espérons que le coronavirus n'aura pas raison du sort des 100 libraires francophones réparties aux quatre coins du monde, dont l’existence est essentielle pour les expatriés et le rayonnement de la francophonie. D’ailleurs comme nous l’ont confié plusieurs libraires, le confinement a eu "l’avantage de souligner le rôle social du libraire et le plaisir de la lecture."