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De l’accession à l’indépendance considérée comme un des beaux-arts

Indépendance Cambodge 1953 Indépendance Cambodge 1953
Écrit par Jean Michel FILIPPI
Publié le 19 janvier 2038, mis à jour le 6 février 2024

« Décolonisation » est le maître mot de la période qui succède à la 2ème guerre mondiale. Jusqu’aux années soixante, l’histoire de l’Asie et de l’Afrique est emportée dans une spirale de luttes anti colonialistes, de guerres coloniales et de proclamations d’indépendances. Une fois obtenue, l’indépendance se devait de trôner au royaume des cieux des acquis historiques avec en filigrane l’idée qu’elle était inéluctable et, qu’au fond, la trajectoire qui y avait conduit aurait été d’une importance secondaire. C’est précisément les modalités de cette trajectoire qui nous intéressera ici et nous allons voir comment Norodom Sihanouk a laissé libre cours à son génie de l’improvisation pour parvenir à ses fins.  

Le petit garçon très mignon

 

Rien ne prédestinait Norodom Sihanouk à accéder au trône le 24 avril 1941.  Le Cambodge est une monarchie élective et le roi n’est pas forcément le fils du monarque précédent. Le candidat à la royauté doit appartenir à la descendance du roi Ang Duong (1841-1860) et c’est la tâche du conseil du trône de trancher entre les différents candidats. Le conseil du trône est en fait totalement inféodé au pouvoir politique du moment et en 1941, la réalité du pouvoir politique était entre les mains des représentants du protectorat français. Un curieux système présidait aux destinées du  Cambodge depuis 1863 ; sous l’appellation de protectorat, il convient plutôt de considérer une véritable colonie, au moins depuis 1884.

En tout état de cause, Sihanouk est le parfait candidat pour les autorités du protectorat, l’épouse de l’amiral Decoux, gouverneur général de l’Indochine française en 1941, n’avait-elle pas déclaré qu’il avait été choisi car c’était « un petit garçon très mignon ». En apparence, aucune fausse note ; il adorait les belles voitures, écrire de la poésie, des chansons, composer de la musique, tourner des films et détestait évidemment la politique… au moins, il avait réussi à en convaincre tout un chacun.

Une première indépendance

 

Alliés théoriques du régime de Vichy, les japonais semblent chez eux dans l’Indochine française.

L’idylle sera de courte durée et le coup du 8 mars 1945 abolit littéralement toute forme d’autorité française en Indochine. Le 11 mars 1945, Norodom Sihanouk abolit les traités de protectorat de 1863 et de 1884 et, le 18 mars, c’est l’indépendance qui est proclamée évidemment sous la pression japonaise.

Dès la proclamation de l’indépendance, les Japonais imposent à Sihanouk Son Ngoc Thanh comme ministre des affaires étrangères, en fait l’homme fort du nouveau régime. Son Ngoc Thanh avait dû s’enfuir au Japon pendant l’été 1942 après avoir organisé des manifestations anti françaises. Suite au coup du 8 mars 1945 les Japonais ramènent leur protégé au Cambodge.

Difficile d’imaginer deux personnalités aussi opposées que Norodom Sihanouk et Son Ngoc Thanh. Le jouisseur et l’ascète, le négociateur et l’idéologue… On pourrait multiplier les antithèses entre les deux hommes mais, dans le contexte de 1945, alors que le Japon est en train de perdre la guerre : il y  en a un qui sait tenir compte d’un éventail de possibilités chaque jour plus réduit et l’autre qui continue de prendre ses désirs pour la réalité.

Les Français arrêtent immédiatement Son Ngoc Than dès leur arrivée au Cambodge et l’exilent en France ; considéré comme responsable de la collaboration avec le Japon impérial, il est l’alibi idéal pour Sihanouk.

Vers l’indépendance véritable

 

La France se réinstalle en Indochine. Une tragi-comédie qui laisse pantois ; pour les autorités françaises, dénuées de la clairvoyance la plus élémentaire, la période mars-octobre 1945 est un intervalle fâcheux qu’il s’agit d’oublier au plus vite. Pour un esprit brillant comme Paul Mus, la fracture n’est pas une question de durée et, dans la réalité, rien ne pourra jamais plus être comme avant car la perte de face infligée par le Japon aux Européens relève de l’irrémédiable.

Sihanouk a compris dès 1946 que la revendication de l’indépendance était d’actualité. L’ennui est qu’en 1950, le temps ne travaille plus pour lui car il n’est plus le seul à réclamer une indépendance qui est au cœur du programme de toutes les factions de la politique cambodgienne : Les nationalistes Khmer Issarak, le parti démocrate, etc.

Sihanouk va agir de main de maître et déployer une double stratégie.

À l’intérieur, il importe de se débarrasser de ses concurrents et de se présenter aux Français comme détenteur du seul scénario valable. Il demande à ces derniers d’autoriser Son Ngoc Thanh à rentrer au Cambodge, ce qui est un pari très risqué, car son vieil ennemi jouit d’une popularité extraordinaire. Les Français acquiescent, Son Ngoc Thanh rentre au Cambodge et Sihanouk lui laisse miroiter des responsabilités qu’il ne lui accordera jamais. En mars 1953, Thanh excédé prend le maquis ; c’est exactement ce qu’attendait Sihanouk qui fait ainsi d’une pierre deux coups :

  • Il se présente aux Français comme un homme de paix. En opposition à Thanh qui veut leur arracher l’indépendance par la guerre, Sihanouk veut, lui, négocier.
  • Il s’est du même coup débarrassé et de sa droite « nationaliste » qui rejoint Thanh et de sa gauche « démocrate » qui, en l’occurrence, ne peut le désavouer.

À l’extérieur, c’est une autre paire de manches. Sihanouk en position de force, lance sa fameuse « croisade royale pour l’indépendance ». Il se rend d’abord à Paris pour négocier avec Vincent Auriol, ce sera un échec. Il va ensuite aux Etats-Unis pour s’entendre dire par John Foster Dulles de ne pas déranger l’effort de guerre de la France contre le Vietminh. Sihanouk, à court de ressources va « se  reposer » en Thaïlande qu’il quitte au bout de sept jours après l’accueil mitigé que lui ont réservé les autorités thaïlandaises.

De retour au Cambodge, il s’installe dans la région de Battambang, se rase le crane à l’instar des bonzes et refuse désormais tout contact avec les Français.

 

Norodom Sihanouk indépendance 1953

La situation du premier conflit indochinois (1946 – 1954), tourne au désastre au Vietnam et les Français, contraints de prévenir une aggravation de la situation au Cambodge, se décident enfin à négocier avec Sihanouk.

La suite est bien connue : le Cambodge a obtenu son indépendance de la France le 9 novembre 1953 sans quasiment tirer un seul coup de fusil.

Le Cambodge offre ainsi l’exemple d’une singularité qui défie la norme. Ailleurs, ce seront des batailles sanglantes et des tueries qui auraient certainement pu être évitées. 

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