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La fête du sillon sacré

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Écrit par Pascal Médeville
Publié le 9 avril 2023

La fête du sillon sacré est bien connue au Cambodge. Célébrée chaque année, elle marque le début de la saison agricole. Pascal Médeville se penche aujourd’hui sur cette tradition.

 

La fête du sillon sacré est bien connue au Cambodge. Célébrée chaque année, elle marque le début de la saison agricole, et elle est le symbole de l’importance attachée par le Roi à l’agriculture du pays.
Ce que l’on ignore souvent, c’est que des cérémonies similaires avaient lieu dans d’autres pays, comme en Chine. Pierre Poivre, dans ses "Œuvres complètes de Pierre Poivre" (pp. 185~187) décrit ce qu’il appelle une « cérémonie de l’ouverture des terres » à laquelle il a assisté en Chine au début du XVIIIe siècle.


"Cérémonie de l’ouverture des terres[1]
Chaque année, le quinzième jour de la première lune[2], qui répond ordinairement aux premiers jours de mars , l’empereur fait en personne la cérémonie de l’ouverture des terres. Le prince se transporte en grande pompe au champ destiné à la cérémonie[3]. Les princes de la famille impériale, les présidents des cinq grands tribunaux[4], et un nombre infini de mandarins, l’accompagnent. Deux côtés du champ sont bordés par les officiers et les gardes de l’empereur ; le troisième est réservé à tous les laboureurs de la province, qui accourent pour voir leur art honoré et pratiqué par le chef de l’empire. Les mandarins occupent le quatrième.
L’empereur entre seul dans le champ, se prosterne et frappe neuf fois la tête contre terre pour adorer le Tien[5], c’est-à-dire le Dieu du ciel. Il prononce à haute voix une prière réglée par le tribunal des rites[6], pour invoquer la bénédiction du grand maître sur son travail et sur celui de tout son peuple, qui est sa famille. Ensuite, en qualité de premier pontife de l’empire, il immole un bœuf qu’il offre au ciel, comme au maître de tous les biens. Pendant qu’on met la victime en pièces et qu’on la place sur un autel, on mène à l’empereur une charrue attelée d’une paire de bœufs magnifiquement ornés. Le prince quitte ses habits impériaux, saisit le manche de la charrue[7], et ouvre plusieurs sillons dans toute l’étendue du champ[8] ; puis d’un air aisé, il remet la charrue aux principaux mandarins qui labourent successivement, se piquant les uns et les autres de faire ce travail honorable avec plus de dextérité[9]. La cérémonie finit par distribuer de l’argent et des pièces d’étoffes aux laboureurs qui sont présents, et dont les plus agiles exécutent le reste du labourage avec adresse et promptitude en présence de l’empereur.
Quelque temps après qu’on a donné à la terre tous les labours et les engrais nécessaires, l’empereur vient de nouveau commencer la semaille de son champ, toujours avec cérémonie et en présence des laboureurs.
La même cérémonie se pratique le même jour dans toutes les provinces de l’empire par les vice-rois, assistés de tous les magistrats de leur département, et toujours en présence d’un grand nombre de laboureurs de la province. J’ai vu cette ouverture des terres à Canton, et je ne me rappelle pas avoir jamais vu aucune des cérémonies inventées par les bommes, avec autant de plaisir et de satisfaction que j’en ai eu à considérer celle-là.


Les informations données dans les notes ci-dessous proviennent essentiellement d’un article décrivant la cérémonie d’ouverture des terres par les empereurs de la dynastie des Qinq, article disponible en ligne.
Ci-dessous, la scène du labourage, deuxième tableau d’un ensemble de 23 tableaux décrivant les différentes étapes de la riziculture, ensemble intitulé Tableaux des labours et du tissage de Yongzheng (《雍正耕织图》 [yōnghzèng gēngzhītú]), commandité par le futur empereur Yongzheng (1678-1735) :

Sillon sacré
Photo: Scène du labourage, deuxième tableau d’un ensemble de 23 tableaux intitulé Tableaux des labours et du tissage de Yongzheng 


[1] La cérémonie de l’ouverture des terres était pratiquée en Chine dès les temps les plus anciens. Cette cérémonie existait déjà à l’époque de la dynastie des Zhou (ca. -1100~-256). Pendant la dynastie des Qing (1644-1911), cette cérémonie fut exécutée pour la première fois en 1654.
[2] Il s’agissait en réalité du premier jour « hai » (亥日 hàirì) du premier mois du calendrier lunaire. La date était variable, mais effectivement c’était en général un jour près du quinzième jour de ce premier mois lunaire.
[3] A Pékin, capitale de la dynastie des Qing, le champ en question se trouvait au Temple de l’Agriculture (先农坛 [xiānnóngtán]), dans le district de Xuanwu (宣武区 [xuānwǔqū]), dans le sud-ouest de Pékin. Le champ était appelé le « champ de la cérémonie du labourage » (演耕田 [yǎn’gēngtián]) ; il ne mesurait qu’un mu et trois dixièmes, soit un peu moins de 1000 mètres carrés. Le Temple de l’Agriculture était le lieu où l’empereur effectuait différentes cérémonies en relation avec l’agriculture.
[4] Tribunaux : Il s’agit en fait des grands ministères, dont le nombre a varié. A l’époque de la dynastie des Qing (1644-1911), il y avait en réalité six grands ministères. Les ministres participaient à la cérémonie de l’ouverture des terres.
[5] 天 tiān : le Ciel ; l’empereur de Chine est qualifié de « fils du Ciel » 天子 tiānzǐ
[6] Il s’agit du Ministère des Rites 礼部 lǐbù
[7] L’empereur saisit le manche de la charrue d’une main et tient un fouet dans l’autre.
[8] Les sillons étaient au nombre de trois. L’empereur faisait trois aller-retour. L’empereur n’était pas seul : des laboureurs sélectionnés dans tout l’empire assistaient le souverain en soutenant pour lui la charrue.
[9] Après avoir labouré, l’empereur observait les membres de la famille impériale et les grands mandarins labourer le champ du haut de la « terrasse de l’observation des labours » (观耕台 [guān’gēngtái]).

 

Pascal Médeville 


Cet article a été publié précédemment sur Khmerologie que nous vous invitons à consulter. Il regorge d'informations croustillantes sur le Cambodge.

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