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"Ces Roumains qui font la France" par Bruno Teissier

Roumains France Bruno TeissierRoumains France Bruno Teissier
ICR Paris
Écrit par Grégory Rateau
Publié le 26 octobre 2020, mis à jour le 6 février 2024

Notre rédaction est allée à la rencontre de l'auteur Bruno Teissier pour la sortie de son livre, "Ces Roumains qui font la France : deux siècles d'immigration en provenance de Roumanie et de Moldavie" aux éditions BiblioMonde. Bruno est éditeur, historien et géopolitologue. Il est notamment le coauteur de « Ces Allemands qui font la France », ainsi que l’auteur d’une « Géopolitique de l’Italie » (éditions Complexe, Bruxelles). Rencontre...

 

 

Grégory Rateau: Pourquoi avoir choisi d'aborder ce sujet ? Quels liens entretenez-vous avec la Roumanie ?

Bruno Teissier: Je n’ai pas de liens particuliers avec la Roumanie, cet ouvrage s’intègre dans une collection sur l’histoire de l’immigration en France. Nous avons commencé par les Allemands dont on parle peu. La collection se poursuit aujourd’hui avec les Roumains qui ont émigré beaucoup moins massivement que les Polonais ou les Italiens mais, ils ont offert à la France de nombreuses personnalités dans tous les domaines : aussi bien des hommes politiques que des artistes, des scientifiques, des écrivains, des sportifs… L’idée de la collection est de raconter l’histoire à travers les trajectoires de personnalités qui ont laissé un nom, une œuvre. Comparés à d'autres, les Roumains ne sont pas venus sans bagages, certains arrivaient avec leur fortune, d'autres avec un haut niveau de talent, de compétences ou de connaissances, une majorité parlait déjà le français. Cela les distingue d'autres nationalités. 

 

Quand l'immigration des Roumains vers l'occident a-t-elle pris de l'ampleur ? Quelles en sont les raisons exposées dans votre ouvrage ?

Contrairement aux Grecs ou aux Italiens, les Roumains n'ont pas de tradition de diaspora. Leur émigration massive est très récente – une génération tout au plus – et depuis qu'elle a pris cette ampleur, la France n'est plus la destination privilégiée des Roumains, elle est très largement devancée par l'Italie, l'Espagne et bien d'autres. Mon livre ne se penche pas sur ce phénomène puisqu'il est centré sur la France et étudie les différentes vagues d’immigration sur les deux derniers siècles.

 

Pouvez-vous nous parler des liens d'amitié historiques entre la France et la Roumanie ?

Cette amitié s'est développée d'abord pour des raisons culturelles. L'attrait des Roumains pour la langue française a amené les fils de Boyards à venir étudier en France. C'est à Paris que Moldaves et Valaques se sont véritablement rencontrés. Ce sont eux qui ont créé la Roumanie avec l'aide des autorités françaises, en particulier de Napoléon III qui a tout fait pour que ce pays voit le jour contre l'avis de toutes les puissances de l'époque. Depuis déjà quelques décennies, les familles princières roumaines avaient déjà toutes un pied-à-terre à Paris. Elles se sont mêlées aux élites françaises qui se sont alors entichées de la Roumanie comme à la même époque, les Anglais de la Grèce.

La seconde raison est géopolitique. La France a toujours eu le souci de développer des amitiés au-delà de son ennemi  autrichien (plus tard, allemand) : d'où un intérêt français pour des nations comme la Pologne, la Serbie ou la Roumanie. Avec cette dernière, le lien avait une dimension supplémentaire : le partage de la latinité. Au XXe siècle, on se souvient également du voyage du général De Gaulle à Bucarest, puis de celui de Jacques Chirac. L'idée était alors de conforter un partenaire roumain qui semblait tenir tête à Moscou. Au moment de la chute du communisme, les Français se sont passionnés pour ce qui se passait en Pologne mais aussi en Roumanie où, d’ailleurs, à notre grand étonnement, les correspondants de presse n'avaient aucune difficulté à trouver dans la rue des témoins parlant parfaitement le français.

 

Vous avez choisi ce titre explicite "Ces Roumains qui font la France". Comment l'image des Roumains a-t-elle évolué au fil du temps ?

Le titre est imposé par la collection. Il veut montrer que la France s'est faite aussi avec des étrangers établis sur son sol qui, souvent très vite, ont joué un rôle important. Oui, bien sûr, l'image des Roumains en France a beaucoup évolué au fil du temps. Les princesses ont disparu, elles se sont intégrées aux élites françaises comme Ana Brancoveanu devenant Anna de Noailles. Paris fut le lieu de toutes les révolutions artistiques et n'a pas attiré que des Roumains. En revanche, dans l'entre-deux-guerres, la France a été terre d'accueil de nombreux étudiants juifs, notamment les étudiants en médecines, victime d'un sévère numerus clausus dans leur pays du fait qu'ils étaient juifs. En France, au contraire, les Roumains étaient les seuls européens à bénéficier de facilités légales pour étudier et s'établir comme médecins en France. L’afflux a été tel que cela a fini par provoquer, en France, des réactions xénophobes et antisémites à la fin des années 1930. Il est amusant de constater qu'aujourd’hui, la Roumanie accueille de nombreux étudiants en médecine français cherchant à contourner le numerus clausus. Ils trouvent d'ailleurs, en Roumanie, des cursus en français… 

Pour revenir à votre question sur l’image du Roumain en France : dans les années 1940 à 1980, celui-ci a pris le visage du réfugié politique, le plus souvent un intellectuel. D'où un sentiment très anticommuniste de cette nouvelle vague d’immigration, alors que la précédente, qui fuyait le fascisme, était plutôt portée à gauche. Enfin, depuis la chute du communisme, la France découvre une autre image du Roumain, à laquelle elle était peu habituée, celle de l'immigré économique. Médiatiquement, la part la plus visible de cette nouvelle vague est celle des Roms, de leur grande misère et leurs petits larcins dans les couloirs du métro parisien.

 

Quels sont les moyens possibles selon vous pour dépasser les a priori et aller au-delà des clichés souvent véhiculés sur la Roumanie et les Roumains ?

Si l'on s'en tient à l'actualité immédiate, sachant qu'une image en chasse une autre, celle des Roumains s'est plutôt détériorée. Les Roumains sont marqués par leur appellation. Leur nom est très proche de « Romains », ce qui en fait des Latins de choix. Mais, il sonne aussi comme « Roms », les Tsiganes. Étymologiquement, cela n'a rien à voir, on devrait même écrire Rroms. Ces dernières années, ces derniers sont venus massivement en France, faisant surgir un nouveau cliché sur les Roumains et la Roumanie. Cela correspond à un aspect de la réalité : la Roumanie n'a pas su les intégrer, la plupart souffrent encore de discriminations. Mais, cela masque les autres facettes de la réalité roumaine. C’est l'objet de ce livre que de montrer les Roumains dans leur grande diversité, au moins ceux qui ont fait le choix de venir vivre en France.

 

Lors de vos recherches, quelle personnalité roumaine vous a le plus marqué ?

Plusieurs m'ont marqué comme Constantin Brancusi qui a traversé toute l’Europe, sans-le-sou, pour venir à Paris inventer la sculpture moderne. Il mériterait la notoriété de Picasso. Pourtant, les Français le connaissent peu, bien que son atelier ait été installé au pied du Centre Pompidou, à Paris. J’ai aussi été touché par le destin de Bernard Natan, un total inconnu à qui le cinéma français doit tant. Il a été victime de la xénophobie et de l’antisémitisme des années 1938-1940. La mauvaise conscience l’a effacé des mémoires. On pourrait aussi citer la jeune Olga Bancic, une jeune mère de famille engagée dans la résistance à Paris, la seule femme du groupe Manouchian, qui a été assassinée par les nazis. Pour finir sur une note plus positive, on ne peut qu’admirer le parcours de Roxana Maracineanu, cette petite fille arrivée en France de manière impromptue, sans parler un mot de français, qui est aujourd’hui ministre d’un gouvernement français… je raconte de nombreux parcours très étonnants. L’ouvrage est modeste, je n’ai pas eu l’espace de tout développer, mais je cite pas loin de 300 Roumains, devenus français dans leur très grande majorité.

 

Si vous deviez présenter les Roumains à des personnes qui ne les connaissent pas ou très mal, quel trait de caractère/qualité souhaiteriez-vous mettre en avant ?

En vérité, donner un trait particulier aux Roumains revient à verser à nouveau dans le cliché. La particularité de l’immigration roumaine en France, c'est qu'elle est plurielle. Une pluralité transférée de la Roumanie à la France. La Roumanie est aujourd'hui beaucoup plus homogène qu'il y a un siècle. La France, c’est le contraire, et les Roumains y ont contribué. Les Roumains de France sont à l'image des Français, d’ailleurs tous n'ont pas aimé la France telle qu'elle est. Cela, je le rappelle aussi. Mais, tous ont aimé la langue française, et certains l'ont admirablement illustrée par leurs écrits : voilà le trait de caractère que je peux, sans risque, mettre en avant. Dommage qu'en retour, la langue roumaine soit si peu étudiée chez nous.

 

 

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