Rencontre avec Maria Smaranda de CelebRo, un projet d'application mobile initié par une équipe de bénévoles (en partenariat avec l'équipe Romanian IT) pour revaloriser le patrimoine roumain à... Paris. Au-delà de Ionesco, Cioran, ou Eliade, le but est de faire découvrir la richesse des relations franco-roumaines dans la capitale française. L'application sort le 9 mai pour la journée de l'Europe, et un lancement officiel sera organisé le 17 mai à l'Ambassade. Déjà depuis l'été dernier, l'équipe propose des visites guidées sur le thème du Paris des Roumains. Pour leurs recherches, ils s'aident beaucoup du livre de Jean-Yves Conrad, "Roumanie, capitale Paris".
Mathieu Papion: A quoi va ressembler l'application ?
Maria Smaranda: En ouvrant l'application, on accède à un plan de Paris sur lequel sont positionnés des points d'intérêt en lien avec l'histoire des Roumains. On y trouve des artistes, des dramaturges, des peintres, des écrivains ou encore des scientifiques... On veut retranscrire la richesse de l'histoire des liaisons franco-roumaines aux XIXe et XXe siècles. En cliquant sur un point d'intérêt, on a accès à la biographie de la personne en question, pour certains points on proposera également des versions audio, des photos d'époque voire de petites vidéos. On compte lancer la première version avec une centaine de points d'intérêt dans Paris intra-muros, mais l'application restera en développement, on continuera à ajouter du contenu par la suite. En plus de ça, l'application proposera des promenades thématiques.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples de lieux emblématiques du passage des Roumains dans la capitale française ?
-Le 82 rue de l'université, où Lamartine a vécu. Il était très lié avec l'intelligentsia roumaine des années 1830, il était même président de l'association des étudiants roumains de Paris. Juste avant la révolution de 1848, de nombreux jeunes roumains sont venus à Paris et ont été influencés par les idées de la révolution française, parmi eux Ion I.C. Brătianu ou Nicolae Bălcescu. C'est chez Lamartine que les révolutionnaires sont venus acclamer l'Unification de la Valachie et de la Moldavie en 1859. A l'époque, la cause roumaine était très visible dans l'espace français.
-Ensuite, le musée Marmottan Monet. Georges de Bellio, médecin roumain homéopathe et collectionneur d'art, avait une grande fortune : à la fin du XIXe siècle, il a beaucoup soutenu le mouvement impressionniste. Il a acheté beaucoup de tableaux de Monet lorsque celui-ci n'était pas encore connu. Ensuite, sa fille a donné cette collection au musée Marmottant Monet, mais à travers le nom de son mari, ce qui fait que le nom de Georges de Bellio est un peu passé dans l'oubli.
-Enfin, le quartier de l'Odéon. Avant la seconde guerre mondiale, il y avait beaucoup de librairies d'occasions rue de l'Odéon. En 1960, Ionesco joue Rhinocéros au théâtre de l'Odéon. Emil Cioran s'installe dans le quartier jusqu'en 1995. Mircea Eliade y avait soutenu sa première conférence sur les techniques de yoga. Entre le café de La Méditerranée, où Ionesco écrivait, et le jardin du Luxembourg qu'affectionnait Cioran, le quartier était l'épicentre des 3 Roumains. Pour preuve : la fameuse photo d'eux trois prise par Louis Monier, place de Fürstenberg.
A partir de quand ces relations franco-roumaines ont-elles commencé à se nouer ?
C'est à partir de 1830 que les Roumains s'intéressent beaucoup à Paris et à la France. Jusque là, ils étaient davantage tournés vers l'Empire ottoman et la Russie, mais ils ont changé d'orientation pour regarder vers l'Occident. A partir du XIXe siècle, la France est devenue un centre universitaire très attirant. Les fils de boyards avaient des instructeurs français, et ils ont commencé à faire leurs études à Paris. A partir de 1830, il y a eu des centaines d'étudiants roumains à la Sorbonne, au point qu'à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les Roumains formaient le contingent d'étudiants étrangers le plus nombreux en France. Après la Seconde Guerre mondiale, les liens se sont brutalement distendus. Certains Roumains sont venus en exil à Paris. Et récemment, c'est bien sûr pour des raisons économiques qu'ils viennent.
Quels sont les objectifs de l'application ?
J'espère que, grâce à l'application, les gens vont pouvoir se projeter dans le passé. L'idée est de revaloriser les relations franco-roumaines. Beaucoup de Roumains sont arrivés en France récemment, c'est d'important pour eux d'avoir accès à ce bagage culturel. Moi-même, j'ai découvert beaucoup en faisant des recherches pour CelebRo. J'aime cette idée de ressortir des informations des bibliothèques, des livres, et d'utiliser les moyens techniques d'aujourd'hui pour les rendre accessibles. L'objectif est d'améliorer l'image des Roumains à Paris, et surtout l'image que se font les Roumains d'eux-mêmes. Et le contexte est favorable cette année pour les relations franco-roumaines : c'est l'année du centenaire de la Grande Union soutenue par la France. D'ailleurs, selon les retours que l'on aura, on n'exclut pas d'élargir l'application à d'autres villes qui ont pu avoir de l'importance pour l'Histoire des Roumains : Berlin, Vienne...
CelebRo est développée par une équipe de bénévoles. Malgré tout, le développement d'une application demande un petit budget, comment faites-vous ?
On avait lancé deux campagnes de crowdfunding : une en Roumanie et une en France. En France, on avait déjà un petit cercle de connaissances intéressées par le projet, dont une centaine de personnes qui avait participé à nos visites guidées. Ce qui compte le plus dans le crowdfunding, c'est le cercle très proche. Au final, c'est plutôt une réussite : l'argent récolté va nous suffire pour lancer la première version. Ce qui coûte le plus cher, ce sont les droits d'auteur à payer pour les images. L'ambassade nous a beaucoup aidé en termes de communication.
Vous avez aussi organisé des visites guidées à Paris ?
On proposait deux itinéraires : l'un à Odéon et l'autre à Montparnasse. On a commencé en août, et on a réalisé 7 visites guidées jusqu'en novembre. On a fait une pause pour l'hiver, et on recommence en avril, l'objectif est d'en faire une par mois. Jean-Yves Conrad en a organisé une au cimetière du Montparnasse. On a eu un peu plus d'une centaine de participants en tout : environ un quart sont français, les autres sont roumains. On en a de tous les âges. Le but était de sensibiliser le public et de tester l'intérêt des gens, et les retours sont très positifs. Les visites sont organisées par mon copain et moi, sur la page Facebook CelebRo – Le Paris des Roumains. Le prix est libre.
Le projet est à suivre sur la page facebook CelebRo – le Paris des Roumains https://www.facebook.com/leParisdesRoumains/
et sur leur site: https://romanianit.com/celebro
Propos recueillis par notre correspondant à Paris Mathieu Papion