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INTERVIEW: Grands écrivains roumains devant l'objectif de Louis Monier

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Roumains de Paris
Écrit par Franco-Roumanie
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 30 octobre 2017

Notre correspondant à Paris, Mathieu Papion est allé à la rencontre du grand photographe Louis Monier, l'artiste qui a immortalisé les plus grands écrivains. Photographe du monde littéraire, depuis 50 ans, plus de 18.000 écrivains sont passés devant son objectif. Parmi les plus connus : Romain Gary, Samuel Beckett, Marguerite Yourcenar, Louis Aragon, Florence Aubenas ou encore André Malraux. Il revient aujourd'hui pour nous présenter son ouvrage "Roumains de Paris", qui réunit les portraits des écrivains et personnalités culturelles roumaines qui ont vécu dans la Ville Lumière. Les portraits de 43 créateurs roumains sont accompagnés d'un aperçu biographique écrit par Basarab Nicolescu, physicien et écrivain français d'origine roumaine. Le livre se divise entre les « monstres sacrés » : Mircea Eliade, Emil Cioran, Eugène Ionesco, et des personnalités contemporaines à découvrir, des écrivains que Louis Monier a souvent côtoyé de près. Rencontre avec ce photographe de légende.

 

 

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Crédit: Louis Monier (Mircea Eliade, Emil Cioran, Eugène Ionesco)
 

 

LePetitJournal.com de Bucarest: Vous êtes le photographe des écrivains par excellence. Comment avez-vous commencé ?

Louis Monier: J'ai deux passions dans la vie. La première, c'est la littérature, dont je suis tombé amoureux au lycée. Tous mes professeurs de lettres étaient extraordinaires, c'étaient des seigneurs pour moi et j'ai commencé à lire énormément. Après le bac, j'ai quitté la Drôme pour faire une école de journalisme à Paris. Je ne connaissais absolument personne ici. Mais des camarades m'ont fait découvrir la photographie, qui est devenue mon autre passion. Un jour alors que j'étais étudiant, j'étais dans un restaurant boulevard de Montparnasse avec un journaliste qui me dit : « Tiens, c'est Romain Gary qui passe ». Je lui cours après dans la rue et je prends un air assuré : « Demain matin, je viens vous photographier et vous interviewer pour mon journal. » Je lui propose même de lui montrer ma carte de presse. Romain Gary me répond que ce n'est pas la peine, « je vois que vous êtes un vrai professionnel ». Le lendemain, je propose mes photos aux Nouvelles Littéraires. Ils les ont aimées et m'ont proposé de rencontrer d'autres écrivains pour les photographier. C'est comme ça que j'ai mis le pied à l'étrier. Depuis, j'ai photographié des écrivains, des philosophes, des artistes, des sculpteurs, des chefs d'orchestres. Ce qui m'intéresse, c'est la personnalité, les gens de caractère, qui ont une culture, qui sont passionnés par ce qu'ils font. A la grande époque, je faisais toutes les photos de toutes les émissions littéraires de Bernard Pivot. Au tout début de l'émission, je photographiais les écrivains invités, puis je développais rapidement les photos, et on en faisait des grands tirages qui étaient exposés le lendemain matin dans les librairies. Ca faisait bien vendre les livres et ça m'a rapporté beaucoup d'argent, avec ça j'ai pu m'acheter un beau local pour développer mes photos et investir dans les pellicules pour continuer à travailler. Pour l'émission Apostrophe, Bernard Pivot lisait tous les livres des invités. Ce qui est important chez un artiste, c'est le don bien sûr, mais surtout le travail.

 

 

Concernant les écrivains roumains de Paris, les avez-vous bien connu ? Aviez-vous vous une relation particulière avec l'un d'eux ?

J'ai eu une relation privilégiée avec eux. Un jour, Bernard Pivot m'a dit qu'il y avait un écrivain roumain avec un fan-club incroyable. Ca m'a mis la puce à l'oreille : je me suis tout de suite dit qu'il fallait que je le rencontre. C'était Cioran, que j'ai ensuite photographié de nombreuses fois. Il n'aimait pas se faire interviewer, il voulait toujours passer inaperçu. Même au salon du livre, il venait avec un énorme chapeau pour se cacher. Je me souviens d'une anecdote : un jour Cioran accepte une interview pour faire plaisir à un réfugié espagnol qui n'avait pas un rond. Il y a eu un problème et le magnétophone n'a rien enregistré. Cioran a dit : « Vous voyez bien qu'il ne faut pas m'interviewer ». Je le connaissais bien : il était plein d'humour derrière ses airs philosophiques.

 

 

Comment est venue l'idée de ce livre sur les Roumains de Paris ?

Je connais Basarab Nicolescu depuis des années et je crois bien que c'est lui qui a eu l'idée au départ. J'avais déjà presque toutes les photos. On est allé voir l'Institut culturel roumain qui a bien voulu acheter quelques livres. Et l'éditeur, Thierry de la Croix, est un ami de longue date. On a naturellement publié ce livre.

 

 

Vous avez déjà exposé en Roumanie, quelle relation entretenez-vous avec ce pays ?

J'ai exposé sur le thème des philosophes à Bucarest et à Iasi, à l'Institut culturel. C'est un ami roumain de la villa Yourcenar qui m'a dit qu'il fallait que j'expose là-bas. A Iasi, c'était superbe, j'ai beaucoup apprécié la ville. Quand on était là-bas avec ma femme, on a pris un chauffeur, un trompe-la-mort, qui nous a emmené dans la région des monastères en Moldavie. C'était un moment d'émotion extraordinaire. Avec Basarab Nicolescu, on est allé dans la chapelle du patriarche orthodoxe de Bucarest, c'était sublime, l'un des plus beaux endroits au monde. Il y a une autre ville que j'aime beaucoup : c'est Constanta, pour ses ruines romaines et ses mosaïques. Je vais y retourner un de ces jours en Roumanie. J'aime beaucoup les Roumains, j'aime ce caractère, ce sont des gens d'une grande gentillesse. Et surtout, ils aiment la littérature, ils aiment les arts.

 

 

Vous avez pris la photo mythique des « 3 Roumains » : Eliade, Cioran et Ionesco réunis place Fürstenberg à Paris. Pouvez-vous nous raconter l'histoire de cette photo ?

Un éditeur voulait publier un livre sur la littérature, et il m'a demandé une photo des « 3 Roumains » ensemble. Ce n'était pas le grand amour entre eux, surtout entre Ionesco et Cioran. Mais ils ont accepté parce que c'était moi. Je les avais déjà photographiés individuellement tous les trois et j'avais d'excellentes relations avec eux. L'éditeur nous a tous réuni dans un petit local sombre et abominable. Il était hors de question pour moi de faire cette photo à cet endroit, alors je les ai emmené place Fürstenberg (NDLR : derrière Saint-Germain-des-Prés), et c'est là que j'ai pris la photo.

 

 

Vous côtoyez le milieu de la littérature depuis un demi-siècle. Quelle évolution voyez-vous au sein de ce milieu ? Les écrivains d'aujourd'hui sont-ils aussi intéressants à photographier que ceux d'hier ?

J'ai photographié des dinosaures, des monstres. Maintenant, il y a encore quelques grands comme Le Clézio, mais ce n'est pas pareil. Les écrivains d'aujourd'hui sont moins connus du grand public. Le problème, c'est qu'il y a des recettes qui marchent à tous les coups : parler de sexe, de drogues, d'homosexualité, ça plaît aux éditeurs parce que ça fait vendre. Sauf que ça ne fait pas forcément un grand roman. Il y a aussi l'arrivée du livre numérique qui enlève du plaisir de la lecture. Le livre, pour moi, c'est un plaisir physique. Un bon livre, je le déguste.

 

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Autoportrait Louis Monier

 

Article de Mathieu Papion

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Publié le 24 octobre 2017, mis à jour le 30 octobre 2017

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