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FRANCO-ROUMANIE - Anina Ciuciu, le combat d’une femme Rrom en France

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Photo: Mathieu Papion
Écrit par Franco-Roumanie
Publié le 20 février 2018, mis à jour le 18 février 2021

Anina Ciuciu est née à Craiova, en Roumanie, pendant la révolution anti-communiste. D’ethnie rrom, sa famille a fui la Roumanie suite  aux discriminations et à la misère. Avec sa famille, elle vécu plusieurs mois dans un bidonville en Italie, avant de rejoindre la France et la ville de Bourg-en-Bresse, où des associations et des bénévoles leur ont permis de retrouver une vie digne. Elle raconte son histoire dans le livre "Je suis tzigane et le je le reste" (2013). Aujourd’hui, elle termine sa formation d'élève-avocate à l'Ecole du barreau de Paris. Modèle de réussite et d’intégration, Anina Ciuciu est engagée dans plusieurs associations pour aider les enfants des bidonvilles et leur permettre de bénéficier des mêmes droits que les autres citoyens. Notre correspondant à Paris, Mathieu Papion, l'a rencontrée...

 

LePetitJournal.com de Bucarest : Par rapport au livre "Je suis tzigane et je le reste" que vous avez écrit il y a cinq ans, votre vision de votre vie a-t-elle évolué ? Si c’était à refaire, vous écririez de la même façon ?

Anina Ciuciu : J’aurais mieux fait d’attendre avant d'écrire ce livre. Aujourd’hui, j’ai plus de recul, plus de maturité, ma réflexion a beaucoup évolué depuis. D’ailleurs, j’ai en quelque sorte écrit une suite dans "Avava Ovava" en 2014, un ouvrage collectif. A l’époque de "Je suis tzigane et je le reste", j’ai été assez médiatisée. L’objectif était d’envoyer un message porteur d’espoir aux Rroms comme aux non-Rroms. Quand on est Rrom, on ressent une hostilité dès la naissance, on naît avec une honte, une peur, on ressent du mépris. C’est difficile de devenir un citoyen comme un autre. Je voulais aussi faire découvrir la communauté de l’intérieur. Les communautés Rroms sont en réalité multiples, il existe une grande diversité au sein même des Rroms. Malheureusement, ces communautés, dans leur majorité, font l’expérience commune de la précarité, de l’exclusion, de la haine, du racisme pouvant aller jusqu’à la violence brutale. Et ce qui fait l’appartenance à une communauté, ce n’est pas la tradition. C’est quelque chose d’assez difficile à expliquer, à définir. Dans mon second ouvrage, il me tenait à cœur d’aborder la question de la place de la femme dans les communautés Rroms. En réalité, la domination patriarcale s’exerce partout dans le monde, comme l’a révélé récemment le mouvement #MeToo. Et justement, certains instrumentalisent ce problème de la place de la femme au sein de la communauté Rrom pour justifier le racisme anti-Rrom. En réalité, c’est la violence qui s’exerce contre la communauté qui se répercute sur les femmes ou les homosexuels. Quand un homme se fait gifler (le mot est faible) par un policier lors d’une expulsion de bidonville par exemple, il est atteint dans sa dignité, et il va chercher à regagner sa dignité en exerçant à son tour sa domination sur une personne plus faible, comme sa femme par exemple. La seule solution, c’est que l’ensemble de la communauté voit ses conditions de vie s’améliorer. D’ailleurs, de nombreuses personnes qui se battent pour les droits de la communauté sont des femmes.

 


Vous avez été candidate en Seine-Saint-Denis aux dernières sénatoriales, qu’est-ce que cela a apporté à votre combat ?

Mon objectif n’était pas de faire une carrière politique. On s’est réuni avec le Mouvement du 16 mai et plusieurs associations parmi lesquelles La Voix des Rroms, Aset93, des associations de lutte contre la négrophobie, des militants pour les droits des personnes LGBT, des militants contre les violences policières, des militants écologistes, des associations pour les droits des mineurs isolés etc .. et c’est comme ça qu’est née la liste “Notre avenir”. Je n’ai jamais voulu être la candidate des Rroms, ou être "la sénatrice Rrom". L’objectif était de faire entendre notre voix, et c’est une réussite. La preuve en est que notre candidature est la seule du 93 à avoir été autant médiatisée. On n’a pas été élus, car le système de vote indirect favorise les partis : ce sont les élus qui votent sur les consignes de partis et non pas les citoyens. Mais on est quand même arrivés juste derrière En Marche, c’est-à-dire que ceux qui ont voté pour nous ont voté par pure conviction. On a fait passé un messages aux hommes politiques : désormais, il faudra compter avec nous.

 


Depuis votre livre, la situation des Rroms en France a-t-elle évolué ?

Malheureusement, je ne vois pas de véritable changement depuis 2010. Les bidonvilles, considérés comme des « campements illicites », sont systématiquement expulsés. Et à chaque fois, tout le travail des familles et des associations pour l’intégration est anéanti. Dans ces conditions, la scolarisation des enfants est quasi-impossible. La seule politique qui est appliquée, c’est une politique de répression du ministère de l’intérieur. En France, il y a près de 10 000 enfants, qui vivent dans des  bidonvilles et n’ont pas accès à l’école. C’est un problème intolérable : on les voue à devenir mendiants. Il y a bien eu la circulaire du 26 août 2012, qui impose le respect de la continuité des droits pour les habitants en cas d’expulsion, notamment la scolarisation des enfants. En réalité, elle n’est presque jamais appliquée.

 

Le candidat Macron s’est engagé devant vous à prendre à bras le corps la question de la scolarisation des enfants des bidonvilles, a-t-il fait un effort depuis qu’il a été élu ?

Il s’était engagé pendant la campagne présidentielle à rencontrer les enfants et les parents de bidonvilles. Depuis, il n’a rien fait. Avec un collectif d’associations nous menons une campagne nationale de plaidoyer pour l’accès et la réussite à l’école de tous les enfants marginalisés qu’ils soient Rroms vivant en bidonville, mineurs isolés, ou enfants des quartiers populaires. Si rien n’est fait, on va attaquer l’Etat en justice pour discrimination.

 


Quels sont les problèmes les plus urgents des Rroms en France ?

Quand on parle des Rroms, on les accuse souvent de ne pas vouloir s’intégrer. Or, ce n’est pas un problème d’intégration, c’est un problème d’exclusion. Les expulsions de bidonvilles sont désastreuses. En plus, elles coûtent extrêmement cher à l’Etat, et sont contre-productives. Lors de l’explosion d’un bidonville, les gens ne quittent pas la France, ils recréent juste un autre bidonville un peu plus loin. Alors que, par expérience, on voit que les politiques qui accompagnent les gens dans leurs démarches d’inclusion, d’accès aux droits, ça marche.

 


Vous avez été brièvement conseillère honorifique sur la question Rrom du gouvernement Ponta en 2014. La situation a-t-elle évolué depuis ?

J’ai une connaissance moins précise du sujet, mais globalement la situation ne semble pas avoir beaucoup évoluée. Les Rroms souffrent toujours des mêmes difficultés, de la paupérisation. Le pire, c’est que se mettent en place des politiques d’expulsions. A cause d’actes de propriété défaillants, de nombreux Rroms vivent sur des terrains qu’ils ont achetés il y a des décennies, sans avoir les papiers en règle. Alors ils sont expulsés, et des bidonvilles se créent petit à petit en Roumanie aussi, ce qui n’existait pas vraiment avant. Je retourne parfois dans le quartier où j’ai grandi, à la périphérie de Craiova. La seule chose qui ait changé, c’est que certaines routes ont été goudronnées. Et surtout, il y a toujours cette suspicion, ce mépris, que subissent les Rroms dans leur vie quotidienne.

 


Comment faire évoluer l’image des Rroms ?

Ce qui est très important, c’est que l’on puisse se réapproprier notre propre représentation, notre propre image, pour pouvoir avancer sur le chemin de l’accès aux droits. Par exemple, on a créé le Mouvement du 16 mai. C’est une référence à une date historique pour les Rroms : la révolte des familles tsiganes du 16 mai 1944. Grâce à un réseau de Résistance interne, les Rroms du camp d’Auschwitz ont découvert le plan des nazis de les exterminer, ils ont pu s’organiser et se défendre et ont réussi à faire reculer les SS. Ce sont des héros que l’on commémore. Tous les ans, le 16 mai, nous organisons la fête de "l'Insurrection gitane” devant la Basilique de Saint-Denis. Le but est de résister contre le racisme, la discrimination, l’hostilité. C’est devenu un mouvement européen « Rromani Résistance », on célèbre cette résistance passée mais aussi actuelle. C’est une manifestation ouverte à tous. L’objectif, à nouveau, c’est de se réapproprier notre Histoire, notre représentation. Il faut absolument sortir de l’image victimaire qui nous a été imposée. Il ne faut pas s’enfermer dans l’image de la victime, c’est très dangereux. Nous sommes une culture millénaire qui a résisté pendant des siècles à des tas de difficultés. Nous devons en être fiers.

 

 

 

 

Propos recueillis par Mathieu Papion

 

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Publié le 20 février 2018, mis à jour le 18 février 2021

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