Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

AMOUREUX DE LA ROUMANIE - Les racines roumaines du poète Antoine Simon

Cette semaine la rédaction est allée à la rencontre du poète français amoureux de la Roumanie, Antoine Simon. De père roumain, de mère française, la Roumanie a toujours été dans un coin de sa tête avant d'y être invité à plusieurs reprises. Il se définit très simplement et de la manière suivante : Antoine Simon est né en 1943 et ça continue tant que la poésie le porte, jusqu'à preuve du contraire...

photo Antoinephoto Antoine
Écrit par Grégory Rateau
Publié le 30 octobre 2024, mis à jour le 4 novembre 2024

 

Pour moi la performance est un engagement total dans la poésie. Le texte est important mais il n’est pas tout, la poésie est préalable et Prévert disait « La poésie est le plus beau surnom de la vie ». J’adhère totalement, et c’est pourquoi j’ai dit que le poème se termine à la mort du poète.

 

Grégory Rateau: C'est un lourd héritage que vous portez. Votre père était roumain et il est devenu un résistant pendant la Seconde Guerre mondiale. Pouvez-vous nous en parler ?

Antoine Simon: Je ne l’ai évidemment pas connu, j’avais dix mois au moment de sa mort dans les combats pour la libération de Toulon. C’était le 22 août 1944. Je n’ai connu, et ma mère non plus, personne de sa famille car il était venu de Roumanie et 1934 et s’était déjà engagé dans le brigades internationales en Espagne parce qu’il était un communiste convaincu. Bien entendu j’ai été bercé par la figure du héros parce qu’il était dans le bon camp. Il est certain également que son absence et son manque ont favorisé l’éclosion de la vision poétique chez moi.

 

C'est à l'occasion d'un festival de poésie que vous avez découvert la Roumanie pour la première fois ? Aviez-vous des a priori ?

Non, car c’est un pays qui avait été fermé très longtemps à l’occident. On n’en connaissait pas grand-chose. Pour moi c’était évidemment un mythe. Toute mon enfance a situé la Roumanie très proche du paradis du fait de la confusion père-dieu le père. J’ai été transporté par le voyage d’Ulysse, par exemple, parce que j’ai longtemps pensé à son retour improbable.

 

Vous êtes-vous senti proche de vos racines roumaines ?

J’ai découvert le pays assez tard dans ma vie. J’y suis allé avec grande joie, mais c’était trop tard pour vraiment ressentir une familiarité directe. Cependant je remarque que je suis, depuis très longtemps, particulièrement sensible à l‘écriture de créateurs roumains. Je dis créateurs parce que ça englobe Gherasim Luca, bien sûr, mais aussi Ionesco, Mircea Eliade, Cioran, et jusqu’à Brancusi, le sculpteur. Je suis allé tout spécialement à Targu Jiu pour voir sa colonne sans fin.

 

Avez-vous perçu lors de vos différents voyages, des changements, des évolutions ?

Très nettement dans le développement des infrastructures. Les premières fois, par exemple, dans la région de Caras Severin, il y avait beaucoup de charrettes tirées par des chevaux sur des routes pas mal défoncées et de nombreux fils électriques dont les poteaux étaient constitués de troncs d’arbres tordus. En peu de temps tout s’est « modernisé ».

 

Vous écrivez de la poésie. Vous m'aviez fait savoir que pendant longtemps vous ne souhaitiez pas publier vos textes mais aller à la rencontre du public pour les lire. Pourquoi ce choix et pourquoi publier aujourd'hui ?

Ce que j’ai dit c’est que je préférais le public à la publication. C’est facile à comprendre avec les explications que j’en donne ici. Quant au terme « public », il va bien dans la phrase avec la restriction que j’y apporte. Le fait est que je publie beaucoup plus depuis quelques années, d’une part parce qu’on me demande plus, d’autre part j’ai de nombreux textes qui se sont accumulés et qui continuent de le faire, et c’est une façon de se délester, d’autant que mon âge avance à grands pas.

C’est que la performance n’est pas une simple lecture : elle est l’expression de la poésie, celle de l’écrit, mais aussi celle de la voix, du corps, du moment où ça se produit, qui fait partie du poème. Tout compte, tout communique, comme faisait dire Tati à la tante dans Mon oncle.

Pour moi la performance est un engagement total dans la poésie. Le texte est important mais il n’est pas tout, la poésie est préalable et Prévert disait « La poésie est le plus beau surnom de la vie ». J’adhère totalement, et c’est pourquoi j’ai dit que le poème se termine à la mort du poète.

Je dois dire aussi que je me suis beaucoup et longtemps questionné sur le sens de la vie (en quoi je ne suis pas le seul). J’ai beaucoup lu sur toutes les traditions ou religions jusqu’au jour où, j’ai réalisé que mon chemin était la poésie (j’étais publié à 16 ans). De ce jour la performance poétique a pris tout son sens

 

Au festival Voix Vives de Sètes de Méditerranée en méditerranée, vous êtes d'ailleurs animateur et « performeur ». Pensez-vous que la poésie transmise à l'oral est une valeur ajoutée pour aller à la rencontre d'un public plus large ?

Tout d’abord pour moi il n’y a pas un « public », la poésie n’est pas un spectacle. Il y a des participants, plus ou moins conscients de l’être. Il appartient à chacun de se situer. Je dis seulement comment, moi, je ressens la chose. La performance est un morceau de vie partagé. Une agapé au sens grec. Par ailleurs « valeur ajoutée » sonne trop économique pour me satisfaire. La poésie, par bonheur, est en dehors du marché. En tout cas ce n’est pas un secteur convoité par la finance. En résumé je ne suis pas dans la performance pour attirer plus de monde mais pour mieux et plus pleinement exprimer la poésie.

 

La rumeur libre

 

Parlez-nous de votre dernier ouvrage publié à la Rumeur libre édition, Le Petit Moi. Vous vous interrogez beaucoup sur vous-même avec une certaine autodérision et sur la poésie en général à coups de jeux de mots, je pense à vos multiples partages sur les réseaux sociaux qui font aussi écho à vos diverses publications, je me trompe ?

Il est vrai que j’interviens sur Facebook, parfois en mettant des textes, d’autres fois des choses très courtes, de pensées, souvent avec jeux de mots. Par sa polysémie le jeu de mots est souvent instructif et poétique. Il faut lire le livre de Freud qui est édifiant. Pourquoi les réseaux ? Souvent sans doute pour exercer un texte, voir comment il est perçu, tout en relativisant, car le texte seul, détaché de tout contexte, pour moi n’est pas complet. Le petit moi est particulier car il possède une cohésion interne : j’ai commencé à écrire quelques textes avec lui et ça s’est systématisé le temps du livre. C’est rare chez moi. D’habitude ça part dans tous les sens d’un texte à l'autre. La phrase introductive explique bien, je pense : Le petit moi c’est notre plus petit commun dénominateur, c’est l’innocent que nous portons, ou qui nous porte, capable d’incursions soudaines dans une conscience qu’il ne maîtrise pas.

 

Que peut encore la poésie selon vous ?

Je pense qu’elle peut beaucoup, énormément. Beaucoup plus que tout le monde pense. Mais ça ne se voit pas. L’air que nous respirons agit, c’est évident, mais ça ne se voit pas. En exergue d’un autre livre (Nousiltuge), j’avais écrit : La malédiction du poète c’est qu’il change le monde sans que le monde s’en aperçoive.

 

Lors de toutes vos interventions avec des poètes du monde entier, y a-t-il une rencontre qui a été plus marquante que les autres et que vous aimeriez nous conter ?

La rencontre la plus marquante pour moi s’est produite lors de mes premières publications en revues. J’avais participé à plusieurs, à 16 ans, et pour l’une d’entre elles j’avais rencontré André Salmon qui m’avait conduit chez lui plusieurs fois dans sa voiture et pour moi c’était extraordinaire parce que nous étions en 1959 et je connaissais André Salmon par Guillaume Apollinaire qui lui avait consacré un poème dans Alcools (On a pavoisé Paris parce qu’aujourd’hui mon ami André Salmon se marie…) C’était avant les deux guerres mondiales et je me trouvais projeté dans l’histoire.

 

Si vous deviez donner un conseil aux jeunes lecteurs qui nous lisent et qui, comme vous, souhaiteraient écrire et faire connaître leurs textes, quel serait-il ?

Vivez, éprouvez, faites corps, ne cherchez pas à écrire, ça viendra naturellement, par surcroit.

 

antoine simon

 

Extrait de Le petit moi à la Rumeur libre éditions :

Le petit moi pense des choses

distraitement

écrit des choses

qu’il n’a pas eu le temps de penser

dit des choses

qu’il n’a pas eu le temps d’écrire

des choses

qu’il ne comprend pas

d’où ça vient

où ça va

peut-être que ça passe d’abord

à travers tous les autres

qui sont en lui

avant d’arriver jusqu’à lui

et peut-être que ça va

vers tous les autres

hors de lui

s’il existe quelqu’un hors de lui

peut-être que ça commence dans le corps

la poésie

et peut-être même hors du corps

si toutefois il existe

quelque chose

hors du corps

et peut-être que ça ne vient pas

que c’est déjà là

depuis la nuit des temps

et peut-être qu’il n’y a pas de nuit

ni de temps

et même pas de là

ni d’ailleurs

pas d’espace

peut-être

qu’il n’y a rien

et que c’est de ce rien

que viennent les choses

se dit le petit moi

allez savoir

 

Le livre est disponible ici

 

 

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions