A Battambang, le Bambou express cambodgien a atteint le bout de la ligne. Retour sur une attraction touristique sur le point de disparaitre
Le Bamboo train, une expérience unique pour les touristes (Roth Meas)
Longtemps, Battambang est resté célèbre pour les touristes pour ses trains de bambou, Il s'agit en fait de simples engins composés d'une plateforme de bois et de bambou, laquelle surmonte un ensemble de rouages métalliques. Le tout est propulsé sur le chemin de fer local au moyen de moteurs à bateau reconvertis. Les machines ingénieuses surnommées "norries" par les locaux sont aussi un moyen de transport essentiel pour les Cambodgiens qui l'utilisent pour le déplacement de biens et de personnes sur de courtes distances.
Le train va partir
Pourtant, l'ère du train de bambou est en passe de se terminer. Cet événement fait suite à l'accord signé l'année dernière entre le gouvernement cambodgien, la compagnie australienne de logistique Toll holdings Ltd et la compagnie privée cambodgienne Royal Group. Ces entreprises avaient été sollicitées pour la réparation de l'intégralité du réseau du pays et de son exploitation pour trois décennies. Le ministère des travaux publics et du transport affirme qu'une fois les projets de réparation terminés, les trains de bambous ne seront plus autorisés à circuler. Selon Vasim Soriya, le directeur de la panification au ministère, cette conclusion devrait se produire début 2012. Touch Chankosal, le sous secrétaire d'Etat au ministère a expliqué, les raisons du gouvernement d'interdire la survie des trains de bambou dans ce nouveau monde de service de train longue distance."Une fois que les chemins de fer seront réparés et que les trains longue distance commenceront à circuler à nouveau, les norries ne sont plus capables de fonctionner. Les trains passeront de nombreuses fois par jour à vive allure. Si un norry roule sur les rails au moment où un train arrive, cela pourrait créer une situation dangereuse".
Il s'agit bien sûr d'une très mauvaise nouvelle pour les habitants vivant prés de la gare de la commune de Odambang dans la province de Battambang. Ils gagnaient en effet leur pain grâce au transport des locaux et des touristes sur les trains de bambou. Ban Boch, 62 ans, se rappelle l'introduction des trains de bambou au début des années 70 par les autorités ferroviaires qui avaient alors réparé des sections endommagées de la voie.
"En ce temps là, les seules personnes à utiliser les 'norries' étaient les mécaniciens de la voie ferrée qui s'en servaient pour se déplacer et prendre soin des rails" raconte le vieil homme."Il n'y avait pas beaucoup de norries et ceux qui existaient n'avaient pas de moteurs ? les mécaniciens utilisaient de longs bâtons de bambou pour les pousser le long des voies comme s' ils avaient voulu ramer sur un bateau". Bon Boch fut relocalisé dans la province de Siem Reap durant le régime des Khmers Rouges mais il retourna ensuite en 1980 à Battambang. Les trains de bambou étaient alors un moyen de transport vers le front pour les soldats vietnamiens et cambodgiens. Le vieil homme rassemble ses souvenirs "Les voies n'appartenaient plus aux autorités ferroviaires. Les habitants de la ville de Odambang avaient fabriqué leurs propres norries grâce à des rouages récupérés de tanks détruits durant la bataille contre les Khmers Rouges". Devant la surprise de ses interlocuteurs, Bon Boch ajoute "Ce n'était pas difficile à faire et c'était un moyen pratique de se déplacer. A l'époque, il y avait que peu de routes dans cette partie du Cambodge".
Nun Nan pourrait bientôt perdre son emploi avec les travaux de rénovation des voies de chemin de fer (Roth Meas)
Train-Train quotidien
Depuis, les moteurs de bateau ont remplacé les bâtons de bambou comme moyen de propulsion mais la plupart des engins comportent toujours des vieux rouages de tanks. Les plateformes de bambou et de bois font désormais deux mètres de large sur trois mètres de long. Pour donner un ordre d'idée, Bon Boch annonce qu'il en a acheté un nouvel engin deux ans auparavant pour la somme de 500$. Un autre conducteur âgé de 38 ans, Nun Nan affirme lui que son train peut transporter 15 Cambodgiens ou environ 1,5 tonnes de riz. Par contre, il n'accepte jamais plus de 8 touristes étrangers en même temps pour des raisons de sécurité. Et de raconter toute la difficulté de son entreprise "Quand nous conduisons, nous devons être attentifs aux animaux qui traversent la voie ferrée. Quand le norry est lancé à pleine vitesse, il faut entre 4 à 5 mètres pour l'arrêter complètement". Il transporte les touristes environ deux fois par jour, en se relayant avec un autre conducteur de norry. Le voyage coûte environ 10 dollars par personne, voire moins si le nombre de passagers est supérieur. Nun Nan s'étonne de l'engouement pour le train de bambou: "Pour moi, il n'y a rien à voir pour un touriste à part des rizières et de la brousse le long de la voie. J'imagine que cela les intéresse davantage d'expérimenter le voyage en norry que de voir le paysage ".
Puisque de nombreux conducteurs partagent la même voie, les norries doivent être assez légers pour pouvoir être enlevés du rail en cas de rencontre entre deux trains. La tradition veut que le norry qui possède le chargement le moins lourd soit déplacé afin de laisser la place libre à l'autre. Le Cambodge dispose de deux lignes ferroviaires étatiques. La première d'une longueur de 386 kilomètres relie Phnom Penh à la frontière thaïlandaise et vu le jour en 1942 sur ordre du gouvernement colonial français. La seconde fut terminée en 1969 et couvre la distance entre Phnom Penh et Sihanoukville.
Un train peut en cacher un autre
Nou Seng, un officier de police de la gare d'Odambang explique que la guerre civile a véritablement dévasté le chemin de fer. A la fin des combats, les trains ne pouvaient relier Phnom Penh à Battambang qu'une fois par jour et à une vitesse moyenne de 10 kilomètres par heure. Une performance peu glorieuse! Le policier se souvient "Les Khmers Rouges faisaient sauter des portions de rails presque tous les jours pour couper court aux transports" avant d'ajouter"Ils plaçaient de nombreuses mines à divers endroits du chemin fer entre Battambang et la province de Kampong Chhnang. Beaucoup de parties de la voie ferroviaire, ont été endommagées par les bombes". Nou Seng raconte qu'en dépit de ces nombreux problèmes, les trains continuaient à passer sur le chemin de fer jusqu'à l'an dernier. Ils sont désormais à l'arrêt. Par la suite, les trains de bambou ont joué un rôle important dans le transport de biens et de personnes. L'officier nuance"IIl n'y a pas que les locaux qui les utilisent. Une trentaine de touristes par jour viennent à la gare pour voyager en train de bambou".
Un train nommé désir
Une des visiteuses françaises, Laurence Muller, 28 ans a loué un train de bambou un peu plus tôt dans le mois pour voyager entre les gares d'Odambang et de Osralav. Elle parle de son expérience "Je voulais voir comment ces trains fonctionnent. Je suis touriste donc je n'étais là que pour un voyage mais je me suis sentie en colère pour la population locale quand j'ai appris que les trains de bambou allaient s'arrêter". Un autre touriste, Tom Scollon, cette fois de nationalité australienne a voulu également testé cet étrange moyen de locomotion en raison de son caractère unique . Avec un sourire déjà nostalgique, il affirme"Je voulais voir le train de bambou avant que tout ne change et que ces engins n'existent plus au Cambodge". L'Australien revient sur la fin d'une époque: "Il s'agit d'une expérience vraiment incroyable. Fermer les trains de bambous est vraiment dommage pour les familles et les locaux qui les utilisent ".
Le train de bambou, une expérience dans laquelle s'embarquer au plus vite, dans l'attente d'un terminus prévu pour 2012 !
Roth Meas de notre partenaire The Phnom Penh Post
Traduit par MLT (www.lepetitjournal.com/cambodge.html) mardi 30 mars 2010