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Wagner : après le coup d’état manqué en Russie : le Bon, la Brute et le Truand unis

Deux jours après le presque coup d'Etat instigué par Evgueni Prigojine, dirigeant de l’organisation paramilitaire privée Wagner, il est temps de faire le point. Comment la Pologne a-t-elle perçu ces évènements ainsi que les autres Etats européens ? Quelle a été l’implication du pacificateur improbable – Alexandre Loukachenko, chef d’Etat bélarusse ? Quelles sont les perspectives possibles et les risques pour la Pologne ? Le bon, la brute et le truand, dans un rebondissement inattendu !

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Captures Youtube Belta.by Alexandre Loukachenko, Evgueni Prigojine, LCI Vladimir Poutine
Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 26 juin 2023, mis à jour le 21 octobre 2024

Alexandre Loukachenko revêt le rôle du pacificateur 

Alors que les mercenaires de Wagner occupaient depuis vendredi soir la ville de Rostov-sur-le-Don, dans le sud de la Russie, et qu'ils marchaient samedi vers Moscou, les troupes ont soudain fait demi-tour en fin d’après-midi, à 400 kilomètres du Kremlin. Pourquoi ? Un accord express a été négocié et a coupé court à l’avancée des mutins, dont les convois, déterminés, se rapprochaient de la capitale russe. Cet accord semble avoir été facilité par Alexandre Loukachenko et a permis de mettre d’accord Vladimir Poutine et Evgueni Prigojine, anciens amis de longue date, sur des termes communs pour mettre fin à cette mutinerie. 

Cette marche vers Moscou est un véritable camouflet pour Vladimir Poutine, dont l’autorité était jusqu’alors indiscutée en Russie. Ce week-end a révélé que le despotisme du président russe a ses limites. Qui sait ce qu’il se serait passé sur la place Rouge de Moscou si Alexandre Loukachenko n’avait pas pris part aux négociations ? À la suite de ces dernières, dont le contenu n’a pas été dévoilé pour le moment, Evgueni Prigojine a rapidement quitté Rostov-sur-le-Don, sous les applaudissements de la foule, où il se trouvait le samedi 24 juin au soir, pour rejoindre, a priori, le Belarus. 

En agissant en tant que médiateur entre le Kremlin et Wagner, le président bélarusse a tenté, avec succès, de calmer les tensions émergentes de ce rapport de force armé. Alexandre Loukachenko, souvent considéré comme un pantin dépendant du Kremlin (mais serait-ce finalement une vision biaisée ?), ne peut pas se permettre de voir le pouvoir de Poutine s’affaiblir.  

Il est possible que Vladimir Poutine ait personnellement demandé au « dictateur d’à côté », comme le qualifie le New York Times, de négocier avec Evgueni Prigojine afin de ne pas perdre la face. Le journal américain considère même que le chef d’État bélarusse est « le grand gagnant de l'affrontement Kremlin-Wagner ». Cela dit, d’autres estiment, à l’instar de l’ex-ministre de la Culture bélarusse Pavel Latushko, que la décision d’accueillir Evgueni Prigojine en exil n’est pas positive et pourrait s’avérer être dangereuse : « C’est une petite victoire tactique, artificielle et superficielle pour Loukachenko qui pourrait se transformer en un problème stratégique ».  

 

Peut-on imaginer que Loukachenko ait agi par ambition ?  

C’est également une possibilité. Pour rappel, le 2 avril 1996, Loukachenko signait avec le président russe Boris Eltsine un accord afin de créer la Communauté de la Russie et du Belarus, permettant d'envisager une union politique et économique entre les deux nations (en russe Союзное государство России и Беларуси СГРБ). 25 ans après, en 2021, le président bélarusse et Vladimir Poutine ont signé, le 9 septembre, un accord comportant 28 programmes, permettant pour renforcer l’Union de la Russie et du Belarus. Loukachenko a même construit son programme politique sur cette idée de l’Union de la Russie et du Belarus. Loukachenko, en accueillant Prigojine tenterait-il désespérément de sauver son économie souffrant à cause des sanctions et isolée des Occidentaux ? 

Dans notre article du 13 mars 2023, nous rapportions les propos de la cheffe de l'opposition, Svetlana Tikhanovskaïa qui affirmait qu’il avait des ambitions plus larges : « Rappelons-nous comment l’État de l’Union a été créé : Loukachenko espérait en devenir le président. Ensuite, Loukachenko a rêvé de diriger toute la Russie, mais quelque chose a mal tourné. Ensuite, l’État de l’Union s’est dégradé et n’a émergé que lorsque Loukachenko en avait besoin. Mais ce projet n’a pas de contenu réel. De plus, il n’y a aucun soutien au sein de la société bélarusse » avait-elle déclaré. 

 

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Quelles ont été les réactions en Pologne face à cette tentative de coup d’état ?

Avant même le début de la rébellion, le président polonais Andrzej Duda déclarait le 19 juin dernier que « l’objectif de la politique étrangère polonaise est de conduire à la défaite stratégique de la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine, car il s’agit également de la sécurité de la Pologne ». La déstabilisation en Russie liée à la mutinerie de Wagner a sûrement réjoui les dirigeants polonais, dont le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, qui rappelait que « Loukachenko et Poutine peuvent agir de manière très étrange ». 

Suite à l’annonce de l’arrivée imminente d’Evgueni Prigojine au Belarus, la Pologne ainsi que les autres pays frontaliers, ont annoncé renforcer leur vigilance aux frontières. Dimanche 25 juin, en déplacement à Białystok, le Premier ministre polonais et le ministre de la Défense nationale ont rencontré des soldats servant à proximité de la frontière bélarusse. 

« Lorsque Droit et Justice est arrivé au pouvoir en 2015, le camp uni de la droite a changé le principe de la défense de la République de Pologne. Nous défendons chaque parcelle de terre polonaise. Je me souviens que lorsque la 18e division mécanisée a été formée en 2018, l’opposition m’a reproché que c’était une erreur de mettre en place l’armée dans l’est de notre pays. Nous renforçons consciemment la partie orientale de notre pays » a déclaré Mariusz Błaszczak, ministre de la Défense nationale. 

La Pologne ainsi que les États baltes sont depuis de longs mois déstabilisés par Loukachenko qui, par la présence de migrants illégaux aux frontières, essaie de fragiliser ses voisins qui pourraient maintenant devoir se préparer à affronter Prigojine et ses hommes.  

Quant à la cheffe de l’opposition bélarusse Svetlana Tikhanovskaïa, elle a déclaré à Bloomberg : « Si Prigojine et ses voyous entrent en Biélorussie, ce sera également une menace pour nos voisins - la Pologne, la Lituanie et la Lettonie ». 

 

Quid des autres États européens ? 

La France 

Le Président français, Emmanuel Macron s’est entretenu avec ses homologues polonais, américain, allemand et britannique afin d'évaluer « l’impact possible des événements en cours en Russie sur la guerre en Ukraine » a fait savoir l’Élysée. La ministre de l’Europe et des Affaires étrangères française s’est exprimée lundi 26 juin indiquant qu’ « il faut rester prudent sur la situation en Russie. Il y a beaucoup de zones d'ombre et on n'a sans doute pas vu toutes les conséquences de ces événements. Néanmoins il est manifeste qu'ils ont souligné des tensions intérieures, des fissures et même des failles dans le système ». 

 

La Lituanie 

Le Président lituanien, Gitanas Nausėda, a, pour sa part, estimé que « le régime du Kremlin récolte ce qu'il sème. Toute la violence dirigée contre l'Ukraine s'est retournée contre lui ». Sur Twitter, le président de l’État bordant le nord du Belarus a également indiqué que « la Biélorussie est devenue un refuge pour les criminels de guerre ».  

 

 

L’Allemagne 

La ministre des Affaires étrangères allemande, Annalena Baerbock, a, quant à elle, simplement indiqué sur les réseaux sociaux « observ[er] de très près l'évolution de la situation en Russie ». Le porte-parole du gouvernement, Steffen Hebestreit, a déclaré qu’il s’agit d’une « affaire intérieure russe », sous-entendant qu’il n’y a pas de raison de s’y mêler. 

 

L’Ukraine 

Volodymyr Zelensky, le Président ukrainien, a discuté de la tentative de coup d’État en Russie, ses conséquences sur le cours de la guerre et sur la sécurité de l’Europe orientale avec le Président américain Joe Biden, le Premier ministre canadien Justin Trudeau, et le Président polonais Andrzej Duda. Il a également déclaré qu’ « Aujourd'hui, le monde a vu que les patrons de la Russie ne contrôlent rien. Rien du tout. Chaos complet. Absence totale de toute prévisibilité. (…) Le monde ne devrait pas avoir peur. Nous savons ce qui nous protège. Notre unité ». 
 

 

Quelles conséquences pour Prigojine, sera-t-il « puni » ? 

Malgré l’annonce de l’abandon de poursuites judiciaires à l’encontre d’Evgueni Prigojine, les agences de presse russes ont confirmé qu’il est toujours visé par une enquête pénale pour « mutinerie ». Vladimir Poutine peut utiliser cette enquête comme levier de négociation. Est-ce qu’Evgueni Prigojine sera exfiltré en Russie pour y être jugé malgré l’apparente protection dont il bénéficie grâce à Alexandre Loukachenko ? Vladimir Poutine peut-il accepter qu’un « traitre », devenu une figure médiatique, ne soit pas jugé pour ses actes qui l’ont humilié - tant en Russie que sur la scène internationale ?  

Quoi qu’il en soit, la guerre en Ukraine n’a pas pris fin et des questions se posent également vis-à-vis de l’implication du groupe paramilitaire Wagner. La contre-offensive ukrainienne tant attendue est actuellement en train de se dérouler. Les troupes ukrainiennes regagnent chaque jour des territoires illégalement occupés par les Russes.  

Un possible repli des troupes de Wagner serait favorable aux avancées ukrainiennes. Les mercenaires russes sont mieux entrainés que les troupes régulières de l’armée russe, leur absence pourrait donc rapidement tourner en la faveur de l’Ukraine. 

Néanmoins, cela est à prendre avec des pincettes : il est peu probable que les troupes de Wagner se replient du champ de bataille en Ukraine. Vladimir Poutine connait leur réussite sur le terrain et son armée a besoin de ces troupes pour pouvoir espérer ne pas s’écrouler au cours des prochains mois. Si, toutefois, les milliers d’hommes sont amenés à quitter la patrie de Zelensky, ils pourraient être amenés à être repositionnés dans les différents pays africains où la présence de Wagner est confirmée. 

Au cours de la mutinerie, le siège de la société militaire privée à Saint-Pétersbourg a été perquisitionné le 24 juin. Cette perquisition pourrait-elle mener à l’interdiction et au démantèlement du groupe ? 

Le dénouement le plus vraisemblable est un encadrement plus strict du mercenariat en Russie. Les groupes paramilitaires seront probablement interdits d’opérer sur le territoire russe, mais autorisés à l’étranger, comme en Centrafrique, en Libye, ou au Mali, où Wagner fait partie intégrante de la stratégie d’influence russe en Afrique. Une loi très récemment adoptée par la Douma d’État (parlement russe) précise par ailleurs que les sociétés militaires privées ne peuvent plus recruter de prisonniers, cette faculté revient désormais uniquement au ministère de la Défense russe. 

En attendant, tous les regards sont braqués vers le Belarus, où l’on attend avec inquiétude de voir si Evgueni Prigojine y apparaitra dans les prochains jours... 

 

Une enquête d'Auxane Perrier et Bénédicte Mezeix

 

 

 

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