« Oui, on risque de fermer demain, la semaine prochaine » en raison de coupes budgétaires, alerte sans relâche Sylvie Gouttebaron, directrice de la Maison de la littérature et des écrivains. De passage en Pologne, pour accompagner l’écrivain Brigitte Giraud, Goncourt 2022, elle est revenue longuement sur cette situation inquiétante pour la culture en général et la littérature en particulier. Entre transmission de la littérature et rencontres avec les écrivains, la Maison occupe une place centrale dans le paysage littéraire français : sa mission, bien qu’essentielle, risque de s’arrêter d’ici la fin du mois de juin si des financements ne sont pas apportés. Si la Maison coule, bien plus qu’un naufrage, ce serait un deuil pour la littérature française.


Lepetitjournal.com Varsovie : Sylvie Gouttebaron, quel est votre rôle au sein de la Maison des écrivains, pouvez-vous présenter la structure à nos lecteurs ?
Sylvie Gouttebaron : Je m'appelle Sylvie Gouttebaron et je dirige la Maison des écrivains et de la littérature depuis 20 ans, ce qui fait une longue période en tant que directrice. La Maison des écrivains a des missions qui lui sont conférées par ses statuts (association loi 1901), et est gouvernée par 12 écrivains contemporains évidemment car les autres ne sont plus là qu'à travers leurs successeurs.
Dans une grande tradition de transmission de la littérature, et à travers les missions de la Maison, qui sont soutenues par le ministère de la Culture, nous transmettons la littérature aux plus jeunes lecteurs, et à tous les publics en général en présence des écrivains.
Ce qui fait la particularité de cette structure, c'est que l'on engage à nos côtés 250 ou 300 écrivains par an, qui vont rencontrer des classes entières sur des axes de réflexion assez précis parfois, comme la sensibilisation des plus jeunes à la crise climatique. Nous travaillons avec le Muséum national d'histoire naturelle, par exemple avec lequel nous avons créé le Prix jeunesse du Muséum littéraire. Ce rapprochement entre nature et littérature, nous en avons fait un axe de travail dès 2015, dans le cadre de la COP21 qu'accueillait alors la France.
En 2015, vous le savez, c'est aussi l'horreur des attentats qui ont été commis en France. Nous nous sommes donc dit : « Comment être utile à la société par la littérature et en présence des écrivains ? ». Nous avons alors commencé à travailler sur la question de l'interprétation des textes : qu'est-ce que ça veut dire que lire et s'approprier vraiment un texte. Nous avons fait cela pour répondre à la tentation de fermeture radicale du sens. Pour aider tout jeune qui pourrait être confronté à quelqu'un qui lui dit « Non, ce texte veut dire cela et rien que cela », Eh bien, en son for intérieur, par ce travail de lecture « insistante », comme le disait le philologue Jean Bollack, cette mise en pratique de l'interprétation en quoi consiste tout travail de lecture ordinaire, ce jeune individu puisse avoir son libre arbitre.
Nous sommes engagés, c'est un fait.
Vous connaissez bien la Pologne, car, depuis plusieurs années, vous y accompagnez des auteurs français, c'est à l'occasion des rencontres organisées par FLEvolution, et de la venue de Brigitte Giraud, Goncourt 2022, pour son roman Vivre vite, que nous échangeons. Quel est le rôle de la Maison des écrivains et de la littérature, dans « l'exportation » des auteurs français ?
Alors, je ne peux pas dire que ce sont des vacances, même si tout le travail a été fait en amont avec la merveilleuse équipe de FLEvolution. Ce qui est intéressant, c'est qu'avant que cela ne s'appelle FLEvolution, et que ce soit un Erasmus+, il existait déjà ici des rencontres avec des auteurs français. Cette belle aventure est née d'une rencontre à l'École normale supérieure à Paris où s'était rendue Katarzyna Kotowska [sic.] et à laquelle j'étais moi-même avec Dominique Viart, universitaire maintenant à la retraite mais toujours actif et qui a fait entrer la littérature contemporaine à l'université. Il en est l'un des éminents spécialistes.
C'est lui qui, au sein de la Maison des écrivains, avec Patrick Souchon, vice-président de la Maison, a inventé un programme national qui s'appelait « Le temps des écrivains à l'Université et dans les grandes écoles » permettant à des écrivains aussi célèbres que Pierre Michon, Pierre Bergounioux, mais aussi Annie Ernaux, Marie-Hélène Lafon, Brigitte Giraud, qui a fait le voyage cette année à Gdańsk, Hervé Le Tellier [venu à Gdańsk en 2023], Olivier Rolin, Jean Rolin, d'entrer à l'université.
Hervé Le Tellier, L’anomalie: «Que ferions-nous si nous étions en face de nous même?»
En quoi l'université est-elle un soutien pour les écrivains francophones ?
Pour un écrivain, être étudié à l'université présente un très grand intérêt. Nous sommes à Gdańsk en Pologne. Dans ce cas précis, ça veut dire que le livre de Brigitte Giraud, « Vivre vite », qui a obtenu le Prix Goncourt en 2023, a été traduit. Mais il arrive parfois que le livre ne le soit pas. Dans ce cas-là, l'auteur, invité par l'université, va rencontrer un certain nombre d'enseignants, de chercheurs ; un corpus de son œuvre va être étudié à l'université...
Il va donc de soi que les auteurs ont très très envie d'être invités à l'université.
C'est pour eux un foyer de rencontres qui leur permet parfois de se rendre à l'étranger, car d'une université à l'autre, il y a des échanges, leur permettant donc d'être parfois traduits dans le cadre de la recherche à l'international. C'est donc un volet très important, une aubaine en somme, qui accompagne parfois le travail de l'éditeur sur l'achat des droits à l'étranger. Les traducteurs sont souvent très proches des universitaires.
Malheureusement, ce programme « Le temps des écrivains à l'Université et dans les grandes écoles » n'existe plus, puisque la Maison a subi des coupes claires qui nous ont obligés d'y mettre un terme. Cependant, avec une volonté de fer, quand j'ai rencontré Katarzyna Kotowska [sic.] à l'ENS, avec Dominique Viart, nous fumes immédiatement convaincus qu'il fallait coûte coûte faire venir des écrivains à Gdańsk.

Et si vous étudiez la philologie romane, le français en Pologne ?
Pouvez-vous revenir sur les premières années, depuis la venue de l'écrivain Patrick Deville ?
Oui, il y a eu tout d'abord Patrick Deville, puis Olivier Rolin, Maylis de Kerangal, Hervé Le Tellier. À cette époque, ce n'était pas encore un Erasmus +.
Pour Maylis de Kerangal, la rencontre s'est faite en visioconférence, car nous étions en pleine crise Covid. L'année suivante, Hervé Le Tellier s'est rendu à Gdańsk, et c'est Philippe Claudel, l'année dernière qui a été le premier auteur invité dans le cadre du programme Erasmus+, qu'on a construit avec Katarzyna Kotowska [sic.], avec l'université d'Innsbruck et Doris Eibl, ainsi que tous les partenaires ici sur le terrain comme Lepetitjournal.com. Varsovie.
C'est une aventure extraordinaire ! Et moi j'accompagne les auteurs, ce qui est la moindre des choses dans le cadre d'un tel partenariat. J'y fais valoir l'immense travail de transmission de la littérature de la Mél et sa manière de le faire. Je suis totalement mobilisée.
C'est en train, n'est-ce pas, que vous êtes encore venue en Pologne, cette année ?
Oui, cette année Brigitte Giraud ne souhaitait pas venir en avion, ce qui me faisait très plaisir, parce que quand je viens c'est en train également. C'était une raison de plus pour me déplacer en Pologne, sachant que je lui avais beaucoup décrit le pays (rires). Et pour nous deux, c'est un engagement car nous sommes plus qu'inquiètes quant au réchauffement climatique.

C'est donc vous qui invitez, convainquez les auteurs de se déplacer en Pologne ?
En effet, c'est mon rôle de directrice de structure et puissance invitante, de convaincre un auteur de venir. Je pourrais très bien dire, « Non surtout pas, ne viens pas, c'est une horreur » (sourire). Non. Sérieusement, mon travail consiste à prendre d'abord la mesure de ce qu'il se passe, comprendre l'intention, vérifier le travail conduit pour justement emporter l'adhésion de l'invité(e) : je veux rencontrer les étudiants, les enseignants, et voir à quel point les écrivains sont attendus. Après, je n'ai plus qu'à décrire ce que je vois et c'est gagné.
La Maison des écrivains a ce souci de l'accueil et c'est tout à son honneur.
Tout autant qu'elle a le souci de la qualité des rencontres proposées. Alors les écrivains disent oui dès qu'on les invite. Ils savent que le travail que nous leur proposons, les rencontres, les relations qu'ils vont pouvoir construire avec des lecteurs sont toujours censées, qu'elles ont du sens par rapport à leurs œuvres, parce que tout le monde les a lus. C'es essentiel.
S'établit alors une relation de confiance, ils ont confiance en la structure qui les invite à travers la Maison des écrivains. C'est un jeu de ricochets et c'est délicieux.
Pour rebondir sur la structure, on sait qu'aujourd'hui la Maison des écrivains traverse une crise sans précédent. Pouvez-vous nous dire ce qu'il se passe, nous décrire la problématique actuelle de la Maison dont vous êtes à la direction.
Merci de me poser cette question, car cela me permet d'expliciter les circonstances. En effet, depuis quelques années, la Maison a subi des coupes claires de la part de sa « tutelle », on ne dit pas tutelle, mais, pourtant c'en est une. Il s'agit du ministère de la Culture. Quand on m'a confié la direction il y a 20 ans comme je l'ai dit, la subvention était de 714.000 euros. Nous étions une équipe de onze personnes. Aujourd'hui nous sommes sept. Nous avons procédé à deux licenciements il y a trois ans, deux personnes sont parties à la retraite, que nous n'avons pas remplacées pour des raisons économiques. L''année dernière, au lieu de 500.000 euros, nous n'avons eu que 350.000 euros.
J'ai tout à fait conscience que c'est une somme importante, mais une structure comme celle-ci, qui organise jusqu'à mille rencontres entre des écrivains et des élèves, ne peut accomplir de telles et belles missions sans une puissance de travail.
Il faut bien les faire ces rencontres et encore plus à l'heure où la lecture de la littérature est en très grande fragilité.
Comme je vous le disais, l'année dernière, coupes claires : 350.000 euros au lieu de 500.000 euros. Et cette année, on nous annonce en février 2025, au cours d'un exercice annuel déjà commencé évidemment que nous n'aurions que 200.00 euros.
Je sais, et le conseil d'administration le sait également que nous ne pourrons pas tenir au-delà du mois de juin 2025 avec une subvention minorée à ce point.
C'est une vraie crise. La presse est très attentive à ce qu'il se passe. Car, comme le dit l'écrivaine Leïla Sebbar, que j'ai souvent au téléphone et je lui sais gré de son souci pour la Mél : « Mais Sylvie il n'y a pas d'autre Maison des écrivains et de la littérature. ».
Les écrivains sont inquiets, c'est leur foyer : on est unique. Bien sûr qu'il y a énormément de structures en France, comme partout dans le monde qui font des choses extraordinaires pour la lecture, l'écriture, la littérature. Mais c'est cette Maison, et pas une autre, qui a mis sur pieds, il y a 40 ans, ce qu'on appelle aujourd'hui l'éducation artistique et culturelle en matière de littérature, personne ne le faisait. J'ai pris le train en route et j'en suis très fière.
Je crois qu'à l'heure actuelle, pour donner du sens et pour recoudre, réparer une société qui n'est pas en très grande forme, on a besoin de la littérature, on a besoin de paroles d'écrivains qui disent mieux que personne l'essence d'un texte, d'une œuvre. Bien sûr les enseignants sont formidables. Mais l'écrivain est un artiste et quand il est dans une classe, les élèves comprennent qu'ils n'ont pas à faire à quelqu'un de tout à fait ordinaire. C'est magique et magistral en même temps. Ce serait bien regrettable de perdre ce sel de la vie culturelle, aujourd'hui comme hier, à l'heure où de nombreuses études font le triste constant que la lecture de la littérature s'effondre.
Au-delà de cette coupe budgétaire, de ce que cela représente pour la Maison, pensez-vous que cela reflète une crise plus profonde, un mal-être de la société, de couper la culture, un manque d'investissements, de la part du gouvernement, voire des gouvernements comme nous en avons eu plusieurs depuis 5 ans ?
C'est une question complexe, car, si l'on parle de mal-être de la société, alors un gouvernement qui agit comme un gouvernement conscient, prend soin de cette société en souffrance. Et par conséquent, il ne devrait pas couper les budgets qui sont nécessaires à cette société (santé, enseignement, culture...), et s'intéresser au sens d'une action sans la négliger du revers de la main. Car l'argent est certes nécessaire. C'est le nerf de la guerre, c'est un moteur. Mais l'attention portée au travail de quelque structure au service du bien public est un devoir aussi.
On en a besoin d'argent pour payer les auteurs. La Maison a été créée pour faire en sorte que les écrivains soient rémunérés au fil de leurs actions. Il faut de l'argent, mais il faut aussi écouter. Il faut que les pouvoirs publics entendent les personnes qui leur demandent de les recevoir pour travailler main dans la main. Nous avons besoin de ces échanges. Ils sont essentiels à la bonne marche d'une démocratie. Toute idée vaut la peine d'être considérée. En ce moment, en France, certains décideurs politiques n'ont aucun égard pour la culture.
Si on nous dit que les actions qu'on met en place ne sont pas du tout conformes à une politique publique pour la lecture, alors qu'on nous le dise. Mais ce n'est pas le cas.
Or, il est regrettable que, pour faire des économies, on taille dans une chose qui est quand même absolument essentielle, je veux dire la lecture. Je crois que c'est un baume. Et la culture en général aide à prendre conscience. Elle aide à vivre et il faut faire comprendre aux jeunes générations que lire ça n'est pas du tout un pensum, mais une joie.
La littérature, et les arts en général, ont cette fonction qui est de nous faire grandir : c'est l'émancipation par l'art.
Le comédien, directeur de théâtre et metteur en scène, Robin Renucci, proche de la Maison, avec qui nous avons milité pour le maintien d'une éducation par l'art digne de ce nom, parle merveilleusement bien de ce qu'on appelle « l'éducation populaire ». Une société qui se prive de la culture ne peut pas aller mieux. Au contraire. Certes, il y a une crise budgétaire absolument réelle, mais quand on a fait ce constat, ce sont des choix politiques qu'il faut faire. Se battre pour maintenir une exigence culturelle, cette fameuse diversité dont la France peut s'enorgueillir est aussi un choix. Je ne suis pas sûre que les coupes actuelles soit le meilleur choix politique qui soit.

Ce matin nous avons assisté lors de ce 3e jour d'événements organisés par de FLEvolution à une rencontre avec Brigitte Giraud dans l'immense bibliothèque de l'Université de Gdańsk. Cette conférence était magique, il y avait une vraie connexion entre les étudiants et l'écrivaine. Est-ce que c'est une lueur d'espoir pour vous de voir ces étudiants, venus si nombreux, aussi passionnés ?
Ah, mais oui ! Là ce sont des étudiants qui étudient le français langue étrangère (FLE), donc c'est absolument phénoménal. Au sens poétique du terme, c'est un phénomène, c'est-à-dire qu'il se passe quelque chose. Moi, j'aime qu'il se passe quelque chose, c'est très rassurant, ça veut dire que notre métier, si c'en est un, a du sens évidemment. À cet endroit, il y a « action et réaction » comme l'écrivait Starobinski.
Surtout, ce que je constate c'est qu'il y a une appétence de lecture, de compréhension du monde, donc je suis joyeuse, je vais repartir chargée à bloc.
Comment peut-on encore soutenir la Maison des écrivains, comment nos lecteurs peuvent-ils procéder ?
Merci beaucoup de poser cette question, le plus simple moyen est d'adhérer. L'adhésion est de quarante euros, on peut y adhérer en tant qu'ami.
Nous avons demandé à tous les maires de France - ils sont plus de 36.000, d'adhérer, on sait qu'ils sont exsangues, car l'argent manque cruellement partout. J'avais fait mon petit calcul, j'avais multiplié quarante euros d'adhésion par 30.000 et je trouvais 1.200.000 euros. Je me disais que ce serait merveilleux, que l'on allait faire venir 400.000 étudiants à Gdańsk l'année prochaine. Je dis cela en souriant bien entendu. Mais nous sommes très heureux de voir qu' il y a des mairies qui s'engagent vraiment à nos côtés.
Et puis, le fait que vous me donniez la parole avec Lepetitjournal.com Varsovie, par exemple, est une manière de soutenir la Maison des écrivains. Je suis infiniment reconnaissante envers tous les médias qui nous permettent d'expliquer la situation. Ce que l'on vit au sein de notre équipe est très difficile, donc merci.
Si vous souhaitez consulter le site internet de la Maison des écrivains et de la littérature.
Articles transcrits et rédigés par Bénédicte Mezeix-Rytwiński, Camille Poletto-Weber et Annwenn Levêque.
Pour recevoir gratuitement notre newsletter du lundi au vendredi, inscrivez-vous à notre newsletter gratuite !
Vous pouvez nous suivre sur Facebook
Sur le même sujet
