Découvrez les meilleurs moments de l’interview de Philippe Claudel, grand habitué de la Pologne, enregistrée en public, ainsi qu’en fin d’article, la vidéo complète — en français et polonais, comme une master class d’écriture à la fois académique, punk et chirurgicale, empreint d’humour et de générosité.
Philippe Claudel, président de l’Académie Goncourt, écrivain et réalisateur césarisé en 2009 pour « Il y a longtemps que je t'aime » était invité, le 9 mai, pour une rencontre publique, où son film « Enfance », Dzieciństwo, réalisé en 2015, a été ensuite projeté à l’Instytut Kultury Miejskiej, l’institut culturel de la ville de Gdańsk. Un projet de L'atelier Littéraire. Gdańsk, initié par l’Institut de philologie romane de l’Université de Gdańsk, en étroite coopération avec La Maison des écrivains et de la littérature à Paris, soutenu par l'Institut français en Pologne, l'Alliance française de Gdańsk et Lepetitjournal.com. Varsovie, partenaire média.
Découvrez les meilleurs moments de l’interview de Philippe Claudel, grand habitué de la Pologne, réalisée par Bénédicte Mezeix-Rytwiński, enregistrée en public, ainsi qu’en fin d’article, la vidéo complète — en français et polonais, comme une master class d’écriture à la fois académique, punk et chirurgicale, empreint d’humour et de générosité.
Philippe Claudel, homme de mots et d’images et un parcours lié au Goncourt
- Philippe Claudel publie son premier roman, « Meuse l’oubli », en 1999 aux éditions Balland.
- En 2003, il obtient le Goncourt de la Nouvelle pour le recueil « Les petites mécaniques » et le prix Renaudot pour « Les âmes grises », qui recevra aussi, entre autres prix, Le Grand prix des Lectrices de Elle et est adapté au cinéma en 2005 ; son roman « Le Rapport de Brodeck » remportera le Goncourt des Lycéens en 2007.
- En 2008 sort sur les écrans son premier film, « Il y a longtemps que je t’aime », avec Kristin Scott Thomas et Elsa Zylberstein, qui obtiendra un grand succès en France, couronné par deux César, et une reconnaissance internationale ainsi que de très nombreuses récompenses, dont deux nominations aux Golden Globes et le Bafta du meilleur film étranger.
- Son quatrième film, « Une enfance », projeté à Gdańsk le 9 mai, est sorti en 2015.
- Philippe Claudel intègre l'Académie Goncourt en janvier 2012, et quelques jours après notre interview, il est nommé, le 14 mai 2024, nouveau président de l’Académie Goncourt, succédant à Didier Decoin.
Extraits de l'interview - « Regarder de près », de très près…
Lepetitjournal.com Bénédicte Mezeix-Rytwiński : « Regarder de près », c’est le titre de la thématique sur laquelle les étudiants ont travaillé cette année dans le cadre des ateliers FLEvolution, conduits par dr Katarzyna Kotowska. Votre œuvre dans son ensemble, est une loupe, un miroir grossissant de notre société.
Philippe Claudel : C’est vrai que cette thématique, « Regarder de près », je la trouve très intéressante. Mais au-delà de ma petite personne, elle peut s'appliquer à tous les écrivains. (…) L’écriture ne peut pas naître de façon déracinée. Pour écrire, il faut se nourrir : de ce que l’on entend, de ce que l’on voit, de ce qu’on ressent, de ce qu’on écoute.
Et ce qui me plaît beaucoup dans cette formule « regarder de près », c’est qu'elle suppose, justement, une exagération de la vision, un grossissement (…) j’utilise souvent l’image du microscope ou des images qui tiennent à la chirurgie, lorsqu’un chirurgien ouvre un corps pour inspecter au plus près ce qui fonctionne ou ce qui ne fonctionne pas. Et il y a quelques années, j’avais utilisé une expression qui m'était venue, pour caractériser mon travail « d’autopsie du vivant ».
Bénédicte Mezeix-Rytwiński : (…) Un côté « Docteur Maboul » de notre enfance ? Je pense à « Inhumaines » [paru en 2017 aux éditions Stock]. Vous avez non seulement passé au microscope [la société], mais vous y avez été au scalpel, à l’intérieur ?
Philippe Claudel : J'aime bien que vous parliez du « Docteur Maboul ». C’est un jeu que j’avais quand j’étais enfant, parce que (…) je voulais être chirurgien, médecin. On m'avait offert ce jeu qui existe dans beaucoup de pays, sans doute en Pologne aussi, où figurait un corps humain. Il y avait des petits trous à chaque endroit principal où il y avait un organe vital, ou un os important ; et avec une petite pince, on devait retirer l’organe, sans toucher le bord du trou, parce que sinon, il y avait une petite lumière (…).
Cela correspond beaucoup à l’écriture. (…) Évidemment, quand j’étais enfant, je faisais exprès de toucher les parois. Et dans « Inhumaines », c'est un petit peu ça : essayer de provoquer une espèce de décharge électrique en racontant des histoires, qui peuvent paraître atroces, mais qui sont juste une légère exagération de la réalité. Je me suis dit : « Je vais regarder un petit peu nos habitudes, nos mœurs contemporaines ». Et il me semble que dans plusieurs domaines, que ce soit le couple, la sexualité, le monde du travail, les loisirs, on devient de plus en plus fous.
Alors je me suis dit « Tiens, je vais prendre ces situations-là et les pousser à l’extrême » pour en faire des histoires d’un comique noir, d’un humour noir, mais [aussi] pour montrer à mes contemporains que nous sommes sur une drôle de pente.
Bénédicte Mezeix-Rytwiński : C'est carrément « No Future », le texte d’ « Inhumaines », est-ce votre côté punk que vous avez fait ressortir à travers ces mots ?
Philippe Claudel : Oui, mais c’est surtout la pratique d’une forme d’humour qui existait beaucoup dans ma jeunesse, au travers de certains magazines, comme Hara-Kiri ou Charlie Hebdo.
(…) Je pars d’un principe : on peut rire de tout, on doit rire de tout. Mais le problème, c’est qu'à notre époque, je parle du pays que je connais, c’est-à-dire la France, on peut rire de moins en moins de tout. Et le travail des humoristes, dans le théâtre, lorsqu’on fait comme moi des comédies, commence à devenir un peu plus difficile parce que beaucoup pratiquent une forme d'autocensure en disant « non, je ne peux pas rire de cette communauté, de ces personnes, de ce type d’attitudes parce que je vais me retrouver cloué au pilori ».
Et je trouve que c’est un phénomène très inquiétant aujourd’hui, en 2024, de voir que dans des pays démocratiques, comme la France, le champ de la liberté d’expression commence à diminuer.
(…) Alors, moi j’essaie de ne pas me censurer, la preuve, je n’aurais pas fait publier « Inhumaines ». Même si, dans le manuscrit, sur les conseils de ma femme, qui est ma première lectrice et qui est mon éditrice, j’ai quand même enlevé quelques textes qui étaient encore plus extrêmes.
Bénédicte Mezeix-Rytwiński : « L'Archipel du Chien » a aussi cette même veine, que je trouve assez politiquement incorrecte. C'est un roman sur les choix, sur les conséquences de ces choix, la peur de l’autre, qui est le « salaud » ? (…) Il n’y a pas de prénom, les gens sont représentés par leur fonction…
Philippe Claudel : Oui, parce que depuis plusieurs années, en même temps que j’écris des histoires, je réfléchis sur ce que peut être l’écriture d’un roman aujourd’hui.
Pour moi, par exemple, je trouve qu’il n’est plus possible d’écrire des romans réalistes.
Je ne peux pas faire semblant de faire croire au lecteur que le personnage a existé. Cela m'intéresse davantage de considérer le roman comme un échiquier (…). Ce n’est pas le roi, la reine, le cavalier, le fou, mais cela va être le Commissaire, le Maire, le Médecin… Et je les lance dans une véritable partie, en invitant le lecteur à les observer avec moi. Mais tout en lui rappelant de temps en temps : « Attention, c’est une partie d’échecs ».
Bénédicte Mezeix-Rytwiński : J’aimerais qu’on passe maintenant au film « Une Enfance » qui va être projeté ce soir. Un film social, comme « L'Archipel du Chien », où la poésie enveloppait le drame, et ce qui m’a frappé dans « Enfance », c'est son côté pictural. C’est l’histoire de Jimmy, un « redoubleur » professionnel ; il est en troisième classe (CM2) et il a déjà redoublé deux fois - il a 13 ans. (…) Ce jeune garçon, complètement abandonné, vous le filmez avec délicatesse et poésie… Mais ce qui m’a saisie, c’est la scène d’ouverture. (…) J’ai dû la regarder deux fois, parce que j’ai pensé au départ que [le personnage que l’on suit] c'était Jimmy : [une] contre-plongée sur ce garçon, le regard tourné vers la droite, vers l’avenir, [son] tee-shirt jaune flamboyant sur [un] ciel bleu. Il est fort, enraciné, même si on ne voit pas ses jambes. [Mais] je comprends ensuite, quand la caméra glisse vers le groupe, que ce n’est pas lui le héros (…) c’est le « pauvre », habillé comme « l’as de pique ». Est-ce votre touche d’écrivain, que de faire parler ainsi les images ?
Philippe Claudel : Je suis content que vous me parliez de ce premier plan, car on ne m'en a jamais parlé. Et bien entendu, dans un film, rien n’est laissé au hasard. Mais généralement, dans un film, on vous montre ce que vous avez envie de voir (…).
Et moi, le premier plan, c’était une façon de dire « Regardez, regardez bien ce garçon : il est beau, il est fort, mais ce n’est pas son histoire que je vais vous raconter, c'est celle de l’autre. Je vais vous raconter ce que vous ne voulez pas regarder. Là où vous ne voulez pas voir ». Et c’est tellement vrai que personne n’a voulu voir mon film. (Rires)
Bénédicte Mezeix-Rytwiński : Non, non, ici, cela va être un très grand succès, car, vraiment, je vous le recommande sincèrement.
Philippe Claudel : C’est vrai ce que je dis, Bénédicte. J’en ris maintenant, car du temps a passé, mais cette chronique sociale, puisque c’est une chronique sociale, sur un enfant, qui est obligé d’être plus adulte que les adultes, qui est obligé de grandir dans un milieu difficile, entouré de trentenaires à la dérive… quand c’est sorti en France, personne n’a voulu le voir. Ce sont des choses qu’on ne veut pas voir, quand c’est filmé de façon réaliste, et volontairement, sans star.
(…) Les affaires sont nombreuses d’enfants qui grandissent dans des milieux difficiles ou qui sont maltraités. Mais quand je vous dis que parfois, on ne veut pas voir, c’est que, quand le film est sorti et que j’ai fait des avant-premières, je me suis fait agresser verbalement par des gens dans la salle, qui travaillaient dans les services de protection à l’enfance et qui me disaient « Mais non, cela n’est pas possible, on serait intervenu tout de suite ».
Moi, je leur disais « Attendez, si vous intervenez tout de suite, et je citais des affaires, ces affaires-là n’auraient pas existé ». Et donc on voit que c’est effectivement un sujet dérangeant, quand on montre des adultes qui ne sont pas capables de protéger des enfants. » (…)
Pour regarder l’intégralité de l’interview :
Légende de gauche à droite : Sylvie Gouttebarron - Maison des écrivains et de la littérature (MEL), Dominique Claudel - éditrice, Philippe Claudel -écrivain, Bénédicte Mezeix-Rytwiński - Lepetitjournal.com Varsovie, Katarzyna Kotowska - FLEvolution,