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L’Europe à la rame : Christophe Gruault va ramer de Varsovie à Paris

Christophe Gruault et L'Europe à la rameChristophe Gruault et L'Europe à la rame
Staffan Widstrand/www.staffanwidstrand.se
Écrit par Mattéo Bardiaux
Publié le 27 avril 2023, mis à jour le 4 mai 2023

L'Europe à la rame, c'est un projet qui peut sembler fou, de prime abord : Christophe Gruault, voyageur intrépide et amateur de sports insolites, se lancera le 1er mai 2023 depuis Varsovie pour rejoindre Paris en solitaire à bord d’une yole, en parcourant 2023 km à la rame le long des cours d’eau d’Europe. Cette aventure sportive et écologique, soutenue par la Fondation Iris en partenariat avec le Muséum national d’Histoire naturelle, a pour objectif de sensibiliser le public, en particulier les jeunes générations, à la fragilité des écosystèmes aquatiques et à la nécessité de protéger l’eau douce, l’un de nos biens communs les plus précieux. Rendez-vous en fin d’article pour connaître son point de départ lundi 1er mai et aller l’encourager !

 

L'Europe à la rame : un projet hors du commun au fil des rivières européennes

En traversant cinq pays — la Pologne, l’Allemagne, la Hollande, la Belgique et la France — et en naviguant uniquement sur des cours d’eau, Christophe Gruault souhaite mettre en avant le fait que l’eau ne connaît pas de frontières politiques. Les cours d’eau, qui sont le lien entre la terre et la mer, ont une importance vitale pour l’humanité depuis des millénaires, mais ils restent souvent méconnus du grand public. Pourtant, un tiers de l’eau douce mondiale est utilisé par les activités humaines telles que l’agriculture, l’industrie, l’alimentation et l’énergie. Malheureusement, la ressource en eau diminue peu à peu en raison de nos besoins croissants et des impacts négatifs de nos activités sur les écosystèmes aquatiques continentaux. L’expédition de Christophe Gruault sera également l’occasion pour cinq chercheurs de l’étudier de manière interdisciplinaire, en collectant des données sur la biodiversité des zones parcourues, les interactions complexes entre les écosystèmes et l’impact des activités humaines.

 

Un témoignage sur l'état de nos cours d'eau qui sera partagé avec les élèves des lycées francophones

En parallèle, Christophe Gruault ira à la rencontre des élèves des lycées francophones des pays traversés pour les sensibiliser à l’importance de protéger l’eau et leur proposer de participer à des ateliers et à des sciences participatives. Alors que la France et d’autres pays européens font face à des épisodes de sécheresse répétés, Christophe Gruault souhaite témoigner de l’état de nos cours d’eau et partager avec les jeunes générations et le grand public les conséquences de nos actions et la nécessité urgente de préserver cette ressource vitale dont nous dépendons tous. Malgré l’urgence de la situation, il croit en la possibilité de sauvegarder la fragile beauté des joyaux de biodiversité que la Nature nous offre encore.

 

Le parcours de Christophe Gruault
Le parcours de Christophe Gruault : en bleu avec le courant, à vert sans courant, en rouge à contre-courant

 

Le 1er mai 2023 marquera le début de l’aventure hors du commun. Christophe Gruault s'élancera de Varsovie, pour rejoindre Paris le 18 juin. Son parcours ambitieux prévoit également des étapes le 13 mai en Allemagne, le 19 mai aux Pays-Bas et le 3 juin en Belgique. 


 

Christophe Gruault sur sa yole
Christophe Gruault sur sa yole. Photo : Christophe Gruault / L'Europe à la rame

 

 

Lepetitjournal.com/Varsovie : Bonjour Christophe, merci d'avoir accepté de répondre à nos questions à peine quelques jours avant le grand départ ! Bien arrivé à Varsovie ? Est-ce que c’est la première fois que vous venez en Pologne ?

Christophe Gruault : Varsovie, non, j’y étais passé il y a une dizaine d’années, parce que le projet initial était de relier Paris-Moscou à la rame, soit 4.634 km à faire en 100 jours. Le projet a été repoussé pour différentes raisons, il devait finalement être prévu pour l’année dernière. Manque de bol, je pense que vous êtes au courant de la raison pour laquelle ça ne s’est pas fait, surtout en Pologne... Dans le parcours, je devais passer à la frontière entre l’Ukraine et la Pologne, par la Polésie, je prenais la rivière Pripiat… Donc le parcours est finalement devenu Varsovie-Paris, j’ai coupé la poire en deux. Et maintenant ça s’appelle l’Europe à la rame !

 

Pourquoi un départ de la Vistule depuis Varsovie ?

D’abord parce qu’au départ, le projet initial était Paris-Moscou, mais surtout que la particularité de ce parcours, c’est qu’il s’agit d’un cours d’eau douce continu. C’est ce que je souhaitais. Il y a une vraie continuité de Moscou à Paris en cours d’eau douce sans passer par de l’eau de mer. Dans ce parcours initial, il y avait sept passages de crêtes, dont un qui était géré par les castors sur les plateaux de Russie centrale, que je ne fais donc plus. Ceci dit, des castors j’en croise tous les jours à Varsovie, c’est impressionnant ! C’est plutôt bon signe. Je m’entraine en général en fin de journée, sur le canal qui va du lac jusqu’à la Vistule [ le Kanał Żerański ], et je les vois là... 

 

Justement, quel regard portez-vous sur l’état des rivières en Pologne ?

J’ai quelques inquiétudes, je vais être honnête. Quand j’avais fait le repérage, j’avais jeté un coup d’œil sur tous les coins qui semblaient difficiles, et en regardant à nouveau les images satellites, je pense que la Noteć et la Warta vont être ardues. Ça va être compliqué, parce que les passages ont l’air particulièrement recouverts de plantes, et je ne sais pas ce que les niveaux d’eau vont donner.

Est-ce qu’il y aura de l’eau ? Est-ce que je vais davantage trouver de la gadoue ? Est-ce que je vais être à sec ? Je ne sais pas.

La particularité du bateau que j’utilise, c’est que c’est un bateau d’aviron qui me permet de voir vers l’avant. Quand les gens font d’habitude de l’aviron, ils sont de dos. Alors que là, justement, c’est un bateau qui est unique au monde ; le système d’inversion du mouvement des pelles, avec la rotation des pelles, c’est complètement unique. Cela a été adapté sur une coque faite à ma morphologie. C’est un prototype. Le but du jeu, c’est de pouvoir faire de l’observation quand je vais me déplacer : je vais pouvoir prendre le temps de regarder les berges… Ce n’est pas une compétition ! Dans le monde de l’aviron, il y a deux choses : les compétiteurs, et ceux qui se font plaisir. Moi je suis dans le monde du loisir. Je fais un parcours qui est certes long, mais qui est surtout agréable.

 

Il s’agit donc d’un mécanisme unique au monde ?

Le mécanisme a été développé par un Autrichien. Un système d’inversion des rames, ça existe déjà, mais un système d’inversion et de rotation — parce que la rotation c’est essentiel quand on fait de l’aviron — c’est le seul au monde en effet. Et nous l’avons adapté sur une coque, car habituellement il met ça sur une sorte de paddle board, une chose qui flotte, mais qui ne glisse pas. On a adapté ça sur un bateau qui avait déjà été développé pour le Moscou-Paris initial.

 

D’un point de vue environnemental, trouvez-vous que l’état écologique des rivières en Pologne est encourageant ?

Justement, c’est ce qu’on va voir ! Dans L’Europe à la rame, on se concentre sur trois axes : l’expédition, la recherche scientifique et la pédagogie. C’est surtout la science qui va pouvoir nous informer là-dessus. On a cinq chercheurs du Muséum d’Histoire naturelle, dont un spécialiste de l’ADN environnemental, pour qui je vais effectuer des prélèvements à différents endroits, particulièrement en Pologne. L’intérêt de l’ADN environnemental, c’est qu’on prend un échantillon d’eau que l’on filtre — je vais filtrer entre 30 et 60 litres — et qui va me donner une petite bouillasse que je vais transmettre aux scientifiques, qui pourront ainsi savoir ce qui vit dans cet environnement. Ce sont les scientifiques qui définissent ce qu’ils souhaitent analyser, à certains points sensibles. Et on aura ces résultats dans trois mois.

Je fais également des prélèvements pour les analyses des perturbateurs endocriniens, entre autres à Varsovie. J’ai appris que les Varsoviens boivent l’eau de la Vistule, on m’a indiqué où est la pompe, je vais donc aller faire un prélèvement de ce côté-là pour analyser ces potentiels perturbateurs. Je vais aussi faire une analyse en sortie de ville, pour savoir si la ville pollue ou dépollue. Ça, c’est pour Varsovie, mais je fais ça sur plusieurs autres grandes villes le long du parcours.

Après ça, il y a un autre scientifique, Éric Feunteun, qui s’occupe des poissons migrateurs. Grâce à l’ADN environnemental, on va savoir quelles espèces migratrices sont présentes sur le parcours — anguilles, saumons… Il faut savoir que le premier poisson n’avait pas de soucis pour voyager avant que l’Homme ne se mette à construire des écluses, des barrages, etc. Même si on essaye de faire des passages à poissons, il serait intéressant d’étudier la quantité qui y passe et jusqu’où vont-ils. L’ADN environnemental va également nous fournir des informations sur la présence des bivalves (les moules et coquillages) qui sont de bons indicateurs de la qualité de l’eau. On regardera également la présence des espèces de moules envahissantes qui ont été introduites à cause de la navigation (par les eaux de ballast) et qui prolifèrent dans les canaux et rivières d’Europe en concurrençant les espèces locales.

Il y a aussi un spécialiste des libellules, Romain Garrouste, qui devrait venir passer une dizaine de jours en Pologne sur la fin du parcours, où ça va être particulièrement accidenté. La Pologne a l’avantage d’avoir des cours d’eau encore très naturels, c’est ça qui est intéressant..

Enfin, le dernier spécialiste est Christophe Lavelle, spécialiste culinaire, qui va rencontrer entre autres un grand chef ici, un italien installé à Varsovie.

 

Comment s’est formé cette équipe, commençant par vous, jusqu’à un spécialiste des libellules et un expert culinaire, c’est quand même un groupe assez éclectique ? Comment tout ce monde s’est-il rencontré ?

Tous ces chercheurs travaillent sous la même égide, celle du Muséum d’Histoire naturelle, et ce qui les intéresse c’est la portée transdisciplinaire de cette expédition, pour connaitre la biodiversité des écosystèmes. Les pratiques de la pêche et de la cuisine sont reliées à ce qui existe dans le milieu. Un milieu riche, en bonne santé, permettra une bonne pêche qui in fine se retrouve dans notre cuisine et nos assiettes.  Prendre soin de nos rivières c'est prendre soin de notre propre santé.  

Il faut savoir que l’eau n’a pas de frontières à la base, d’où l’intérêt de faire une étude européenne. Partir à l’autre bout de la planète pour parler des pingouins c’est très bien, il y en a qui le font, je ne sais pas si le bilan carbone est excellent, mais la raison de s’intéresser à l’Europe, c’est une certaine proximité.

Les enfants, ici comme ailleurs, sont fascinés par les cours d’eau, et l’intérêt est donc de leur montrer ce qu’il y a dans l’eau, visible ou invisible, pour les sensibiliser sur ce sujet. Moi, mon rôle, en plus de faire le lien entre les scientifiques et les écoles, c’est de montrer la beauté des choses. Et je vous garantis que niveau beauté, les cours d’eau ici sont incroyables. Ne serait-ce que dans l’ambiance et dans le bien-être. Rien que là, je m’entraine dans un canal, ça n’a rien d’extraordinaire, mais c’est déjà beau, serein, zen, ça donne envie quoi. On préserve la beauté, c’est le but du jeu. Le but ce n’est pas d’être anxiogène, au contraire c’est de dire « on a de belles choses, protégeons-les ». Et ça, c’est un message qui à mon avis marchera davantage.

 

Avec ce voyage, qu’est-ce que vous voulez transmettre aux Polonais, et aux élèves que vous rencontrez à travers le programme pédagogique ?

Pour ce qui est de transmettre aux Polonais, ils n’ont pas besoin de moi, je n’ai aucune inquiétude dans leurs compétences ni dans leur sympathie.

Ce que j’aimerais mettre en évidence, c’est que les Polonais ont des cours d’eau encore particulièrement sauvages, donc particulièrement beaux. Ça fait partie de leur capital, et c’est important qu’ils sachent que ça existe.

Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de gens qui s’intéressent ni à la Noteć ni à la Warta, donc ça va être bien de leur montrer quelques coins de paradis de leur pays, même s’il y en a plein d’autres que je ne connais pas. Mon but c’est de leur partager la fragile beauté du monde qu’ils ont.

 

Est-ce qu’il y a certaines parties du parcours que vous attendez avec plus d’impatience que les autres, pour lesquelles vous avez davantage d’attentes ?

Non, pas vraiment. J’ai l’habitude du voyage, ça fait partie de ma vie. J’ai quitté la France en 1998, ça va faire 25 ans que je suis là-dedans. Tous les jours, il y aura un nouvel intérêt. J’y vais le cœur ouvert, je n’y vais pas en me disant qu’il y a des spots meilleurs que d’autres, il y a de bonnes surprises tous les jours. Il faut juste rester éveillé, ouvert, pour y rester sensible.

Alors évidemment, si je tombe sur la maison des sirènes, je serais ravi, quoique j’espère qu’elles seront plus gentilles que celle de Varsovie !

Mais non, je n’ai pas d’attentes particulières sur des endroits précis, tout m’intéresse.

 

On a bien compris que l’Europe à la rame est un projet qui vous tient particulièrement à cœur. Y a-t-il un point sur lequel vous voudriez insister ?

La chose importante que j’aimerais souligner, c’est la raison pour laquelle on a cherché à mettre de la pédagogie dans le projet. Quand j’étais petit, j’étais scout d’Europe, j’ai appris à lire dans les nuages. Ce que j’ai appris jeune, ça m’est toujours resté. Je pense que c’est pareil pour les cours d’eau : dans l’idée, montrer aux enfants les cours d’eau et ce qu’il y a dedans, leur donner les moyens d’évaluer la qualité de l’eau, ce sont des choses qu’ils peuvent garder toute leur vie.

Le prélèvement d’ADN environnemental pour mesurer la biodiversité des rivières est une technique assez jeune qui a démontré son efficacité. C’est la première fois que des kits de prélèvement « léger » vont être fournis à des écoles et seront comparés à des prélèvements plus « lourds » réalisés par l’expédition. Si ce type de prélèvements se révèle concluant, cette technique sera d’une grande aide pour les scientifiques qui pourront développer le recours aux sciences participatives, afin de réaliser de nombreux relevés simples et fiables pour connaître l’évolution de la santé des milieux.

Voilà, le départ est le 1er mai, à 10h. Même pas peur ! Je partirai du pied de la statue de la sirène, symbole de Varsovie. Je me jette à l’eau, et c’est parti pour la Vistule !

 

Pour venir soutenir Christophe Gruault lundi 1er mai, rendez-vous à 10h sous la statue de la Sirène de Varsovie !

Vous pouvez suivre l'aventure de l'Europe à la rame sur leur page Facebook et leur site Internet.