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Décarbonisation, sécurité énergétique de l’Europe et de la Pologne en particulier    

Alors que la décarbonisation de la Pologne est de nouveau au cœur des débats, depuis le retour de Donald Tusk à la tête du gouvernement, Thierry Doucerain revient pour nous sur les panels du Forum Économique de Karpacz : « La sécurité énergétique de l’Europe centrale et orientale versus le processus de décarbonisation » et « Rôle que la région peut jouer dans la construction de la sécurité énergétique de l’Europe ».

couverture décarbonation polognecouverture décarbonation pologne
Écrit par Thierry Doucerain (N73)
Publié le 26 février 2024, mis à jour le 4 décembre 2024

Thierry Doucerain (N73), est expert en énergie membre du réseau Experconnect et conseiller du commerce extérieur au sein du Groupe Pologne. Il a effectué toute sa carrière professionnelle au sein du Groupe EDF dans divers métiers de l’ingénierie de construction de centrales nucléaires et thermiques, puis a occupé le poste de directeur de  l'ingénierie thermique du Groupe EDF et présidé pendant 4 ans EDF POLSKA. C’est donc à ce titre qu'il a été invité à participer à deux panels lors de la 32e édition du Forum Économique de Karpacz, plus importante conférence d’Europe centrale et orientale.

 

Comment la Pologne peut-elle concilier indépendance, sécurité et décarbonisation à un coût acceptable pour l’économie ?

Quelques chiffres d’abord sur le mix électrique actuel. En 2022 la Pologne produit 178,7 TWh électriques pour une consommation de 177 TWh. Il y’a donc eu une légère exportation vers les pays voisins.

La part des ENR dans la production électrique s’est élevée à 20,7% en 2022. Elle était de 12,7% en 2018 et s’est donc significativement accru malgré des dispositions réglementaires qui ont freiné le développement de l’éolien onshore. Il faut saluer l’effort sur le photovoltaïque dont la capacité installée est passée de 0 en 2017 à 12 GW en 2022, assurant une production de 8 TWh en 2022.

 

décarbonation Pologne

Graphique pour Lepetitjournal.com Varsovie : Thierry Doucerain (N73) - Sources : Forum Energii, Ministère du Climat et de l’Environnement, PEP 2040

 

Cet effort a porté ses fruits. L’énergie d’origine renouvelable étant prioritaire sur le réseau, la part du charbon dans la production d’électricité s’est automatiquement réduite en passant de 80% en 2018 à 71% en 2022.

La Pologne doit poursuivre cet effort. Mais il faut garder à l’esprit que les productions éoliennes et photovoltaïques sont par nature intermittentes et que l’électricité n’étant pas stockable à grande échelle, des sources pilotables sont nécessaires pour assurer l’équilibre production/consommation et éviter toute rupture d’approvisionnement.

En Pologne, ce rôle est assuré par le charbon ou le gaz dans des proportions dépendant des coûts respectifs de ces combustibles. Les années 2020 et 2021 illustrent bien cette mécanique.

En 2020 le MWh gaz était moins cher que le MWh charbon, ce qui a fait entrer sur le marché polonais du MWh gaz venant notamment d’Allemagne et réduit la sollicitation des centrales à charbon dont la part est passée pour la première fois sous 70%.

Depuis 2021, suite à l’arrêt des importations de gaz russe, le prix du  MWh gaz est plus cher que le charbon. Les tranches « charbon » polonaises sont plus sollicitées, ce qui permet d’assurer la sécurité énergétique à un coût moindre.

On peut en tirer deux idées. Concilier décarbonisation, sécurité, indépendance et coût acceptable peut donc aujourd’hui se heurter à des contradictions qui freinent la décarbonisation du mix énergétique. 

Pour avancer vers l’objectif européen du « net zéro », la Pologne a besoin à côté des énergies renouvelables d’une production à la fois pilotable et décarbonée qui est le nucléaire.

 

Et demain ?

La Pologne dispose d’une feuille de route pour atteindre la neutralité carbone en 2050 : la PEP 2040 officialisée en 2021. Le nouveau gouvernement devrait actualiser cette feuille de route vers des objectifs plus ambitieux (fit for 55) tout en tenant compte de l’évolution de la situation géopolitique découlant de l’agression russe en Ukraine.

 

Que prévoit cette politique ?

D’abord un effort considérable de développement des énergies renouvelables (éolien onshore et offshore, photovoltaïque, biomasse, biogaz, etc.). L’ambition est d’atteindre 40% de la production électrique en 2030 et dépasser 50% en 2040, notamment grâce au développement de l’éolien offshore, avec pour ce dernier, un objectif de 11 GW en 2040.

Ensuite une sortie progressive du charbon,  avec en 2049, la fin programmée de l’exploitation du charbon en Pologne et  la fermeture progressive des unités charbon. Certaines de ces tranches pourront être remplacées par des centrales à gaz, qui sont des solutions relativement faciles à mettre en œuvre et avec un impact moindre sur l’environnement que les centrales à charbon (2 à 3 fois moins de CO2 par MWh produit, peu de rejet de particules fines, et de soufre et de NOx - émissions d’oxydes d'azote émises par la combustion des carburants fossiles). Ce remplacement est néanmoins limité par les possibilités d’importation du gaz, aujourd’hui majoritairement constitué de GNL (gaz naturel liquéfié).

Enfin la mise en service dans la décennie 2030 de la première unité nucléaire, point de départ d’un ambitieux programme de 6 à 9 GW de réacteurs de grande puissance (1.000 à 1.600 MW) qui pourraient être associés à des réacteurs de petite taille (appelées SMR), pour la décarbonisation de l’industrie.  

Un accent particulier est également mis sur l’amélioration de l’efficacité énergétique dans l’industrie et le bâtiment ainsi que le verdissement des réseaux de chaleur urbains qui sont encore majoritairement basés sur le charbon.

Si cette feuille de route est respectée, le mix électrique en 2040 serait majoritairement constitué par les sources renouvelables (50%) et le nucléaire (23%) et donc très largement décarboné et protégé de la volatilité des prix des énergies fossiles. Le complément serait assuré par le gaz et très marginalement le charbon.

 

décarbonation Pologne

Graphique pour Lepetitjournal.com Varsovie : Thierry Doucerain (N73) - Sources : Forum Energii, Ministère du Climat et de l’Environnement, PEP 2040

 

Cette trajectoire vise à assurer la décarbonisation, l’indépendance énergétique et un coût acceptable pour l’économie. Elle est incontestablement ambitieuse et doit, pour atteindre les objectifs, relever de nombreux défis, politiques et géopolitiques, financiers et technologiques.   

 

Pourquoi la région Europe centrale et orientale a aujourd’hui un rôle particulier à jouer  pour assurer la sécurité énergétique de l’Europe ?

Avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il était d’usage de dire que l’Europe était dirigée par le couple franco-allemand considéré comme « le moteur de l’Europe », même si cette rhétorique relevait plus de la communication que de la réalité.

Depuis l'invasion, la situation géopolitique s’est considérablement modifiée : la Pologne et les Pays baltes avaient depuis longtemps alerté sur le risque géopolitique lié à la Russie. L’influence de la région en sort grandie lui permettant de devenir un acteur dont la voix compte davantage en Europe notamment sur les questions d’énergie et de défense.

 

En matière énergétique, pourquoi les pays de cette région ont-ils un rôle particulier à jouer ? 

  • Ces pays  ont à relever des défis identiques.

D’abord sortir du charbon qui occupe une place encore importante dans le mix énergétique, en Pologne d’abord (70% du mix électrique), en Tchéquie (41% en 2021). 

Ensuite, assurer la sécurité de son approvisionnement gazier, mise en danger depuis la fin des approvisionnements en gaz naturel russe. Ce combustible a en effet un rôle particulier à jouer en tant qu’énergie de transition. Sa mise en œuvre est relativement facile pour le remplacement des unités charbon, la réduction de l’empreinte carbone des réseaux de chaleur ainsi que des moyens de chauffage domestique.

Enfin lancer ou relancer un programme nucléaire, en parallèle du développement des énergies renouvelables afin d’atteindre l’objectif européen de neutralité carbone en 2050. La Tchéquie et la Slovaquie disposent déjà d’un savoir-faire en matière de production d’électricité nucléaire.

 

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Quelles sont leurs forces ? 

  • Elles sont géopolitiques et industrielles.

Les pays qui la constituent partagent une histoire commune, qui fut jusqu’au 20e siècle souvent tragique du fait de la domination de puissances voisines, dont évidemment la Russie. La volonté d’indépendance et la question identitaire qui sont plus fortes qu’en Europe de l’Ouest en sont directement issues.  Cette histoire commune crée les bases pour une solidarité et une coopération mutuellement avantageuse.

Ces pays : Pologne, Tchéquie et Slovaquie notamment, ont une tradition industrielle forte qui leur permet d’affronter les défis du 21e siècle. Ainsi la Pologne s’affirme comme un leader européen de la production de batteries pour véhicules électriques.

Quant à la Tchéquie, forte de son expérience du nucléaire civil, elle relance un nouveau programme de réacteurs. Le pays dispose également de ressources en lithium, minéral indispensable à la transition énergétique. On estime en effet que la République tchèque possède environ 3% des ressources mondiales en lithium, dont la majeure partie se trouve à Cinovec, près de la frontière allemande - probablement la plus grande réserve de Lithium d’Europe. Son exploitation pourrait contribuer de manière significative à la sécurité énergétique globale de l’Europe.

Enfin, sur la question de l’accès au gaz, la Pologne s’est imposée comme un leader régional. Elle a anticipé les difficultés actuelles en cherchant à diversifier ses sources d’approvisionnement, grâce à sa façade maritime qui lui permet d’importer du LNG (gaz naturel liquéfié), avec la mise en service de grandes infrastructures (Port LNG, Baltic Pipe) et en renforçant massivement ses interconnexions gazières. 

 

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Grâce à cette politique mûrement réfléchie, la Pologne sera en mesure de satisfaire ses besoins en gaz (18 à 20 milliards de m3 par an).

Cette politique a cependant un revers. À une dépendance au gaz russe s’est substituée une dépendance au GNL américain. Diversifier la ressource en gaz constitue donc un enjeu majeur.

La région de l’Europe centrale et orientale s’impose donc comme une entité plus forte et plus cohérente, disposant d’atouts lui permettant d’affronter avec confiance les défis du futur.

En matière d'énergie, elle fait prévaloir un modèle qui, aujourd’hui, sert de référence à de nombreux pays de l’ouest ou du nord de l’Europe et contribue aux objectifs de l’Union européenne tout en assurant sa sécurité énergétique.

 

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